Au lendemain du 150e anniversaire de la naissance de Maurice Barrès, le 19 août 1862, et à la veille du 90e anniversaire de sa mort, le 4 décembre 1923, Francis Venant ouvre une série d'articles sur l'auteur des Déracinés.
La lecture de Maurice Barrès est de celles qui s'imposent tellement... qu'elle n'est pas toujours au rendez-vous. Léon Blum, dans le bel hommage qu'il lui rendit, pourrait en donner une raison supplémentaire : « Si Monsieur Barrès n'eût pas vécu, s'il n'eût pas écrit, son temps serait autre et nous serions autres. Je ne vois pas en France d'homme vivant qui ait exercé, par la littérature, une action égale ou comparable. »
Maître d'énergie
En somme, Maurice Barrès appartiendrait tellement à son époque qu'il aurait quasiment disparu avec elle... Ce qui signifierait que cette œuvre ne serait pas intemporelle, c'est-à-dire universelle. Même son « culte du moi » ne constituerait pas une figure éternelle de la conscience humaine, comme on pourrait le penser d'après le concept, mais avant tout une réaction aux "barbares" du moment. Mais, en réalité, il n'y a jamais dans ces rapports de dépendance d'un auteur à son époque que du plus et du moins ; et si l'œuvre de Maurice Barrès est bien, par la nature des choses, "datée", elle reste toujours universalisable et matière à inspiration, si nous nous employons à jouir de ses beautés et à en dégager des leçons. Le faut-il ? Au fait, notre situation historique est-elle aussi différente que celle qu'il connut ? Si nous n'avons plus à reconquérir des provinces perdues, l'avenir européen pourrait se révéler chaotique et mortifère ; nous ne sommes pas moins confrontés que la Lorraine de son temps à une invasion migratoire, déjà l'objet de son inquiétude ; quant à la crise morale du régime, elle n'est pas moindre, et la nécessité de lui trouver une issue, pressante. On doit cependant considérer que notre sort est pire : les élites françaises, outre qu'elles n'en sont plus, intellectuellement parlant, n'ont, sauf exceptions, aucune envie de continuer une histoire de France qui les encombre, et la "décivilisation" accélérée - dont témoignent tant la « culture de mort » (sept millions de victimes innocentes tout de même...) que la théorie des genres - était inconnue et même proprement inimaginable à l'époque de Barrés. Il est aussi à craindre que nos forces spirituelles soient aujourd'hui moindres... Serait-ce alors dire que Barrès ait peu à nous apprendre ? Non pas, dès lors que l'on prend en considération la première leçon qu'on peut retenir de son attitude, qui fut de réagir et de résister tant par la plume que par l'engagement politique.
Ce dernier étant sans doute plus connu que ses réactions littéraires, considérons ces dernières, qui avaient frappé le jeune Maurras, ainsi qu'en témoigne un passage de son beau texte à lui consacré (dans Bons et mauvais maîtres) : « Osons dire de Barrès ce que Lucrèce a dit d'Épicure : il aura été l'homme grec qui, le premier, est venu, a regardé en face le dogme absurde et a crié : ce n'est pas ça, non, non ! »
Avertissement
Dans un des premiers numéros de ses Tâches d'encre, Barrès avait écrit l'avertissement mémorable que « même en art, il y a profit à ne pas être un imbécile », et, par conséquent, à ne pas reproduire en simple plaque photographique les idiosyncrasies d'un épicier, de sa pipe, et de son grand feu, quand on a l'honneur d'être né un esprit humain (Allusion à une formule de Maupassant). L'influence de Maurice Barrès détermina tout de suite un retour du moral sur le physique. L'élément supérieur reprit la notion de ses droits au commandement : dans le moral, il y a le mental ; l'intelligence rentra dans l'Art, l'art d'écrire revint au cercle des arts libéraux et les lettres humaines recommencèrent d'être reçues pour ce qu'il y a de supérieur dans la vie humaine.
Francis Venant Action Française 2000 février 2013