Le rassemblement de l'extrême gauche à la Bastille ce 5 mai a donné lieu à des commentaires contrastés au gré des évaluations contradictoires du nombre de participants. Lui-même revendique un triomphe et 180 000 personnes.
"Pari réussi, affirme L'Humanité (1)⇓ : 180 000 personnes ont marché pour la VIe République et contre l'austérité. Militants Front de gauche, Verts, du NPA, associatifs, syndiqués et simples citoyens de gauche ont défilé en nombre ce dimanche 5 mai de la Bastille à Nation. Ils sont venus avec chacun leur mot d'ordre, et se retrouvent majoritairement autour de deux idées fortes : non à l'austérité et au pouvoir de la finance et pour une VIe république, plus sociale et plus juste."
On note toutefois que le site quotidien communiste place cette recension enthousiaste en 7e ou 8e position, bien après le soutien apportée par la CGT à la grève des éboueurs.
L'organisateur du spectacle avait fixé la barre à 100 000 participants.
Le quotidien Le Monde lui en accorde péniblement 45 000. Il se montre un peu plus généreux que la préfecture de Police dont les chiffrages ont beaucoup perdu en crédibilité ces derniers temps mais qui parle de 30 000 manifestants. Le parti communiste avait grandement mobilisé. Certes, les coups de gueule de son allié ne saurait fatiguer le personnel de la place du colonel Fabien, car les démons ne dorment jamais. Mais elles commencent à le desservir. Le vieil appareil stalinien avait cependant affrété plus de 200 cars et il annonçait la venue en Ile de France depuis les autres régions de plus de 15 000 de ses militants et permanents. (2)⇓
Laissons dès lors la bataille des chiffres. Elle est devenue lassante depuis les sous-évaluations des mobilisations contre la loi Taubira. Notons que ce dimanche encore ces dernières ont encore démontré que les Français semblent accorder plus d'importance à ce dossier qu'à ceux dont le Front de gauche cherche à tirer argument pour se défausser de l'alliance électorale avec le parti socialiste. Le rendez-vous national du 26 mai risque fort de démontrer que le vote d'assemblées politiciennes mal élues n'impressionne pas des gens qui, à tort ou à raison, se sentent de plus en plus l'émanation du pays réel.
Après tout des pancartes "on veut du boulot pas du mariage homo" sont régulièrement brandies dans les différentes "manifs pour tous", réputées droitières. Elles ne manquent pas d'un certain réalisme. À l'inverse, la mise en avant, par les démagogues et les agitateurs de gauche et d'extrême gauche, des grosses usines en difficulté passent, elles, complètement à côté du véritable problème du chômage en France.
Rappelons-le en effet, au besoin lourdement : ce que nous avons pris l'habitude d'appeler les "plans sociaux" représente moins de 5 % de la clientèle de Pôle Emploi. N'en déplaise au camarade Montebourg ce ne seront pas les subventions aux sites en déconfiture qui créeront des emplois puisque ces allocations stériles de capital seront effectués aux frais de la substance productive du pays.
L'opposition tribunicienne à la Mélenchon cherche des points de rupture, sinon avec l'alliance électorale de gauche, du moins avec l'image de marque du pouvoir actuel. Il se révèle en effet de plus embarrassant de chanter "Debout les damnés de la Terre, debout les forçats de la faim" au voisinage de la gauche caviar dont on attend finalement de partager les miettes. Cela se voit et cela irrite les plus dociles. Les questions relatives au patrimoine de nos dirigeants et ministres intègres deviennent de plus en plus gênantes et on finit par se demander si l'affaire Cahuzac n'a pas simplement servi de détonateur. Soulignons par exemple que le camarade Plenel, figurait avec des gens comme Eva Joly et quelques autres habitués du compagnonnage à la tête du rassemblement mélenchonien.
Voici en effet ce que Plenel servait, en vue de cette manif, le 4 mai aux abonnés de Mediapart :
Sous le titre "L’heure de vérité" et sous la signature du fondateur de ce site Edwy Plenel on pouvait lire : "Sous l’effet de souffle de l’affaire Cahuzac, la Cinquième République vacille. Tandis que François Hollande s’enferme et s’isole dans un présidentialisme archaïque, toujours fatal à la gauche, la droite accentue sa dérive extrémiste, appelant à « un nouveau 1958 », autrement dit à un coup d’État. Au peuple d’avoir l’audace qui manque à ses gouvernants : imposer la nécessaire refondation démocratique de la République."
Certains se demandent simplement pourquoi Plenel et ses copains s'arrêtent en si bon chemin. Méchant comme se révèlent souvent les clowns, Mélenchon met en cause la compétence du chef de l'État. La foule du 5 mai réclame même sa démission. Mais pourquoi tous ces gentlemen ne le passent-ils pas au crible du détecteur de fortune et de l'inspection des mensonges ? (3)⇓
Tout semble indiquer en effet qu'il se posent surtout désormais une question strictement politicienne. Ne préfèrent-ils pas conserver un pied dans le marigot gouvernemental, avec un Montebourg, avec quelques écolos, etc. plutôt que de lancer du dehors des imprécations sans lendemain. Ces tergiversations risquent d'abord de leur coûter cher : ceci ne me chagrine qu'à moitié. Mais elles peuvent aussi, beaucoup plus gravement, peser sur l'avenir du pays, tant que l'ambiguïté demeurera. Et elle règne depuis un an, 365 jours de trop.
JG Malliarakis http://www.insolent.fr/
Apostilles
1 cf. L'Humanité du 6 mai ⇑
2 cf. Le Monde en ligne le 03.05.2013 à 10h10 ⇑
3 Il faut recommander à cet égard tant qu'elle est accessible sur Youtube, l'intéressante vidéo de "Borowic" qui semble situer assez correctement le problème : "Hollande a-t-il menti sur son patrimoine"..⇑