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Les vraies raisons de la création de l'euro

Hier considéré comme l'instrument de la puissance économique de l'Europe, l'euro menace de disparaître à grand fracas. Mais à qui devait profiter la monnaie unique ?
Le 17 décembre 2004, Jean-François Copé, ministre délégué au Budget et à la Réforme budgétaire du gouvernement Raffarin publiait une « fiche n° 2 » intitulée « L'Europe à 25, une chance pour l'économie française », présentant les avantages de l'élargissement de l'Union aux pays d'Europe centrale et orientale.
On y lisait que « L'Europe à 25 suscite des craintes, instrumentalisées par certains responsables politiques : la crainte des délocalisations ; la crainte du coût engendré par l'adhésion des nouveaux États membres. L'Europe à 25 est en réalité une chance pour l'économie française, une formidable opportunité pour nos entreprises. »
La France y était présentée comme « la 5e puissance industrielle du monde », avec une production industrielle augmentant en volume de 2,5 % par an depuis 1980. On y apprenait aussi que « L'Irlande, l'Espagne, le Portugal et la Grèce ont rattrapé leur retard grâce à leur adhésion et constituent aujourd'hui des débouchés importants pour les entreprises françaises. »
Quant aux délocalisations, rien à craindre : le gouvernement avait « pris des mesures pour conforter notre industrie » avec le lancement des « pôles de compétitivité » et « par un financement ambitieux », notamment sous forme d'exonérations d'impôt sur les sociétés et d'allégements de charges sociales.
« À vingt-cinq, concluait la fiche, la politique commerciale commune donnera à l'Union davantage de poids pour défendre ses intérêts dans les négociations multilatérales, notamment sur les sujets sensibles comme l'agriculture ou l'audiovisuel. »
On a vu ce que valaient ces promesses et le projet qui les sous-tendait d'une société postmoderne, sans histoire, racines, peuples, ni frontières, où les capitaux, les hommes, les services et les biens pourraient circuler sans limite et sans entrave. En quelques années, la communauté (européenne, conçue à l'origine pour garantir à ses États membres une protection économique et douanière efficace face à la concurrence des autres grandes nations, se transforma en vaste champ dérégulé ouvert aux quatre vents de la mondialisation.
Quelles furent les arguments mensongers avancés pour imposer la monnaie unique ? En premier lieu, la théorie des zones monétaires optimales, élaborée dans les années soixante par les économistes Robert Mundell, Ronald Me Kinnon et Peter Kenen. Comme l'explique l'économiste Jean-Jacques Rosa dans son livre L'euro, comment s'en débarrasser ? « L'idée est simple : puisque la monnaie est le support de la politique monétaire et que cette dernière est utile pour stabiliser la conjoncture, permettant ainsi d'augmenter le taux de croissance parce que, bien utilisée, elle réduit la gravité des récessions, une monnaie unique sera indiquée lorsque différentes économies nationales ont des conjonctures synchronisées, tant pour l'activité réelle que pour l'inflation ».
« Si tel est bien le cas et seulement alors, une monnaie partagée présente l'avantage, par rapport à des monnaies indépendantes utilisées sur des espaces plus réduits, d'abaisser les coûts de transaction dans les échanges internationaux », ajoute Jean-Jacques Rosa.

Une raison d'être avant tout politique

Or, ces conditions ne furent jamais remplies par les pays candidats à l'intégration dans la zone euro, ni même par les pays du pacte fondateur de 1957, qui présentaient dès cette époque des structures économiques, sociales, culturelles et légales radicalement différentes. Et elles le furent encore moins à mesure que la zone euro s'étendit à de nouveaux pays.
On s'entêta malgré tout à faire entrer ces pays dans cette tunique jamais ajustée aux besoins des États et des peuples qui s'y portaient candidats, en recourant aux sortilèges des grandes institutions financières internationales et des financiers mondiaux pour l'ajuster.
C'est ainsi que l'État grec fit appel à la bonne fée Goldman Sachs, qui maquilla ses comptes pour lui permettre de prétendre à participer au bal costumé de la zone euro. Mais le pacte avait son revers : l'endettement et la remise des clés du coffre aux grands argentiers de Goldman Sachs. Le miracle ne dura qu'un temps. À mesure qu'elle dansait et que les liquidités étaient versées par les banques sous la houlette bienveillante de la Banque Centrale Européenne et de la Fed (réserve fédérale des États-Unis), le costume de la princesse grecque se déchirait. Car les grands argentiers ne manquèrent pas de lui rappeler les termes du pacte. La même banque d'affaires Goldman Sachs qui lui avait permis de déguiser frauduleusement ses comptes pour rentrer incognito dans l'euro, la dénonça auprès de ses partenaires européens comme vilaine tricheuse. Ayant participé directement au maquillage des comptes de la Grèce, la banque était bien placée pour en connaître la réalité. Elle anticipa donc. Après avoir aidé frauduleusement la Grèce à entrer dans la zone euro, elle aida légalement les marchés à l'en faire sortir, en dénonçant soudain son excessif endettement et sa réticence à se plier aux desiderata de ses nouveaux bailleurs de fonds.
L'exemple grec met en lumière le mensonge énorme que fut l'euro, qui ne présenta d'avantages économiques ni pour les peuples, ni pour les entreprises, ni pour les Etats. Les Etats pauvres purent certes profiter un temps d'une monnaie forte et, à grand coup d'aides régionales européennes et de subventions publiques de l'UE, mener un train de vie qui ne correspondait pas à leurs moyens réels. Mais ce fut au prix d'une effroyable augmentation de la dette et d'un gigantesque mensonge collectif, que les Grecs commencent seulement à payer.
Si l'euro n'eut jamais de vertu économique pour les peuples qui le subirent, c'est que sa raison d'être était avant tout politique : justifier la construction européenne et accélérer le processus d'intégration. « Il s'agit d'obliger les Européens réticents à construire finalement un super État, par l'artifice technique de l'union monétaire qui les contraindrait tôt ou tard à accepter aussi une union budgétaire et donc un État fédéral. Ce dernier serait la deuxième, ou peut-être même la première puissance mondiale, ce qui ne saurait déplaire fondamentalement à la classe politico-administrative de ses pays membres », écrit Jean-Jacques Rosa.

