La République n'a pas de chance avec la vertu : Danton était le plus corrompu des hommes et c'est en s'appuyant sur ses escroqueries avérées que Robespierre l’envoya à la guillotine, comme Fabre d'Eglantine et quelques autres... Sous la IIIe République, le gendre du président de la République faisait un véritable trafic de légions d'honneur avec l’aide d’un général véreux et d’une tenancière de maison close, ce qui entraîna, une fois le scandale dévoilé, la démission honteuse de ce farouche républicain de Grévy, pourtant réélu quelques semaines plus tôt à l’Elysée...
Mais le plus fort est que ce fameux gendre, le député d’Indre-et-Loire Daniel Wilson fut, ensuite, acquitté (à cause d’une erreur de procédure) et réélu par les électeurs de sa circonscription, en 1893 et en 1896 avant d’être, enfin, battu en 1902 ! Pour se faire réélire, Wilson arguait que devait prévaloir « l’esprit républicain » et qu’il fallait surtout éviter l’élection d’un monarchiste ou d’un socialiste (ce qui n’avait pas, à l’époque, le même sens qu’aujourd’hui…)
Je pourrai ainsi multiplier les exemples, du scandale de Panama à l’affaire Stavisky qui déboucha, comme le précédent de 1892, à des émeutes dans Paris et, plus dramatique, à une sanglante répression un certain 6 février 1934. La Ve République elle-même n’a pas évité les confusions entre l’exercice d’une fonction publique et la tentation financière, et c’est par milliers que l’on compte les malversations, les affaires de pots-de-vin et de corruption, les « petits arrangements entre amis », tous ces scandales de plus ou moins grande ampleur qui ont touché ou touchent encore le monde politique, de la commune à la tête de l’Etat !
Bien sûr, nous n'en sommes pas là : enfin, pas encore ! (la couverture du quotidien monarchiste, le 7 février 1934)
L’affaire Cahuzac est l’une des plus graves, non tant sur le plan des sommes en question, en elles-mêmes assez dérisoires au regard de la plupart des affaires d’argent, mais sur le plan symbolique : un homme, ministre du budget en exercice durant dix mois dans l’actuel gouvernement et, à ce titre, chargé de la lutte contre la fraude fiscale, était lui-même un fraudeur et un dissimulateur ! Ainsi, par ses actes et depuis une vingtaine d’années, il trahissait sciemment ses électeurs, ses amis politiques et, au-delà, les valeurs politiques que tout homme en charge de responsabilités publiques, à l’assemblée ou au gouvernement, devrait, non seulement défendre, mais incarner, honnêtement et simplement.
La colère de l’actuel locataire de l’Elysée n’est sans doute pas feinte et cela même si l’on peut penser que le président devait bien avoir, au fond de lui, quelques doutes légitimes : mais M. Cahuzac ne lui avait-il pas donné sa parole, « les yeux dans les yeux », comme il devait le faire aussi avec Jean-Jacques Bourdin, un matin pas si lointain, au micro de RMC-BFMtv ?
En fait, il y a quelque chose qui est, là, consubstantielle à cette République qui, pour exister, a besoin de nouer des liens avec le monde de l’Argent, et dont les serviteurs, au nom d’une liberté individuelle vantée par le régime lui-même, sont aussi, souvent, les profiteurs… Or, il faut le redire : on ne peut servir deux maîtres à la fois ! Faire de la politique, servir le pays et ses populations, préparer « l’avenir que tout esprit bien-né souhaite à sa patrie », cela ne veut pas dire « se servir » et profiter financièrement de sa position parlementaire ou gouvernementale ! Il ne s’agit pas de faire de la morale mais, au contraire, de faire de la politique et d’être, avant tout, politique, au sens fort du terme !
La République a un vrai problème avec l’Argent : quand la Monarchie asservissait, parfois difficilement et douloureusement d’ailleurs, l’Argent au service de l’Etat, n’hésitant pas à enfermer l’homme le plus riche du royaume comme ce fut le cas pour Nicolas Fouquet, ou, au contraire, en jouait par le biais d’un Mazarin avide et en connaissant la valeur pour le pays comme pour lui-même, la République, elle, dont les urnes sont gourmandes en promesses électorales et les partis en espèces sonnantes et trébuchantes, n’arrive pas à s’imposer au monde de la finance, à cette « fortune anonyme et vagabonde » qui, trop souvent, achète les esprits et les volontés pour mieux les diriger !
L’affaire Cahuzac, en tout cas, met fin, pour ceux qui avaient encore quelques illusions à ce sujet, à celle d’une Gauche peu tentée par « le vil métal » dont le règne était, il y a un siècle, dénoncé par un Maurras ou, avec plus de colère encore, par un Bernanos.
Mais, au-delà, il ne serait pas étonnant que les électeurs, de plus en plus pressurés en tant que contribuables, se détournent des machines politiciennes pour rejoindre le concert des mécontents et des contestataires de ce régime de démocratie représentative de plus en plus discrédité : certains journalistes ou parlementaires parleront de « ce populisme qui menace la République » quand c’est la classe politique de la République qui, le plus souvent, donne l’exemple désastreux d’un abandon du service civique de la nation et qui nourrit ainsi ce que pourtant elle dénonce si vigoureusement…