« De 1998 à 2002, la presse occidentale a dit que je faisais penser à Hitler et au duce (Benito Mussolini). A présent, elle me compare à Poutine et au président bélarusse. Je vous laisse juger s’il s’agit ou non d’un progrès. » (Viktor Orban, le 5 janvier 2012 – « La Hongrie prend la tête de l’UE dans un climat délétère » – 07/01/2012).
I. L’ascension de Viktor Orban et de la Fidesz (1993-2010)
Budapest sous la pression de l’Union européenne
Dans un article consacré au parti ultranationaliste grec « Aube dorée », le quotidien belge La Libre Belgique cite la vice-présidente du Parlement européen, également belge, Isabelle Durant (Ecolo). En visite à Athènes et au cours d’une discussion avec des membres du parti vert grec par lequel elle était invitée, Madame Durant exprima dans les termes suivants son inquiétude face à la montée en puissance d’ « Aube dorée » : « C’est un phénomène très inquiétant. L’injustice, la dureté des coupes dans les salaires, etc., est de nature à créer une déstabilisation politique extrêmement grave. L’Union ne mesure pas à quel point il faut aussi se préoccuper de l’évolution démocratique de la Grèce. On doit en faire une vraie question politique, comme avec Viktor Orban en Hongrie. »
On ne manquera pas de s’étonner de la relation qui est établie ici, par la vice-présidente du Parlement européen, entre l’ascension politique du mouvement ultranationaliste grec « Aube dorée » et le gouvernement conservateur hongrois de Viktor Orban, dont le parti, la Fidesz-Union civique hongroise, est membre du Parti Populaire Européen (PPE). Une comparaison entre l’Aube dorée et le parti nationaliste hongrois Jobbik eut sans doute été plus judicieuse. Et l’amalgame établi ici entre le conservatisme de la Fidesz de Viktor Orban et le nationalisme du Jobbik de Gabor Vona est pour le moins malheureux. Manque d’informations ou volonté délibérée de démontrer que les thèses de la Fidesz et du Jobbik relèvent d’une même démarche arbitrairement qualifiée d’ « extrême-droite » ? Au vu des pressions européennes qui s’exercent sur la Hongrie depuis l’élection de Viktor Orban et de la Fidesz en 2010, il est à craindre qu’il nous faille retenir la seconde explication.
Viktor Orban et la Fidesz (1993-2006)
Victor Orban n’est pas un inconnu de la scène politique hongroise et européenne. Né le 31 mai 1963 à Székesfehérvar, il participe, le 30 mars 1988, à la fondation de la Fidesz-Union civique hongroise. L’année suivante, à l’occasion de la cérémonie de « ré-inhumation » d’Imre Nagy et des autres martyrs de la révolution hongroise de 1956, célébrée sur la place des Héros de Budapest, Viktor Orban prononce un discours appelant à la tenue d’élections libres et au départ des troupes soviétiques qui sont alors stationnées dans le pays. Peu de temps après, il fera partie de la délégation de l’opposition présente à la table ronde des négociations avec le pouvoir communiste. Élu, en 1990, député à l’Assemblée nationale de Hongrie, il devient, deux ans plus tard, vice-président de l’Internationale libérale lors du congrès de Mayence. En 1993, il prend la tête de la Fidesz et, l’année suivante, hisse sa formation à la deuxième place, juste devant le Parti socialiste hongrois (MSzP). En 1995, le parti de Viktor Orban de libéral, devient conservateur et remporte la victoire aux élections du 24 mai 1998 : la Fidesz obtient 148 députés sur 386. Viktor Orban forme une coalition gouvernementale comptant 213 élus et est investi ministre-président le 6 juillet. Il a 35 ans. En avril 2002, les résultats du gouvernement sortant son favorablement sanctionnés par l’électeur qui accorde une nouvelle victoire à la Fidesz. Du fait de sa coalition avec le Forum démocrate hongrois (MDF), 188 députés sont réunis sous une même bannière, soit dix de mieux que le Parti socialiste (MSzP). La route du pouvoir semble donc à nouveau ouverte pour Viktor Orban, mais le jeu électoral en décidera autrement ; le MSzP s’allie avec l’Alliance des démocrates libres (SzDsZ), et obtient ainsi 198 députés, soit dix de mieux que la coalition de Viktor Orban qui se voit obligée de renoncer au pouvoir le 27 mai suivant. Lors des élections de 2006, la Fidesz, allié au KDNP (Parti populaire démocrate-chrétien), se voit cette fois devancé par les socialistes du MSzP du nouveau ministre-président, mis en place en 2004 : Ferenc Gyurcsany. L’avenir de Viktor Orban à la tête de la Fidesz semble dès lors compromis. Mais la rigueur budgétaire drastique imposée à la population hongroise par le gouvernement socialiste et la révélation de certains mensonges de Gyurcsany durant la campagne de 2006, vont lui permettre de se remettre en selle. Lors des élections européennes de 2009, la Fidesz remporte 56,3 % des voix et 14 des 22 sièges à pourvoir au Parlement européen.
