Ne jamais oublier ceux auxquels on s’adresse, et surtout ne leur dire que les mots qu’ils ont envie d’entendre : cette règle de base de la rhétorique politique, François Hollande a rappelé qu’il en avait une parfaite maîtrise, vendredi 15 janvier, au second jour de son déplacement en Inde.
Avant de s’envoler pour la France, le président de la République avait tenu à faire une halte de quelques heures à Bombay, afin de rencontrer quelque 200 chefs d’entreprises dans un palace du bord de mer.
En à peine vingt minutes, c’est peu dire que M. Hollande leur a sorti le grand jeu, s’évertuant à corriger le portrait qu’une partie de la presse indienne brosse de lui : celle d’un président sympathique mais mal armé pour rendre son pays attractif aux yeux des investisseurs. Un sentiment résumé jeudi dans l’éditorial de l’influent quotidien Hindustan Times : « La tâche sera difficile pour lui, compte tenu de son propre passé de socialiste et du rejet que continue de susciter l’économie de marché dans la culture intellectuelle de son pays. »
Retour aux fondamentaux
Pour séduire son auditoire, le chef de l’Etat n’y est donc pas allé par quatre chemins. Rendant un «hommage tout particulier» aux «grandes familles» d’industriels indiens, M. Hollande a été très clair: « Vous n’avez pas une fenêtre : toute la porte [de la France] vous est ouverte », a-t-il ainsi lancé. Sur les craintes que peut susciter la place de l’Etat dans l’économie française, le président s’est également voulu très rassurant : « Aux chefs d’Etats et de gouvernement de créer le meilleur environnement (…), mais c’est à vous, chefs d’entreprise, et seulement à vous de définir ce qu’il y a de mieux pour vos économies, et nous vous faisons confiance » a-t-il poursuivi.
On se disait en l’écoutant que l’on était loin des discours des socialistes français sur le «juste échange». Encore plus loin des sorties d’Arnaud Montebourg contre Lakhsmi Mittal. Et l’on comprit que ce n’était en ce lieu que le président Hollande évoquerait la possibilité de «nationalisations temporaires» en France… Quelques heures plus tôt, pourtant, le discours avait d’autres accents. Cela se passait à New Delhi, dans un auditorium fleuri de dahlias où M.Hollande était venu remettre à Amartya Sen, Prix Nobel d’économie 1998, les insignes de commandeur de la Légion d’honneur.
De ce «grand humaniste» qui a passé sa vie à dénoncer les impasses du libéralisme classique, le président a salué la leçon : l’idée le progrès ne se mesure pas «simplement à travers un agrégat, celui de la croissance» mais d’ « indicateurs nouveaux du développement humain, qui prennent en compte le bien-être, la santé et l’éducation, la lutte contre les inégalités ». « Vous nous avez appris, en revisitant l’héritage d’Adam Smith, que l’économie ne se réduisait pas à la logique du marché mais qu’elle était une science morale », a rappelé M. Hollande.
A des journalistes qui l’accompagnaient dans son avion pour Bombay, le président confiait son émotion d’avoir ainsi décoré un auteur dont il avait enseigné les théories à Sciences Po. Cela sonnait comme un retour aux fondamentaux. Des fondamentaux sur lesquels il n’était manifestement guère opportun de s’attarder, quelques minutes plus tard, dans le grand hôtel de la capitale économique du pays.
Thomas Wieder
Le Monde
17-18/02/2013
Correspondance Polémia – 20/02/2013