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Grande bouffe sur le Golgotha, ou la foire aux idoles

La postmodernité s’offre indéniablement comme une interface ubiquiste de miroirs déformants. Comme dans La Dame de Shanghai, d’Orson Wells, on massacre des glaces, et finalement, pratiquement tout le monde devient cadavre. Ainsi les traditionnalistes catholiques renvoient-ils aux blasphémateurs nihilistes leur fanatisme destructeur, faisant pendant aux fondamentalistes islamistes, qui dénoncent le sacrilège dont est victime le prophète Mohamed, tandis que les médias conformistes visent tout ce qui peut ressembler à une transcendance autre que celle d’un monde aseptisé par le puritanisme liquéfiant du relativisme libéral.
Les plus pitoyables, dans l’affaire, ceux qui auraient probablement le plus besoin de charité chrétienne, sont les autorités ecclésiastiques de l’Eglise de France. Monseigneur XXIII a bien sûr condamné les manifestations de ceux qu’on nomme « ultra-catholiques », pour mieux les désigner comme des enragés. Ultra ? En admettant que Jésus Christ n’ait pas proclamé plutôt porter le glaive que la paix, propos peut-être imprudents qui, nous en conviendrons, demandent une subtilité exégétique que nous ne possédons pas, - mais ces paroles sont bien dans les Evangiles ! : " N'allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais bien le glaive. Oui, je suis venu séparer l'homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère : on aura pour ennemis les gens de sa maison.
Qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi ; qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi. Qui ne se charge pas de sa croix et ne me suit pas n'est pas diane de moi. Qui aura assuré sa vie la perdra et qui perdra sa vie à cause de moi l'assurera ". Matthieu 10, 34-39, Traduction œcuménique – et aussi : « ... Or Dieu dit : " Je vomis les tièdes " Apocalypse 3,15-16, il est de l’ordre du monde de toujours que la religion, tout en se modelant, sous sa forme exégétique et dogmatique, à tel temps provisoire, qui ne peut être qu’une déclinaison relative de l’absolu, de l’éternité, reste, demeure et subsiste comme témoignage d’une intégrale antinomie avec la réalité prosaïque, profane et matérialiste. Autrement dit, vouloir concilier, comme l’ambitionne l’Eglise depuis le concile de Trente, et plus abruptement depuis Vatican II, le christianisme avec la modernité, est ipso facto sacrifier le premier à la seconde. « Mon royaume n’est pas de ce monde », disait le Christ, et toutes les traditions sacrées n’en disconviennent pas, car les principes, si l’on veut aborder sérieusement la vérité des religions en elle-même, sans passer par la psychologie, la sociologie ou l’Histoire, ou le pragmatisme, prennent leurs racines dans une réalité supra-humaine. De telle sorte que la position qui consiste à se placer discrètement au centre, comme l’âne de Buridan, mort de faim et de soif entre son picotin d'avoine et son seau d'eau, n’est qu’une façon d’abdiquer l’essentiel, même en priant (ce qui est le minimum syndical). À ce compte, on préfère la réaction de frère Jean des Entommeurs, qui a beau jeu de répliquer au Père Abbé, que les moines ne crachent pas sur le service divin - du vin - (« Et vous-même, Monseigneur »), mis pourtant en péril par l’ennemi.
Cela étant, il faut bien convenir que nos rebelles catholiques n’ont pas la partie facile. Car, outre les couards et papelards désaveux d’une hiérarchie complètement infestée d’esprit protestant, ils ont affaire à l’agressivité de médias et politiques anti-cathos, d’une opinion publique indifférente ou conditionnée ; ce qui, à vrai dire, les rendrait plutôt sympathiques. D’autant plus qu’en face, du côté des sacrilèges, des Rodrigo Garcia, avec son Golgota picnic, du Piss Christ d’Andres Serano, et de Romeo Castellucci, avec Sur le concept du visage du fils de Dieu, d’une certaine manière, on rend hommage à la sacralité du christianisme, comme s’il détenait encore une valeur telle qu’il vaille la peine de lui cracher dessus. Du reste, s’en prendre à eux, c’est aussi donner à des œuvres, manifestement emblématiques de l’expressionnisme chaotique et nihiliste de notre époque, beaucoup d’importance, et une formidable réclame.
Peut-être vaudrait-il mieux saisir la question par un autre bout. Certes, la réaction des catholiques, comme celle par ailleurs de musulmans qui se sentent offensés, est compréhensibles, et il est préférable de croire, que d’être un bobo hédoniste macérant dans son caca pétri dans les certitudes molles de la modernité. Mais il faut le répéter : le fondamentalisme extraverti, déclamatoire et arc-bouté sur des positions chauvines, est un combat défensif perdu d’avance, et, pis, une expression exacerbée de la modernité mondialiste. L’islamisme sous sa variante terroriste, pour peu qu’il ne soit aussi une manipulation de la CIA, est une manifestation de la destruction marchande contemporaine, et, in fine, un essai de s’y adapter son sa forme nihiliste.
L’époque actuelle se caractérise par un repli sur un communautarisme ethnique et religieux. Il est la symétrie du repliement égoïste, égocentrique, individualiste de la société. L’identité ne peut plus que se satisfaire d’un affichage ostentatoire, à défaut d’un fond positif, d’une nature véritablement ancrée dans un signifié historique, ou plutôt métaphysique. C’est parce que les réalités humaines sont détachées de leurs véritables raisons, et de leur légitimité, qu’elles se voient contraintes de brandir un signifiant, un discours, une image dont l’hyperbolique publicité n’est que l’expression d’un désarroi profond et d’une issue pour le moins problématique.
Un front contre la modernité morbide est néanmoins possible, à condition de l’entreprendre par le haut, par le ressourcement dans la Tradition, que toutes les sacralités portent en partage, à condition de se comprendre dans le fond, et non dans la forme. Les hommes de notre âge de fer sont dans une situation désastreuse. Notre siècle est dépressif, angoissé, animé des pires pulsions de mort. Un travail d’espoir est permis, mais en dépassant ce qui peut séparer. Sans verser dans un syncrétisme faux et niais, l’union des forces spirituelles n’a jamais été si urgente, entre chrétiens attachés à la tradition, musulmans, bouddhistes, païens, et même agnostiques animés par une même nausée contre un monde qui n’a d’idole que le fric roi.
Claude Bourrinet http://www.voxnr.com/

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