Parler de l’actualité politicienne en France ? Certes, il le faut. Mais par quelle nouvelle commencer ? Le cumul des mandats peut-être ? Bien que le Conseil d’Etat prône son application pour 2017, Harlem Désir veut accélérer le tempo. Pourtant, selon le Conseil d’Etat, « il serait impossible de mettre en pratique la réforme dès 2014, sous peine de violer les principes juridiques de la non-rétroactivité et de non-remise en cause du mandat acquis ». Le pathos juridique n’a pas toujours une filiation directe avec la langue de Racine ou de Voltaire. Néanmoins cet avis paraît suffisamment clair pour toute personne sachant lire le français.
Mais foin du Conseil d’Etat ! S’asseyant sur les recommandations de celui-ci, le premier secrétaire du PS plaide pour que le non-cumul des mandats, « engagement pris par les socialistes depuis 2010 » à l’instigation de Martine Aubry, soit concrétisé dans l’urgence, c’est-à-dire avant les élections municipales de mars 2014. Quitte donc à violer, avec l’ensemble des députés socialistes les plus à gauche – une tournante dans les sous-sols de l’Assemblée ? – les « principes juridiques de la non-rétroactivité ».
Le PS n’en fera rien, bien sûr et Harlem Désir le sait bien. Mais ce discours plaît aux électeurs, dont une grosse majorité est, parfois avec raison d’ailleurs, partisan du non-cumul. Alors « plaidons », la main sur le cœur, pour le non-cumul immédiat tout en sachant qu’il n’aura pas lieu. En quelque sorte un engagement du même tonneau percé que la promesse de François Hollande de réduire la baisse du chômage ? Au bal des faux-culs socialistes Harlem Désir joue en quelque sorte les Valentin le désossé. Avec le président de la République comme chorégraphe et le Premier ministre comme maître de ballet.
La gauche parle à la gauche
Dans la rubrique « Du rififi chez les hommes de gauche », il y a bien sûr Jean-Luc Mélenchon, qui menace de « tordre le bras de Hollande » sur la loi d’amnistie syndicale. Il s’agit, pour le judoka du Front de gauche, de défendre, « contre les forces injustes de la loi », des syndicalistes, coupables de violence et de déprédations et condamnés (à diverses amendes) par la justice sous le précédent quinquennat. Mélenchon, avec le sens de la mesure qui le caractérise, dénonce « une répression du mouvement social » et clame : « L’amnistie sociale, nous devons l’arracher, elle ne sera pas concédée. » Et d’avertir les parlementaires de gauche : « Ceux qui ne votent pas la loi ne sont pas de gauche, mais des suppôts du Comité des Forges. » Et des deux cents familles que fustigeait la gauche sous le Front populaire dont Mélenchon semble être, intellectuellement du moins, le contemporain. « Feu sur les ours savants de la social-démocratie », recommandait alors Louis Aragon entre une ode aux yeux d’Elsa et une autre à la gloire du Guépéou. Un mot d’ordre que semble vouloir reprendre (verbalement) le camarade Mélenchon. Et aussi d’ailleurs, mais d’une façon moins tonitruante, le PCF, dont le secrétaire national, Pierre Laurent, répercutait lundi soir le même message revendicatif sur la scène d’un théâtre parisien. Le Grand Guignol révolutionnaire est de retour, mais dans une version de comiques troupiers un peu lourds.
L’UMP en ordre de bataille ?
Question rififi, les balles sifflent également à l’UMP, où certains accusent Jean-François Copé de « parasiter » le meeting de François Fillon. « L’entourage de l’ancien Premier ministre n’en revient pas que leur adversaire ait invité des cadres du parti à participer à une “audio-conférence”, mardi 26 février, au moment même où s’exprimait François Fillon, lors de son grand meeting de rentrée… ». Comme dans Le Grand Métingue du Métropolitain, l’immortelle chanson d’Eoudard Mac Nab, Fillon, qui « voulait mettre sur le tapis » la question de sa candidature à la présidentielle 2017, aurait subi une tentative de sabotage de sa réunion, perpétrée par son adversaire ? « C’est d’une bêtise absolue ! Pourquoi faire ça ? A quoi ça sert ? » se lamente-t-on du côté Fillon. Mais chez Copé, on ricane plutôt, en jugeant « l’énervement » des fillonistes « excessif ».
