Guerre entre industriels, indécision de la France et de l’Allemagne, multiplication d’accords non respectés… Trois raisons qui ont cloué au sol tous les projets de drones de reconnaissance et de surveillance (MALE) en France. Industriels et responsables politiques se partagent les responsabilités de cet incroyable fiasco. Au final, Paris va acheter des drones américains Predator Reaper. Récit.
Difficile de mieux résumer un fiasco politique, industriel et militaire d’une telle envergure : “La France a raté le rendez-vous des drones (…) ce qui est invraisemblable pour une nation qui a un savoir faire technologique, aéronautique, électronique considérable avec des entreprises majeures qui étaient en situation de pouvoir le faire“, a ainsi reconnu il y a une dizaine de jours le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian.
On croirait presque à un coup monté, tant les gouvernements successifs (de droite comme de gauche) ont savamment sabordé depuis le début des années 2000 tous les projets de programmes de développement d’une arme qui, au fil des conflits, est pourtant devenue indispensable aux armées modernes dans le ciel de tous les théâtres d’opérations.
Comment la France a-t-elle pu manquer à ce point le virage des drones alors que bien rares sont les pays qui disposent d’autant de compétences grâce aux Dassault Aviation, EADS, Safran et autres Thales pour créer une filière industrielle solide? Au final, la France, pourtant si fière de son autonomie stratégique en matière militaire, est contrainte aujourd’hui de quémander aux États-Unis des drones MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance), les fameux Reaper (faucheuse en français).
Un programme mal né dès 2004
Tout commence véritablement en 2004. Par un exploit. Mais un exploit qui fragilisera dès le départ le projet de drone EuroMale (ancêtre du Talarion) mal né, qui ira de déboires en déboires. Lors du salon de l’armement terrrestre Eurosatory en juin 2004, la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, force Dassault Aviation, qui s’était pourtant allié avec Sagem (depuis Safran), et EADS à former un partenariat contre-nature dans les drones.
Le groupe européen monte à bord du démonstrateur de drone de combat Ucav (avion sans pilote), le Neuron lancé un an avant et piloté par Dassault Aviation. En contrepartie, EADS doit accepter l’arrivée de Dassault Aviation, qui traîne des pieds, dans le programme EuroMale.
Les deux électroniciens, Thales et Sagem sont également conviés pour se partager un budget de 300 millions d’euros. Un drone MALE qui doit voler en 2008. C’est un peu le “Yalta” des drones, qui se fait aux dépens de Thales, qui avait pourtant un accord de co-maîtrise d’oeuvre avec EADS. En outre, l’électronicien devra repousser à l’automne une opération de rachat inamicale par le groupe franco-allemand… allié à Dassault Aviation.
Bref, le programme EuroMale regroupe des entreprises, qui ne s’aiment pas et ne s’accordent aucune confiance. Mais pour Michèle Alliot-Marie, alors très optimiste, EADS et Dassault ont “signé un accord fondateur sur les drones, Male et Ucav, qui préfigure l’avenir de l’industrie européenne des avions militaires, de combat et de reconnaissance”. A voir…
Après l’enthousiasme des signatures, EADS rencontre très vite des difficultés à fédérer autour de lui un projet européen de drone d’observation. Les pays européens, notamment l’Allemagne, sont déjà en panne de budget et rechignent à passer à la caisse. Pourtant, le ticket de lancement est estimé à 340 millions d’euros, une goutte d’eau pour un projet en partenariat.
Problème financier, mais pas seulement. Berlin renacle car le projet, tel qu’il est configuré par les Français, ne correspond pas à ses besoins opérationnels identifiés. La Bundeswehr, son armée, veut un drone de reconnaissance quand la France n’en a pas besoin grâce son système RECO-NG, qui équipe ses avions. Fin 2005, le constat est clair : premier échec pour EADS.
Seule l’Espagne souhaite monter à bord de l’EuroMale en y apportant 40 millions d’euros. La France est quant à elle prête à financer à hauteur de 75 millions d’euros, EADS apportant enfin 100 millions en autofinancement. Pas assez pour lancer le programme.
