Par Aristide Leucate *
Souvent pris l’un pour l’autre et vice et versa, monarchie et royalisme recouvrent des acceptions pourtant bien différentes, qui peuvent confluer dans le même sens lorsqu’on les conjugue ensemble. C’est l’objectif de cet article que d’en explorer les principes et les fins.
La légitimité monarchique
La monarchie est un régime politique dans lequel le pouvoir est confié et éventuellement exercé par un seul titulaire, conformément à son étymologie grecque. Le royalisme serait plutôt l’application politique de la monarchie entendue alors comme un système reposant sur l’institution royale, le roi en devenant alors la clé de voûte. Monarchie et royalisme sont indissociables (voir ci-dessous) si l’on veut que l’idée royaliste s’incarne dans le monarque. Les deux Napoléon étaient des monarques, sans pour autant que l’on qualifiât leurs régimes de royauté. D’une part, se démarquant de l’institution royale de l’Ancien régime, ils portaient le titre d’empereur, tandis que, d’autre part, leur légitimité politique prenait sa source dans un coup d’Etat, au contraire de nos rois, « oints du Seigneur », pour reprendre une ancienne expression attribuée, en l’occurrence, à l’abbé Suger qui la tirait de l’Ecriture Sainte.
Toutefois, cette question de la légitimité royale de droit divin ne peut singulariser, à elle seule, la monarchie royale française. Il semble bien que la légitimité politique de nos anciens rois se trouve dans le cœur des lois fondamentales du royaume de France. Coutumières par essence, ces lois constituent un statut d’Etat imposé par le peuple au roi et n’établissent nullement un contrat entre gouvernants et gouvernés. Comme le rappelle l’historien Roland Mousnier, « la dévolution de la Couronne s’opère par la seule force de la coutume qui s’impose au roi » (Les institutions de la France sous la monarchie absolue, PUF, 2005). Premier serviteur du peuple ainsi qu’il le reconnaît par le serment qu’il prête devant ce dernier, il est également uni à lui par un lien indissoluble qu’un légiste comme Guy Coquille définissait comme « le corps politique et mystique dont la liaison est inséparable et une partie [du peuple] ne peut en souffrir, que l’autre partie n’en éprouve semblable douleur ». L’onction prend simplement acte de la personne sacrée du roi, alors que les lois fondamentales en régissent les attributs qui fondent sa légitimité. D’abord le royaume se confère à des mâles appelés à la succession par ordre de primogéniture. Ensuite, le double serment du sacre devant l’Eglise et devant le peuple marque l’engagement du roi de les conserver tous deux. La loi de majorité vient en outre compléter celle de l’hérédité dynastique qui exprime la continuité de l’Etat : « ce n’est plus le sacre qui fait le roi, mais la seule vocation héréditaire décidée par la coutume » souligne encore Roland Mousnier. Viennent enfin parachever l’ensemble, les règles d’inaliénabilité du domaine de la Couronne (on parlerait aujourd’hui du domaine public) et de catholicité.
De gauche à droite : Henri VII, le dauphin Jean, son fils le prince Gaston, devant un buste de Henri VI (Photo La Couronne)
La monarchie sans le roi
Bien que ne pouvant se réclamer de la même légitimité, le concept de « monarque républicain » selon la Constitution gaullienne du 4 octobre 1958 n’a rien d’oxymorique si l’on considère que la réalité du pouvoir est, sinon concentrée entre les mains d’un seul (ce qui nous rapprocherait du régime présidentiel états-unien), du moins sublimée par la fonction d’arbitrage du président de la République, fonction royale par excellence. Empruntée au juriste Maurice Duverger, la formule connut des évolutions à la fois sémantiques et juridiques, le jurisconsulte ayant, dans une étude publiée à la revue Pouvoirs (n°78, 1996, p.107), pluralisé cette notion au point d’y introduire des subtilités qui l’éloignent peut-être de sa version initiale.
Ainsi, la France aurait-elle toujours été, au fond, un régime semi-présidentiel, les trois expériences cohabitationnistes ayant entrainé une capitis diminutio de la fonction présidentielle à l’entier bénéfice du Premier ministre durant ces périodes contra legem. Dans les démocraties contemporaines, la définition « pure » du monarque républicain se retrouverait, sans conteste, dans le présidentialisme nord-américain, les régimes européens oscillant entre un semi-parlementarisme avec un chef de gouvernement élu, comme en Grande-Bretagne ou en Allemagne et un parlementarisme semi-présidentiel (hors périodes de cohabitation) à la française, voire un parlementarisme à géométrie variable, à l’instar de l’Italie. Un sort particulier doit être fait aux « présidentialismes » latino-américains et africains qui bien que formellement monarchistes, ne sont (et ne furent) ni totalement républicains, ni impériaux ou royaux (l’unique expérience, caricaturale en ce domaine, fut la Centrafrique avec l’empereur Bokassa), certains versant même dans la tyrannie, le monarque se transformant du même coup en autocrate.