Encore un coup de ce genre et le « bastringue » risque de se déclencher de nouveau à l’UMP. « D’un grand de poing, j’y renfonç’ son chapeau »… Et je le lui fais manger ! Comme le lendemain du scrutin interne, du 18 novembre dernier ?
Cette colère qui monte
Cette agitation politicienne paraît bien dérisoire, pour ne pas dire indécente, au regard de certains chiffres. Par exemple celui-ci : « En 2012, un million d’emplois détruits en zone euro »… Et l’hécatombe continue. Les experts nous annoncent : « D’une manière générale la situation devrait se dégrader encore cette année. Tandis que la crise des dettes connaît un répit prolongé ce sont les difficultés de l’économie réelle qui plombent le marché du travail européen. » Un taux de chômage qui ne cesse en effet de grimper, atteignant en moyenne « 11 % de la population active des vingt-sept pays de l’Union et 12,2 % de ceux de la zone euro ». Dans ces Olympiades du chômage, la France bat ses propres records. Records qui tombent les uns après les autres. Sans oublier notre médaille d’or de la fiscalité. Chômage, fiscalité… Deux disciplines dans lesquelles la France, avec toutes ces prothèses perfectionnées d’imposition, aligne de véritables Oscar Pistorius ;
La situation est de plus en plus inquiétante. Une mondialisation où, par la faute d’idéologues du mercantilisme libérale, l’Europe fait figure « d’idiot du village planétaire », s’ouvrant sans réticence (et souvent sans réciprocité) aux concurrences les plus déloyales. Et une zone euro « abracadabrantesque » pour reprendre le néologisme que Jacques Chirac avait emprunté à Arthur Rimbaud. En langage plus technocratique, le commissaire chargé des Affaires économiques et monétaires de l’UE, le finlandais Olli Rehn, parle lui « de divergences » entre pays de l’UE, qui « ont atteint une magnitude sans précédent ». Autrement dit proche du séisme. Avec à la clé le carnage accru du monde ouvrier et un nouveau massacre des classes moyennes. Et bien sûr la colère que l’on sent monter autour de nous, comme une eau froide et glaçante…
En 2008, beaucoup d’économistes nous avaient rappelé le fameux triptyque : une crise financière débouche obligatoirement sur une crise économique, celle-ci pouvant engendrer, comme dans les années trente, une crise politique. Mais, ajoutaient nos augures, nous n’étions plus dans ce schéma-là. Cette crise financière allait fatalement se transformer en crise économique, mais nos institutions démocratiques, et tous les filets de protection mis en place, nous épargneraient la crise politique. Celle-ci était inenvisageable. Nous n’étions plus dans les années trente, cette préhistoire du monde économique.
Cinq ans plus tard, quelques-uns l’affirment encore. Mais de plus en plus faiblement et d’une voix qui tremble… Les autres, les yeux fixés sur la Grèce et l’Espagne, préfèrent se taire. Et maintenant l’Italie, où le professore Monti, homme lige des eurocrates (10 % des suffrages), se trouve non seulement distancé par le revenant revigoré Silvio Berlusconi (28 %) mais se fait spectaculairement griller par le « Coluche italien », Beppe Grillo (26 %).
Encore confuse et balbutiante, mais déjà virulente, la colère des peuples trompés est en train de pencher distinctement vers une direction : l’Europe technocratico-libérale et son euro en forme de tunique de Nessus qu’elle nous a mise sur le dos comme un don précieux (elle devait nous apporter la stabilité et la prospérité) et dont nous ressentons de plus en plus douloureusement la brûlure du poison que depuis douze ans elle distille dans nos économies ...