La guerre des drones aura bien lieu
Si le programme EuroMale a du plomb dans l’aile, EADS ne joue pas non plus réellement franc-jeu avec Dassault Aviation sur le Neuron. A la grande surprise de l’avionneur tricolore à l’été 2005, le groupe européen travaille sur un projet de démonstrateur d’Ucav concurrent du Neuron, le Barracuda.
Un peu plus d’un an après la signature, le “Yalta” des drones vole en éclat. D’autant que la guerre va s’intensifier début 2006, en coulisse entre les trois grands du secteur de la défense en France, EADS, Thales et Dassault Aviation.
Après avoir été sélectionné par le MoD (ministère de la Défense) britannique pour fournir un drone tactique Watchkeeper, Thales se sent pousser des ailes en France et veut sa revanche sur EADS. Sentant son rival dans une impasse, l’électronicien n’hésite pas à chasser sur le pré carré du groupe européen en faisant une offre non sollicitée à la DGA. Il propose une version francisée du programme britannique Watchkeeper. Ce programme présente “une alternative fonctionnelle beaucoup plus intéressante aux projets de drones de reconnaissance à l’étude en France”, estime alors le PDG de Thales, Denis Ranque. Sans succès en dépit du prix attractif du programme.
EADS est dans l’impasse et l’avoue même publiquement en juin 2006 lors du salon d’Eurosatory. “Nous sommes dans une impasse alors que nous avons un projet et déjà réalisé des investissements”, regrette alors le patron de la division défense d’EADS, Stefan Zoller. Ce constat pousse le groupe européen à changer son projet EuroMale en proposant une plate-forme européenne (via son projet développé sur fonds propres Barracuda) pour satisfaire les exigences de la DGA, qui souhaite avoir une maîtrise européenne totale sur cette technologie.
Du coup, EADS est contraint de mettre sur la touche son partenaire israélien IAI, qui devait lui fournir la plate-forme Eagle 2 pour EuroMale. La DGA, qui a toujours soutenu un programme en coopération, maintient la confiance à EADS en dépit des proposition de Thales. En juin, un accord semble se dessiner “à condition d’un coût acceptable”. EADS, qui a déjà perdu plus de 120 millions d’euros sur ce projet, persévère. Un drone MALE est désormais attendu en 2013-2014.
Dassault Aviation quitte le projet
Il faudra attendre un an de plus pour que le projet aboutisse dans la douleur. A l’automne 2006, EADS remet tant bien que mal un projet de drone européen de surveillance, et non plus d’observation. Un compromis entre les besoins opérationnels français (observation) et allemand (reconnaissance) pour faire monter Berlin dans le programme.
Soutenu par Michèle Alliot-Marie, EADS négocie alors avec trois pays européens – Allemagne, France et Espagne – le lancement d’un programme nouvellement baptisé Advanced UAV. Exit EuroMale.
Ce nouveau projet réduit à la portion congrue la charge de Dassault Aviation. Furieux, le patron de l’avionneur, Charles Edelstenne, refuse de poursuivre avec EADS. L’alliance, qui préfigurait “l’avenir de l’industrie européenne des avions militaires, de combat et de reconnaissance” est bel et bien cassée.
Au début de l’année 2007, la guerre des drones s’intensifie. Thales et Dassault Aviation, qui a dû mal à digérer ses démêlés avec EADS, proposent à la DGA au printemps deux projets de drone, l’un à court terme pour satisfaire les besoins opérationnels de l’armée française, et l’autre à long terme, qui serait le concurrent de l’Advanced UAV. En vain.
La DGA maintient sa confiance à EADS. Et tord le bras à Thales pour qu’il reste dans l’Advanced UAV et surtout qu’il ne fasse pas capoter le programme. La ministre de la défense aurait eu recours à la pression sur d’autres programmes en cours de discussions entre la DGA et Thales, explique-t-on alors dans les milieux de la défense. Ce qui ravit EADS, où on explique que Thales a été “remis à son rang d’équipementier, son rôle normal dans les systèmes”.
Dassault Aviation lance un projet de drone MALE concurrent
A la veille du salon aéronautique du Bourget, en juin 2007, Charles Edelstenne ne décolère pas sur le dossier drone Male. “Le budget français, déjà contraint, va servir à dupliquer hors de France des compétences qui existent déjà en France, explique-t-il alors lors d’une conférence de presse. Je le déplore et les leçons des programmes en coopération ne sont pas apprises“. Et le PDG de Dassault Aviation annonce avoir conclu une coopération sur un drone MALE avec Thales qui, lui, reste plutôt discret sur ce projet.