Les socialistes du MSzP au pouvoir (2002-2010)
En 2002 donc, les socialistes du MSzP, alliés à l’Alliance des démocrates libres (SzdsZ), se hissent jusqu’au pouvoir avec une courte majorité de dix sièges par rapport à la coalition Fidesz-KDNP menée par le chef de file du gouvernement sortant, Viktor Orban. Les socialistes se maintiendront au pouvoir huit années durant. Le poste de Premier ministre fut d’abord occupé par Peter Medgyessy dont le gouvernement accordera une augmentation des traitements de certains fonctionnaires de 50 %, ce qui eut pour effet de creuser le déficit budgétaire. Suite à la défaite encourue par les socialistes hongrois aux élections européennes de 2004, Medgyessy se verra forcé de céder la place au ministre des Sports, Ferenc Gyurcsany. A cette époque, malgré un taux de croissance de 4 % et une inflation en baisse, le déficit budgétaire élevé rend pratiquement impossible l’accession de la Hongrie à l’euro. Le taux de chômage dépasse le taux de 10 % de la population active. Au cours des élections législatives des 9 et 23 avril 2006, la coalition sortante menée par Ferenc Gyurcsany sera cependant reconduite avec une douzaine de députés supplémentaires par rapport à ceux obtenus au scrutin de 2002. Une victoire, certes, mais obtenue par le mensonge.
Ferenc Gyurcsani au cœur du scandale
De fait, peu de temps après les élections du mois d’avril, Gyurcsany devait reconnaître, à huis clos, avoir menti sur l’état des finances publiques en vue d’assurer sa réélection. Une fuite devait amener ses propos sur la place publique, ce qui aboutit à l’éclatement à Budapest d’une série d’émeutes dont le caractère légitime était, au vu des circonstances, incontestable. Mais la presse européenne ne l’entendit pas de cette oreille. Loin de dénoncer l’attitude inqualifiable du premier ministre hongrois et d’éventuellement tenter de la pousser à une démission qui se serait pourtant révélée plus que justifiée, elle assimila immédiatement les émeutiers à l’ « extrême-droite » et n’en démordit plus par la suite. Ce parti pris européen en faveur du gouvernement socialiste hongrois s’avéra d’autant plus critiquable, que le discours prononcé par Ferenc Gyurcsany à Balatonoszöd, en mai 2006, était pour le moins explicite : « Nous avons tout fait pour garder le secret en fin de campagne électorale ce dont le pays avait vraiment besoin, ce que nous comptions faire après la victoire. Nous le savions tous, après la victoire, il fallait se mettre au travail, car nous n’avons jamais connu de problème de cette envergure (…) Personne en Europe n’a fait de pareilles conneries, sauf nous (en laissant filer les déficits publics) (…) Il est évident que nous avons menti tout au long des 18 derniers mois. Il est clair que ce que nous disions n’était pas vrai. Nous n’avons rien fait depuis quatre ans, rien. Vous ne pouvez pas me citer une seule mesure gouvernementale dont nous pourrions être fiers, à part le fait que nous (le gouvernement) nous sommes sortis de la merde à la fin (en remportant les élections) (…). » Le 17 septembre de la même année, la diffusion d’un enregistrement de ce discours, allait donc provoquer d’importantes émeutes en Hongrie. Comment ne pas le comprendre ?
Une opposition d’extrême-droite ?
Les émeutiers n’en furent pas moins assimilés à des extrémistes de droite, par la presse européenne qui, depuis, n’a plus cessé ses attaques à l’encontre des conservateurs magyars, systématiquement assimilés, peu ou prou, à la droite la plus nationaliste. Ainsi, lorsqu’éclatèrent les émeutes, en septembre 2006, on déclara que « des manifestants d’extrême-droite réclamant le départ du Premier ministre ont attaqué le bâtiment de la télévision nationale, qu’ils ont momentanément occupé » ; que des « manifestants de droite et d’extrême-droite, exigeant [la démission de Gyurcsany], ont débordé la police et saccagé le siège de la télévision publique, dans la nuit de lundi à mardi à Budapest » (source) ; « Parmi les manifestants, surtout des jeunes, un certain nombre de toute évidence d’obédience d’extrême-droite » (source) ; « Après une manifestation pacifique devant le parlement, les casseurs, parmi eux des partisans de droite et d’extrême-droite, se sont rassemblés près du siège du parti socialiste, le mouvement du premier ministre hongrois. » (source) Rien n’a donc été négligé par la presse officielle européenne pour, sinon assimiler, au moins associer l’opposition au gouvernement socialiste hongrois à l’extrême-droite et pour créer un amalgame entre la droite ultranationaliste et le parti conservateur (Fidesz) de Viktor Orban.