Une confiscation subreptice du pouvoir

Mais cette justification politique n'est elle-même que le paravent d'une motivation occulte, qui renvoie in fine à la structuration même du pouvoir au sein des sociétés capitalistes. La mise en place de l'euro a été le fruit de la coopération et de la convergence d'intérêts de trois catégories d'acteurs : les patrons des grands groupes industriels, les banquiers et les États.
Les grands groupes industriels y voyaient l'occasion de se constituer en cartels puissants, capables d'imposer aux responsables de l'Union européenne des systèmes législatifs et des normes industrielles qui les protégeraient de la concurrence, tant des multinationales étrangères que des petites entreprises européennes, les garantiraient contre les risques de change toujours coûteux dans le cas d'économies tournées vers l'exportation, et leur permettraient d'accéder à des sources de crédit beaucoup plus importantes que celles qu'ils auraient trouvées dans le cadre de marchés bancaires et financiers centrés sur les seuls territoires nationaux. En outre, ils pourraient emprunter sans compter en s'adossant sur la solidité de l'État allemand.
Les banquiers y trouvaient l'occasion d'accroître leurs volumes de prêts et de créer sans risque immédiat des montagnes de dettes toujours plus importantes. Et les États, un moyen d'accéder pour un montant d'intérêt plus faible - du moins au départ - à d'abondantes ressources de crédit et, par là, de se refinancer dans un contexte de faible croissance et de difficulté croissante à collecter l'impôt.
La convergence objective de ces trois intérêts déboucha sur la mise en place d'une monnaie qui ne fut jamais conçue pour Servir les peuples ni soutenir le développement des économies nationales. Valéry Giscard d'Estaing devait lui-même déclarer en 1997 dans une interview au Herald Tribune : « Je ne vois pas à quoi l'euro va servir sinon à perturber gravement le monde des affaires. Chaque fois que je pose la question de savoir si c'est une bonne chose de réaliser la monnaie commune, j'entends toujours la même réponse : il faut le faire parce que nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d'être laissés de côté. (...) Je n'ai jamais entendu sur ce problème que de mauvais arguments ».
Mais la monnaie unique permettait, à la fois, de réaliser une fusion des marchés nationaux dans un vaste marché intérieur favorable aux grandes entreprises européennes et multilatérales ; d'octroyer du pouvoir à des banquiers dont les marges de manœuvre augmentaient à mesure que s'accélérait le processus d'intégration européenne, de perte de souveraineté des États et de création au niveau supranational de structures d'irresponsabilité collective ; et de créer des superstructures technocratiques européennes offrant aux hommes politiques européens en fin de parcours une sinécure à l'abri des regards indiscrets.
Ainsi s'est opérée une translation subreptice du pouvoir dont quelques hommes politiques seulement ont perçu la gravité, tel Vaclav Klaus. L'ancien Premier ministre tchèque a déclaré : « L'Europe a eu des changements irrévocables pendant que la majorité des Européens, inconscients ou peu intéressés par l'enjeu, ne faisait pas suffisamment attention. La coopération intergouvernementale des différents pays, tendant à supprimer les barrières aux mouvements des hommes, biens, monnaie et idées, a été convertie, lentement mais sûrement, en la formation d'un État européen supranational visant à centraliser le pouvoir à Bruxelles, à l'élimination des états-nations européens et à la socialisation de l'Europe. Etant donné la douce négligence de la majorité des Européens, une minorité d'activistes pro-européens et une bureaucratie européenne possèdent les clefs du pouvoir. »      
Daniel Aman monde & vie du 10 décembre 2011

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