Et pour cause… On apprendra plus tard que Dassault Aviation et Thales ont remis en novembre une proposition non sollicitée engageante pour fournir à la France un système de drones de surveillance, élaboré à partir d’une plate-forme israélienne (Heron TP fabriqué par IAI), qui pourrait être livré dès 2012, voire 2013. L’espagnol Indra rejoindra le programme, qui sera dévoilé avec beaucoup de jubilation à la presse par Charles Edelstenne en juin 2008.
EADS, qui a le soutien de la DGA depuis quatre ans, a quant à lui enfin son projet et ses contributeurs, Allemagne, Espagne et France. Le groupe européen propose de reprendre dans son projet de drone MALE les technologies développées par le biais du démonstrateur allemand Barracuda.
Le projet d’EADS prévoit de lancer dans un premier temps un drone de surveillance, puis de reconnaissance pour le besoin de l’armée allemande. La signature était attendue au début du salon du Bourget. Mais c’était sans compter sur les lenteurs administratives du ministère de la Défense allemand.
Le 22 juin 2007, la DGA publie un communiqué sur une coopération entre la France, l’Allemagne et l’Espagne. Les trois pays “s’accordent sur un arrangement technique pour une phase de réduction de risques d’un Advanced-UAV“. Ce qui sera confirmé quelques mois plus trad en décembre avec la notification à EADS par la France, l’Allemagne et l’Espagne d’un contrat d’études de réduction de risques pour l’Advanced UAV, un programme qui pèse 2,8 milliards d’euros, dont environ 1,3 milliard pour le développement partagé à parts égales.
Les trois pays ont exprimé un besoin de quinze systèmes (six respectivement pour la France et l’Allemagne, trois pour l’Espagne). Ce drone est désormais attendu à l’horizon 2015 pour équiper les trois armées.
Nouveau président de la République, nouvelle donne
Avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée en 2007, le projet drone MALE va entrer dans une période de calme plat… qui annoncera de nouvelles de turbulences. Le lancement d’un grand programme de drone européen est désormais suspendu en France aux conclusions du Livre blanc sur la défense, qui ne sera finalement dévoilé qu’en juin 2008.
En clair, le besoin opérationnel de ce système devra être démontré par le Livre blanc, puis entériné par le ministère de la Défense. Et ce même si les trois pays partenaires du programme Advanced UAV (Allemagne, Espagne et France) viennent de notifier fin 2007 à EADS en tant que maître d’œuvre un contrat de réduction de risques d’une durée de quinze mois d’un montant de 60 millions d’euros (20 millions par pays).
Pour autant, le programme drone tombe un peu dans l’oubli des décideurs politiques. Plus personne ne semble pressé.
EADS se rappelle toutefois au bon souvenir du ministère de la Défense lors du salon du Bourget 2009. Le président exécutif du groupe européen, Louis Gallois, un rien requinqué après avoir enfin livré en juin 2008 le drone Male SIDM (intérimaire), rappelle à la France qu’elle “a besoin d’un drone”. “Même s’il y a le SIDM (Harfang) qui fonctionne déjà en Afghanistan, il faut d’ores et déjà préparer la génération suivante. Le programme Advanced UAV répond aux besoins européens. Nous souhaitons une décision aussi vite que possible. C’est une coopération européenne qui peut, au-delà de l’Espagne, la France et l’Allemagne, inclure la Turquie“. Et d’estimer que l’Advanced UAV devrait être disponible en 2015-2016.
Drone de malheur pour EADS
Fin 2009, les premières rumeurs sur un lâchage d’EADS commencent à circuler. Le groupe européen est au bord de perdre un contrat estimé à 2,9 milliards d’euros portant sur le développement d’un programme de drone de théâtre Male, rebaptisé Talarion (ex-Advanced UAV) et l’achat des systèmes. « Plus personne n’a envie de le faire », affirme-t-on alors à La Tribune. Pourquoi ? Hors de prix, trop risqué, assurent des sources concordantes. D’autant que la loi de programmation militaire (LPM) n’a prévu sur 2009-2014 que 139 millions d’euros pour le segment Male. Peu, trop peu pour lancer ce programme.
