Nul hasard si l’on trouve de nombreux grillons, des petits grillons en pagaille, des « grillini », dans la radieuse Italie : ces sympathiques insectes prisent la lumière. Mais il en est aussi qui recherchent grottes, caves noires, tunnels de métro. Ceux-là, l’avenir dira s’ils feront entendre leurs stridulations, dans ce trou noir qu'est le Parlement. Et si, comme la nature le veut, leur durée de vie ne sera que d’un an.
On dit aussi que certaines variétés se vautrent dans les nids de fourmis ou de termites, pour les bouffer. Jolie image pour une élection : le pied dans la fourmilière politicienne !
Peut-être aussi faudrait-il porter attention à un des rôles non négligeables du petit grillon. Il creuserait des galeries profondes, travail de sape, comme l’on sait. Et cette lasagne géante qu’est la démocratie italienne, cette pâte combinée de trafics, arrangements entre coquins, de dosages savants et de substitutions de viandes, risque de s’effondrer sur elle-même.
Les cris d’horreur des grillophobes font plaisir à entendre. Même si nos compétences en entomologie interdisent une connaissance exhaustive de l'invasion grillonnesque, on se dit que pour susciter l’ire des instances européennes, des journalistes, des experts es libéralisme, des politiciens labellisés et néanmoins frauduleux, il faut ne pas être tout à fait mauvais. Et Beppe Grillo représente bien cet Arlequin collant qui enquiquine tous les Pantalons, les Capitans, les Docteurs, et même les Brighellas, ces valets qui veulent devenir maîtres. Une Commedia dell’arte, certes, mais, au lieu de verser dans les stéréotypes anti-italiens, comme n’ont pas manqué de faire les « commentateurs », rappelons que les coups de bâton, sous la risée populaire, ne tombent pas toujours sur le dos des éternels cocus de la politique…
D’aucuns de ces plumitifs, comme ceux du Nouvel Obs, par exemple, ou comme Marc Selmo, du service étranger du tartuffard Libération, voient dans Grillo ni plus ni moins qu’un Dieudonné péninsulaire. A la botte de la bête immonde, si vous voyez… Il faut dire que le point Godwin a été, pour le coup, passé à la vitesse du çon. Il voit des complots partout, le Grillo ! Complot américain, complot sioniste… Un paranoïaque, un fou, un autocrate qui vire tous ceux qui le gênent. En attendant pire… Un Duce du Web. En plus, il a une femme iranienne. Si ce n’est pas une association de malfaiteurs, ça ! Nauséabond. On l’a entendu proférer des propos antisémites. Il s’en prend régulièrement au présentateur de télévision Gad Lerner. Le pauvre. Il a pris aussi la défense d’un antisioniste notoire, le communiste Marco Ferrando. Il soutient, malgré toutes les démonstrations véritables portées par les médias au-dessus de tout soupçon, qu’Ahamadinejad n’a jamais nié l’Holocauste et n’a jamais prôné la destruction d’Israël. Idiot. Il fricote de l’extrême gauche à l’extrême droite. Ni droite, ni gauche. Comme Mussolini. D’ailleurs, rajoute le Nouvel Obs, son dernier meeting, qui a rempli de plus de 500 000 personnes la Piazz San Giovanni , c’était la Marche sur Rome. Carrément. Il ne manquait plus que les chemises noires. Il y avait dans la foule probablement plus de calumets et de grisgris que de matraques et de flacons d’huile de ricin, mais qu’importe… Voilà aussi qu’il souhaite qu’Al Qaïda bombarde le Parlement pour débarrasser l’Italie de la vermine politicienne ! On en a l’échine frissonnante rien que de penser à un tel malheur... Il vocifère, il insulte, et communie avec le peuple en délire. Le salut romain, et ce serait la dernière olive sur la pizza !
Et pourtant, il roule, le Grillo, dans son « Tsunami Tour ». Mot d’ordre : A bas l’euro ! A casa ! (à la maison !), « Va Fanculo ! ». C’est direct. Avant l’uppercut électoral.
La force de Beppe Grillo, outre de conjuguer tous les mécontentements face à une rigueur impitoyable imposées par la finance internationale et l’Europe de Bruxelles, c’est d’attirer l’utopie : la démocratie directe, les élus probes (en Sicile, où le Mouvement cinq étoiles a recueilli, aux élections régionales, la majorité des suffrages, ses représentants ont accepté de baisser leurs indemnités de 9000 à 2500 euros, la différence étant versée à une fonds de subvention pour les petites entreprises), la semaine de 20 heures, un revenu minimum de 1000 euros… Il y a quelque chose d’anarcho-syndicaliste du début du XXe siècle, dans cette rébellion. Manque l’idée du Grand Soir.
Somme toute, c’est la manière italienne de contester le système. En France, où la mémoire est saturée des souvenirs de 89, de Bonaparte, de De Gaulle, et, en arrière plan, des quarante rois qui firent l’Etat français, rien ne se passe sans qu’on n’ait en tête le putsch, le parti dur et discipliné, ou bien le salut par le haut. L’Italie vint très tardivement, et mal, aux réquisits de l’Etat. Le fascisme, qui y était une forme de modernisation, n’exalta la volonté centralisatrice que parce qu’elle manquait. L’Italien, dans maintes régions, est naturellement anarchiste. Ou, plus précisément, la société italienne est assez riche, par sa diversité, sa vie locale, sa culture de proximité, ses associations, ses coutumes traditionnelles, sa trajectoire historiques, qui fut une merveilleuse procession de génies, dont la plupart étaient citoyens de leur patrie singulière, de Florence, de Rome, de Naples, de Venise, de Milan, de Palerme…, pour qu’elle se soit passée d’un appareil étatique comme celui de la Grande Nation. En Italie, tout vient d’en bas. C’est en partie à ce titre que la Commission de Bruxelles est rejetée, tout autant que les souffrances imposées.
L’Europe des peuples expérimente sous nos yeux. Il est clair que plusieurs équations sont essayées, éprouvées. En Grèce et en Espagne, les manifestations monstres et les heurts avec la police font long feu. En France, le système électoral interdit toute véritable perspective de bouleversement à terme. L’Italie formule une proposition, à sa manière. Il faut observer, enregistrer. Ce qui est bon là-bas ne l’est peut-être pas ici.
L’erreur serait de croire qu’il y ait des résultats politiques traditionnels à espérer, après la victoire, qui ne seraient que des fruits empoisonnés. Les « spécialistes » espèrent que les élus du mouvement de Beppe Grillo se corrompent, qu’ils se pourrissent au contact de la vase politicienne romaine. Ce désir juge le système et sa morale. Mais est-ce au Parlement ou au Sénat que gît la vie, la vraie vie ? Pour l’heure, bloquer le système est un bien. Mais si l’on veut qu’une alternative crédible se présente pour remplacer la dictature du fric et du mensonge, c’est bien la société qu’il faut débloquer.
Claude Bourrinet http://www.voxnr.com