Henri VII (Photo La Couronne)
Le royalisme comme doctrine
On l’aura compris, la « monarchie républicaine », à l’instar de la monarchie napoléonienne (encore que la première ressortisse davantage du succédané constitutionnel et de la métaphore politique) ont évolué en toute autonomie par rapport au royalisme. C’est aux fondateurs de l’Action française, à commencer par Charles Maurras lui-même, que d’avoir fait accéder le royalisme au rang de véritable doctrine politique en intégrant les réflexions des contre-révolutionnaires. Portant à son plus haut degré théorique l’imbrication nécessaire de la monarchie et du royalisme, il signifiait ainsi que l’institution n’était rien sans l’idée royale. D’ailleurs, historiquement, la « vocation monarchique de la France », selon le titre de l’ouvrage éponyme de Pierre Ordioni (Grasset, 1938) a toujours essentiellement résidé dans cette alliance entre l’autorité monarchique et le principe royal, l’une et l’autre cimentés par une commune légitimité politique et concourant à la res publica.
Toutefois, l’une et l’autre ne se confondent pas, même s’ils se rejoignent harmonieusement. L’institution monarchique est, par définition, pérenne et stable, quand l’idée royale est évolutive et contingente de la personne même du roi, comme des événements et des circonstances. Dans sa célèbre Enquête sur la monarchie, Charles Maurras, mettant l’accent sur l’institution qu’il pensait de « salut public, proposait une définition syncrétique de la monarchie royale entendue comme « traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée », même si, au dire d’Arnaud Guyot-Jeannin, « dans les faits, il a défendu historiquement la monarchie moderne, absolue, nationale, centralisée de Philippe Le Bel et de Louis XIV ». Quoi qu’il en soit, cette approche normative (d’aucuns diraient positiviste) du Martégal est à relier avec son nationalisme intégral qui contient l’essence du royalisme d’Action française et dont la méthode dite de l’empirisme organisateur doit se comprendre comme une heuristique politique. Ainsi, d’une part, le royalisme de Maurras se veut avant tout anthropologique dans la mesure où il se fonde sur les principes de la politique naturelle, tels que remarquablement exposés en préface de Mes idées politiques. D’autre part, partant du constat des effets délétères d’un régime républicain dont les causes historiques et idéologiques ne le sont pas moins, il estime que la restauration monarchique telle qu’il l’appelle de ses vœux, est seule à même de redonner à la France sa « constitution naturelle ». C’est dire que l’idée royale est étroitement dépendante de l’histoire, de la sociologie, voire de la géographie et qu’elle n’est pas exportable en bloc d’un pays à un autre. C’est le grand mérite de Maurras et de l’Action française que de n’avoir pas prétendu à l’universalisation ou à l’expansionnisme d’une doctrine proprement hexagonale, quand bien même aurait-elle pu inspirer ou essaimer au-delà de nos frontières (cf. l’excellent ouvrage collectif dirigé par Olivier Dard et Michel Grunewald, Charles Maurras et l’étranger, l’étranger et Charles Maurras : l’Action française - culture, politique, société II, Volume 2, Peter Lang, 2009). Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà…
Le roi d’abord !
Si le royalisme d’Action française, de la politique naturelle au nationalisme intégral, démontre inlassablement l’inanité du régime démocratique, il ne fait, néanmoins, que dresser un état des lieux en se bornant principalement à poser le bon diagnostic. En d’autres termes, et c’est une des raisons principales pour lesquelles il ne peut logiquement exister de « parti » royaliste (outre le fait qu’un tel parti s’inscrirait simultanément dans un jeu républicain, dont il condamne ipso facto la philosophie ; cf. notre article sur le royalisme de gauche), le royalisme n’est pas un dessein à visée programmatique. Le « marketing » politique du royalisme se heurte à une limite qui ne sera franchie que le jour où le roi recouvrera son trône. Ayons le roi, le royalisme suivra. « Vendre » l’idée de la restauration monarchique ne peut se confondre avec la démarche d’un candidat qui s’évertuerait à convaincre ses électeurs de la pertinence de son programme électoral. Amener progressivement les Français au Roi consiste surtout à leur faire prendre conscience que la démocratie est loin d’être le meilleur des régimes à l’exception de tous les autres, selon une formule idiote et éculée. Pour ce faire, les royalistes doivent éviter l’écueil de la nostalgie contre-révolutionnaire autant que celui de la description fantasmée de lendemains royaux qui chantent. En prise directe avec les réalités du terrain, les royalistes doivent susciter, par une habile maïeutique, l’envie du roi, c’est-à-dire remonter à la longue mémoire de nos pères qui avaient « ordonné et estably ung roy…par la voulenté et ordonnance du peuple ». Ejus natio, ejus regio, pourrait-on dire, tant la monarchie est aussi consubstantiellement nécessaire à la France que le cœur à l’organisme.
aleucate@yahoo.fr
Aristide Leucate est rédacteur à L’Action Française