Plus tard, le Délégué général pour l’armement, Laurent Collet-Billon, expliquera que “l’opération a été arrêtée parce qu’elle conduisait à un objet trop volumineux qui ne correspondait pas aux besoins de l’armée française. La première partie du travail sur Talarion portait sur la création d’un porteur.
Or cette opération, qui aurait été intégralement réalisée en Allemagne, nous aurait conduits jusqu’en 2017. Se posait aussi la question de la participation de notre industrie à la réalisation des capteurs. Nous n’avons donc pas poursuivi cette opération. Cela n’a d’ailleurs laissé aucune séquelle dans les relations entre l’Allemagne et la France”.
EADS est encore dans le flou début 2010 même si le groupe pressent certaines menaces. Si l’Allemagne, la France et l’Espagne ne passent pas de commandes fermes pour cet avion sans pilote d’ici à l’été, “nous devrons geler ce programme”, déclare en janvier 2010 au Financial Times Deutschland, le responsable de la branche défense d’EADS, Stefan Zoller, qui entretient de très mauvais rapport avec la France, notamment la DGA, ainsi qu’avec Dassault Aviation.
Le patron d’EADS Défense a sa part de responsabilité dans le fiasco du Talarion. “Il n’a jamais voulu écouter le client français”, explique-t-on à “La Tribune”. C’est d’ailleurs, à cette époque qu’une option américaine (Predator Reaper) est pour la première fois envisagée par Paris.
En juin 2010, le ministre de la Défense, Hervé Morin, confirme à “La Tribune” que la France regarde bien le programme Predator. “J’ai appelé Robert Gates pour lui demander d’accueillir Laurent Collet-Billon chez General Atomics afin que ce groupe puisse répondre aux questions que nous nous posons.
Nous avons déjà acheté aux Américains des matériels stratégiques comme les avions Awacs ou les Hawkeye. Il faut arriver à concilier les besoins opérationnels, les moyens budgétaires fixés par la LPM et la volonté de soutenir l’industrie française. Encore une fois, il s’agit d’explorer toutes les options possibles et d’en écarter aucune”.
Nicolas Sarkozy siffle la fin de la partie
Le changement de cap de Paris est dicté par la crise financière qui fait des ravages et impacte les budgets, dont celui de la défense. Surtout, cette décision brise les derniers espoirs d’EADS de lancer le Talarion. La DGA, furieuse de sa coopération avec EADS, en rajoute au coeur de l’été une louche sur les déboires du programme Talarion : “la problématique du drone MALE est simple, la première proposition française est à 1,5 milliard d’euros alors que le drone Predator américain coûterait autour de 700 millions d’euros. Il me semble qu’il y a une contradiction pour un industriel (EADS, Ndlr) à demander à l’État de l’aider à exporter ses matériels et, dans le même temps, de lui proposer d’acheter un produit qui coûte 800 millions d’euros de plus qu’un produit étranger concurrent“.
Quatre solutions alternatives sont alors envisagées : l’achat de drones américains Predator, une offre commune de Dassault Aviation et Thales, ou de Dassault avec IAI sur la base des Harfang, ainsi qu’une éventuelle coopération entre Dassault Aviation et les Britanniques avec le Telemos.
En novembre 2010, la France et le Royaume-Uni annoncent un appel d’offre de drones en 2011 pour une livraison entre 2015 et 2020, suivi d’un projet de recherche commun à partir de 2012 pour créer un drone nouvelle génération après 2030.
Au début de l’année 2011, la messe est dite pour EADS, qui continuera pourtant à se battre pour imposer sa solution. A raison car entre Londres et Paris, les relations sont tout aussi compliqués qu’entre Berlin et Paris sur les drones. Au Bourget 2011, les Britanniques ont d’ailleurs salement cassé l’ambiance en demandant pratiquement la veille de l’inauguration du salon à Nicolas Sarkozy de ne pas mentionner la concrétisation de leur alliance.