Un clair soutien européen aux socialistes hongrois
Quant à Ferenc Gyurcsany, loin de se faire désavouer par l’Union européenne, il proposa un plan d’austérité extrêmement sévère supposé réparer les innombrables erreurs et manquements du précédent gouvernement socialiste, plan qui reçut bien évidemment l’aval de la Commissions européenne, mais qui prit de cours le peuple hongrois dont on fit décidément peu de cas dans cette affaire. Ainsi le plan présenté en 2006 prévoyait-il de ramener le déficit public de 10,1 % du PIB en 2006 à 3,2 % en 2009, l’objectif étant 6,8 % en 2007 ; une hausse de 2 % des cotisations sociales, pour moitié à charge des salariés ; une hausse du taux minimum de TVA (sur la nourriture et les services de base), de 15 % à 20 % ; et une hausse des prix du gaz (30 %) et de l’électricité (8 %). Le peuple hongrois se vit ainsi sommé de payer les erreurs du gouvernement précédent par ceux-là même qui l’avaient conduit ! Autant dire que l’opposition ne désarma pas, malgré la poursuite des tentatives européennes pour l’assimiler dans son ensemble aux courants les plus extrémistes.
Malgré les pressions européennes, l’opposition anti-gouvernementale ne désarme pas
Ainsi, lors de nouvelles émeutes qui éclatèrent en octobre 2006, après les commémorations du 50e anniversaire de 1956, évoqua-t-on des « affrontements très violents de la nuit précédente entre manifestants globalement d’extrême-droite et la police anti-émeutes », et de préciser, toute honte bue, que la cassette sur laquelle on entend Gyurcsany affirmer ouvertement avoir menti à ses administrés, « n’a été qu’un prétexte au déchainement d’une mouvance d’extrême-droite, composée de militants de plus en plus jeunes issus de milieux défavorisés…Ces skinheads fomenteraient le projet de discréditer le Hongrie à l’extérieur pour mieux l’isoler », tout en évoquant la « collusion tactique [de Viktor Orban] avec les milieux les plus radicaux » , histoire de boucler définitivement la boucle d’un amalgame des plus simplistes. Les articles dénonçant une montée, réelle ou supposée, de l’extrême-droite nationaliste en Hongrie, incluant les troupes de la Fidesz conservateur, ne cesseront plus de paraître. Ainsi vit-on les uns affirmer que s’étend, dans tout le pays magyar, « le sentiment nationaliste, revanchard, voire totalitariste » et évoquer une Hongrie gagnée par le « nationalisme conservateur et identitaire » , et les autres agiter le spectre des Croix-Fléchées, les « vieux démons » de la Hongrie et les « 50.000 manifestants d’extrême-droite [qui] se sont réunis autour du Parlement le jour où les partis, de gauche ont choisi György Bajnai comme Premier ministre [et successeur de Ferenc Gyurcsany] », tout en rappelant que la Hongrie et la Roumanie sont « les deux dernières puissances non repentantes de l’Axe » Mais tous ces effets de manche et ces tentatives de la presse européenne pour noyer le poisson du désastre économique hongrois résultant, en grande partie, des errements du gouvernement socialiste Gyurcsany, n’influencèrent guère les électeurs hongrois qui allaient offrir à la Fidesz de Viktor Orban, une large victoire électorale lors des élections européennes de 2009. A l’issue de ce scrutin, la Fidesz remporta 56,3 % des voix et 14 des 22 sièges à pourvoir au Parlement européen. Une victoire qui en préparait une autre, celle des législatives de 2010.
L’avènement du gouvernement Orban II
Après trois années de gouvernement Gyurcsani et suite à la crise financière de 2008, la situation économique de la Hongrie s’est brutalement détériorée. En 2009, la récession s’est établie à 6 % du PIB, le taux d’inflation dépassait les 4 %, le taux de chômage se maintenait au-dessus de 10 % de la population active, le déficit budgétaire représentait encore 7 % du PIB, et la dette publique se montait à 65 %. En mars 2009, le Premier ministre Ferenc Gyurcsany prit la décision de démissionner en faveur du ministre de l’Economie, un indépendant nommé György Gordon Bajnai. Son bref mandat sera essentiellement marqué par la rigueur budgétaire et il décidera de ne pas se représenter à sa succession lors des élections législatives de l’année suivante, remportées par la Fidesz. De fait, à l’issue du scrutin qui se déroula les 11 et 25 avril 2010, la Fidesz obtint 52 % des suffrages et acquit 263 sièges (+99) sur 386, soit plus que la majorité des deux tiers qui ne nécessite que 258 élus. Le 29 mai 2010, après huit années d’opposition, Viktor Orban redevint ministre-président de Hongrie. C’est le début d’un bras de fer entre Budapest et Bruxelles, l’Union européenne s’opposant ou critiquant systématiquement toutes les mesures et réformes adoptées par le gouvernement Orban II, qui désormais ne cesse de se voir taxer de dérives nationalistes, extrémistes, autoritaires, voire revanchistes. L’UE peut, en outre, appuyer ses accusations en prenant à témoin la victoire du parti nationaliste Jobbik-Mouvement pour une meilleure Hongrie qui a raflé 47 sièges (+47) au parlement hongrois, alors que les socialistes du MSzP n’en obtenaient en définitive que 59 (-127).
Éric Timmermans, pour Novopress