Ce qui a enlevé à ce dernier le plaisir d’annoncer une avancée notoire de l’axe franco-britannique dans un domaine de la défense, le point fort de son discours. Pourtant, une dizaine de jours avant le Bourget, le ministre de la Défense britannique, Liam Fox, avait donné son accord à son homologue français Gérard Longuet. Mais Liam Fox n’avait pas le feu vert du Chancelier de l’Échiquier, qui ne dispose pas des budgets pour lancer le programme de drone Telemos (surveillance et reconnaissance) . Londres ne voulait pas d’une crise ministérielle ouverte.
Ce n’est en juillet 2011 que la France choisit officiellement l’industriel qui fabriquera le drone MALE intérimaire. Le ministre de la Défense, Gérard Longuet, décide lors du Comité ministériel d’investissement (CMI) l’entrée en négociations avec Dassault Aviation. L’avionneur devra fournir aux armées françaises en 2014 un système de drones, baptisé Voltigeur, selon le communiqué du ministère de la Défense.
Un choix qui devrait permettre à l’avionneur “de commencer à structurer une filière industrielle en préparation du futur système de drone Male franco-britannique“. Dans la foulée, Israël Aerospace Industries (IAI) vend à la France la plate-forme Héron TP, qui sera francisée par Dassault Aviation, pour environ 500 millions de dollars, selon des responsables d’IAI. Une décision beaucoup trop tardive : le programme ne sera pas sécurisé au moment de la prochaine élection présidentielle.
Le nouveau ministre Jean-Yves Le Drian rebat à nouveau les cartes
En février 2012, Cassidian est tout prêt de jeter l’éponge et annonce son intention de mettre fin au programme Talarion, après avoir échoué dans l’obtention d’un soutien financier des acheteurs potentiels. Mais nouveau coup de théâtre. Le nouveau ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, décide lors de sa première conférence de presse une “remise à plat” du dossier sur les drones. Il doit “avant le 14 juillet” confirmer ou changer d’orientation la politique en la matière. Un énième stop and go.
Mais en juillet, point de décision. De nouvelles rumeurs remettent en piste l’idée de l’achat du drone américain Predator Reaper. Jean-Yves Le Drian, semble effectivement s’acheminer vers un achat américain, ce qui serait dans son esprit une solution intérimaire.
“Il n’y a pas actuellement d’offre nationale ou européenne disponible sur le marché en matière de drones. Il faut faire des choix et préparer des alternatives, avec des perspectives européennes“, a-t-il expliqué lors de l’été 2012 aux députés de la commission de la défense. Jean-Yves Le Drian prépare déjà les esprits à un achat sur étagère de drones américains.
Paris et Berlin se rapprochent
Pour EADS, cela marque la fin de l’histoire du Talarion. Fin juillet, le groupe européen annonce que le programme, n’ayant trouvé aucun acheteur ferme, est abandonné. Il est même présenté comme European UAS sur le site de la société et lors de salons. EADS, qui a perdu beaucoup d’argent sur ce projet, peut encore espérer faire fructifier les compétences acquises lors du développement du Talarion. Notamment dans le cadre de la coopération franco-allemande initiée en septembre 2012 par Paris et Berlin.
Les deux capitales se sont mises d’accord sur un “ensemble commun de besoins opérationnels clés” dans le domaine du drone Male. Les deux nations évalueront la possibilité d’une coopération opérationnelle comme étape intermédiaire. La France et l’Allemagne s’efforceront d’harmoniser les structures et les processus nécessaires afin de permettre aux deux pays de lancer la réalisation de ce projet.
De son côté, Paris veillera à ce que ce travail soit pleinement cohérent avec les engagements pris entre la France et le Royaume-Uni sur ce sujet dans le cadre du traité de Lancaster House. Ils ont également pour objectif “d’approfondir les possibilités d’une coopération européenne”, selon le communiqué du ministère de la Défense.
Dans une interview accordée en septembre à La Tribune, le secrétaire d’État à la Défense allemand, Stéphane Beemelmans, explique la portée de cet accord : “nous allons étudier les possibilités de réalisation d’un drone commun sur la base de spécifications militaires communes. L’idée est d’avoir un drone disponible à l’horizon 2020-2023.
Deuxième nouveau volet, nous voulons étudier la création d’une unité franco-allemande de drones qui couvrirait la période intermédiaire jusqu’en 2022/2023, et qui mettrait en commun les travaux effectués sur les drones jusqu’ici, et se poursuivrait probablement après l’entrée en service d’un nouveau drone commun“.
Discussions entre les États-Unis et la France
Dans le même temps, la France se rapproche des États-Unis pour une éventuelle acquisition de Reaper. “Le ministère de la Défense a entamé à cette fin des discussions informelles avec l’industriel américain General Atomics, fabricant du fameux drone, a expliqué en octobre Laurent Collet-Billon aux députés de la commission de la défense de l’Assemblée nationale. Si nous voulons doter nos forces très rapidement de moyens opérationnels, la seule source, ce sont les États-Unis, avec tous les inconvénients connus, notamment en matière de maîtrise des logiciels et de certains capteurs“.
Le Royaume-Uni et l’Italie possèdent déjà des drones de General Atomics. L’Allemagne a déposé en janvier 2012 une demande de FMS – Foreign Military Sale – pour l’acquisition de Reaper. “L’Allemagne et la France ont du reste engagé une réflexion, en cohérence avec nos travaux avec le Royaume-Uni, sur la possibilité d’entreprendre en commun une démarche d’européanisation des équipements et, progressivement, du drone“, rappelle à l’automne 2012 Laurent Collet-Billon.
Des Reaper dans l’armée de l’air française
Quel drone MALE équipera l’armée de l’air française et surtout quand pourra-t-elle les avoir ? Car le temps presse. Un contrat semble proche. L’armée de l’air en a besoin très rapidement pour le Mali en complément des deux vieux-jeunes drones Harfang d’EADS (drones francisés à partir d’une plate-forme israélienne Heron développée par IAI au début des années 90) mise en service seulement en juin 2008.
Une plate-forme déjà dépassée en raison des atermoiements du ministère de la Défense, puis du retard du programme qui devait être livré initialement en 2003. “Les drones de surveillance, Harfang et SDTI, sont aujourd’hui frappés d’obsolescence“, a reconnu publiquement la semaine dernière le ministère de la Défense.
La France est donc aujourd’hui pris au piège de son indécision. Car l’armée de l’air veut disposer avant la fin de l’année de ce type de matériels que les industriels français n’ont évidemment pas aujourd’hui en catalogue. Et pour avoir des Reaper opérationnels avant la fin de l’année, Paris ne pourra compter que sur des matériels… non francisés.
Donc sous le contrôle de Washington, qui autorisera ou non certaines missions. “La nécessité d’une acquisition à brève échéance et d’une utilisation opérationnelle immédiates sont confirmées pour la surveillance et l’observation de la bande sahélienne et ne permettent pas le développement d’un nouveau programme“, a expliqué le ministère de la Défense.
Selon nos informations, la France devrait recevoir avant la fin de l’année deux drones Reaper et une station de contrôle au sol pour les employer au Mali. Le contrat pourrait être signé de façon imminente. Pour le ministère de la défense, cela ne fait aucun doute. Et peu importe si les Etats-Unis auront un oeil sur ce que font les Français. “C’est déjà le cas avec les Awacs (les avions radars français, ndlr), non ?”, rappelle une source proche du dossier.
En outre, “dans les réflexions, il est apparu nécessaire de franciser la charge utile (les liaisons de données et les capteurs spécifiques)“, a précisé l’hôtel de Brienne. Mais ce ne sera que dans un deuxième temps avec l’achat d’un second lot : au total, la France pourrait acheter quatre Predator Reaper. Car il faut en moyenne entre deux et quatre ans pour franciser les Reaper (capteurs, et liaisons satellitaires notamment), selon le degré de francisation.
Soit au mieux en 2015 si Paris obtient le feu vert du Congrès américain cette année, voire début 2014. Sans compter que la France veut à terme armer ses drones. Paris devrait appeler Rome. Depuis deux ans, l’Italie, qui a demandé l’autorisation aux Etats-Unis d’armer ses Reaper, attend toujours avec agacement une réponse de Washington. Du coup, les Italiens menacent de travailler avec des partenaires sur un projet de drone alternatif qui pourrait entrer en service en 2017-2018.
Dassault et EADS prêts à coopérer
Aujourd’hui, Dassault Aviation et EADS sont prêts à coopérer, explique-t-on à La Tribune. Le départ de Stefan Zoller du groupe européen a semble-t-il pacifié quelque peu leurs relations houleuses. “Si une demande existait, il n’y aurait pas de problème pour faire un drone entre les industriels. Bae Systems, EADS et Dassault pourraient trouver un terrain d’entente dès lors que les pays auraient émis un besoin commun“, a récemment assuré le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier, soulignant que les industriels discutaient déjà entre eux.
Il a souligné que, sur ce point, aucun besoin n’a pour l’heure été défini. “Je n’ai pas vu de besoins communs exprimés vers nous (industriels) qui couvrent les besoins allemands, français et britanniques. Cette demande n’existe pas”, a-t-il commenté. Le patron de Cassidian, Bernhard Gerwert, a assuré mi-mai de son côté que “nous avons besoin d’un programme de drones armés, pour que l’Europe s’affranchisse des Américains et des Israéliens. Si nous ne le lançons pas, c’est mort pour nous”.
Pour l’heure, les deux industriels, Dassault Aviation et EADS, lorgnent la francisation des drones que va acheter la France. Le patron d’EADS, Tom Enders, a confirmé en mars dernier son intérêt pour les opérations de francisation du drone américain Reaper si la France validait cette option. Nous avons fait savoir au gouvernement français que nous étions intéressés par la francisation de ce drone, a-t-il expliqué aux sénateurs. Le groupe européen a déjà francisé les drones Harfang (plate-forme israélienne Eagle One).
C’est le cas également d’Eric Trappier a indiqué supposer “une certaine francisation” des drones qui seront achetés, “c’est-à-dire avec une capacité d’être opérés de France et en France pour les problèmes de fréquences” aériennes. Il a rappelé que Dassault Aviation avait déjà travaillé avec les Israéliens sur le drone Heron TP et était capable de le franciser. “Cette offre avait été discutée à une certaine époque et est toujours valide”, a-t-il fait valoir.
Jean-Yves Le Drian à la manoeuvre
Jean-Yves Le Drian est prêt à emprunter cette voie… mais dans un second temps. Il y a une dizaine de jours au “Grand rendez-vous Europe1-Itélé-Le Parisien, il a justifié l’achat par la France de deux drones aux États-Unis en expliquant que la France avait “raté le rendez-vous des drones” et confirmé des discussions également avec Israël pour l’achat d’autres appareils.
La France doit notamment acheter deux drones de surveillance Reaper aux USA pour une livraison avant la fin 2013 afin de soutenir ses opérations au Mali. “La France a regardé chez les deux pays proposant des solutions MALE sur le marché, les Etats-Unis, avec le drone Reaper, et Israël avec le Heron-TP. La discussion est plus avancée du côté américain, dans la mesure où le drone Reaper semble répondre plus immédiatement aux principaux besoins français“, a confirmé le ministère de la Défense.
Interrogé sur le nombre de drones que la France comptait acquérir, le ministre n’a pas souhaité répondre. “Il nous en faut quelques uns mais je ne vais pas livrer ici les discussions que nous avons avec les uns et les autres. Dans le livre blanc de la Défense, on en annonce douze”, a-t-il rappelé en précisant qu’il s’agissait de drones d’observation mais pas armés. Le Livre blanc fixe une cible à 30 drones tactiques et 12 drones MALE.
“Seulement, il n’y en a pas” de disponible tout de suite, a-t-il regretté. Alors qu’est-ce-qu’on fait ? On attend que peut-être un jour certains industriels décideront d’agir d’ensemble pour le produire ? Mais ça sera quand ? Dans dix ans. Mais il y a une urgence et j’assume cette responsabilité“, a lancé le ministre de la Défense tout en précisant qu’il s’agit pour la France d’une solution provisoire.
C’est vrai mais comme tous les autres responsables politiques, il a une part de responsabilité. Il a fait perdre du temps avec une nouvelle remise à plat du programme de drone confié à Dassault Aviation au début de l’été 2012. Depuis, une année a été perdue… Et visiblement, les industriels attendent toujours une fiche programme, à défaut un appel d’offre.