LE BRÉSIL a l'ambition d'approvisionner les automobilistes avec de l'éthanol, un carburant miracle : « non polluant et bon marché ». Depuis trente ans, le plus grand pays d'Amérique du Sud envisage de devenir le principal exportateur. En 2007, il consacrait à la production de l'« or vert » 6 millions d'hectares pour les plantations de la canne à sucre, 5 hectares pour la betterave à sucre, 3 hectares pour le maïs et 2,5 hectares pour le blé. Cette filière a attiré les plus grands investisseurs. En 2005, le groupe français Tereos (ex-Béghin-Say) fut la première société étrangère à acheter pour 170 millions d'euros une distillerie de canne à sucre. Bill Gates a investi 84 millions de dollars dans Pacific Ethanol. Le Britannique Richard Branson, patron de Virgin, se consacre au développement de carburants alternatifs par le biais de la société Virgin Fuels. Mais ce commerce est devenu l'enfer de plus de 500 000 Brésiliens, transformés en esclaves d'un nouvel enjeu mondialiste sur fond de propagande écologiste contre le supposé « réchauffement climatique ».
L'ÉTHANOL EST PLUS DANGEREUX QUE L'ESSENCE
Il fait nuit et les plantations de canne à sucre brûlent autour d'Araçoiaba dans le Nordeste. Quand, à l'aube, les nids de braise sont encore rougeoyants, les ouvriers avancent avec leur machette. On dirait qu'une guerre a ravagé les plantations. Derrière le reflet des flammes, le ciel s'est empourpré et le vent rabat encore une épaisse fumée mêlée d'une odeur putride. Dans la région de Sao Paulo, le fumage des cultures engendre un désastre écologique. Chaque année, il est aussi la cause de 750 000 tonnes de particules provoquant une augmentation de 20 % à 50 % des cas d'asthme, Le constat de Mark Jacobson, spécialiste en chimie atmosphérique à l'université de Stanford en Californie, va dans ce sens. Ayant étudié la dégradation de la qualité de l'air au Brésil dans les années 1970, il conclut que l'E85 - carburant composé de 85 % d'éthanol et de 15 % d'essence sans plomb - présenterait pour la santé publique un risque égal, voire supérieur à celui de l'essence seule. Selon lui, l'éthanol détruit la couche d'ozone. Dans certaines régions des États-Unis, il est la cause d'une augmentation des cancers de 4 % à 9 %. La combustion de l'E85 rejette dans l'atmosphère des composés extrêmement toxiques comme l'aldéhyde formique et l'acétaldéhyde (La Science du 18/4/07).
L'université de Sao Paulo a observé que les coupeurs de canne à sucre travaillent en moyenne douze ans avant d'être remplacés ou renvoyés. Dans ces exploitations, on ne tolère ni les vieux, ni les malades. Jusqu'à la tombée du soleil, chaque homme doit couper 3,5 tonnes de canne à sucre qui produiront 300 litres d'essence biologique. Pour cela, l'ouvrier entre dans les cendres muni de sa facao, réalisant chaque jour plus de 3 000 coupes. De telles descriptions renvoient à l'univers, qu'on croyait disparu, de la révolution industrielle anglaise. Dans They Were White and They Were Slaves (Ils étaient blancs et ils étaient esclaves), Michael A. Hoffman mentionne que les entreprises employaient alors des ramoneurs de six ans. Dans une chaleur insoutenable, ils grimpaient avec agilité à l'intérieur d'immenses cheminées. Par souci de production, les fourneaux n'étaient jamais éteints. Sur les tombes, les épitaphes portaient le témoignage de nombreux accidents. Aujourd'hui, Silva, le premier président de gauche brésilien dont l'élection avait enthousiasmé tous les "humanistes", la fin justifie des moyens semblables : « Jusqu'en 2030, nous serons les plus importants fournisseurs de carburant au monde. »
LES REVERS D'UN SUCCÈS MONDIAL
L'éthanol promet d'importantes retombées financières, En 2008, le Brésil a produit 26 milliards de litres grâce à la canne à sucre. Dans les années à venir, cette production devrait doubler pour atteindre 53 milliards de litres. Les clients ne manquent pas. Plus de trente pays mélangent l'éthanol à l'essence. D'ici à 2012, les Etats-Unis veulent couvrir 15 % de leur besoin en carburant avec de l'essence biologique contre 10 % pour l'Union européenne. L'été dernier, la Suède a signé un accord avec des sociétés brésiliennes pour la livraison de 115 millions de litres d'éthanol. Sous prétexte d'améliorer la condition des ouvriers de canne à sucre, Stockholm paye 5 à 10 % au-dessus du prix facturé.
Lula a des ambitions planétaires. Par souci d'optimisation, il rêve d'étirer cette ceinture verte sur toute la périphérie de l'équateur, relayant ainsi les pays du tiers-monde ensoleillés et particulièrement rentables. Car, dans le Nordeste, la saison de la canne à sucre ne dure que de cinq à sept mois. Les nations concernées travailleraient avec le Brésil et constitueraient une OPEC du carburant écologique. Elles approvisionneraient les pays riches pour profiter à leur tour d'une bonne croissance économique. D'après les projections des experts de Lula, si tous les véhicules roulaient à l'éthanol, le Brésil pourrait couvrir un quart des besoins mondiaux. Aussi le président ne recule-t-il devant aucun mensonge : « L'argent de l'éthanol permettra d'aider les pauvres » ou « Le monde doit être plus propre et doit créer de nouveaux emplois ». Seul hic, la monoculture de l'éthanol concurrence dangereusement l'agriculture plus traditionnelle destinée à l'alimentation. Cela conduira inéluctablement à une explosion de la famine dans les pays les plus démunis comme Petrus Agricola l'a si souvent exposé ici.
Les « gros nez» des multinationales Cargill, Multis et Shell ou l"'humaniste-financier" George Soros n'en ont cure. Ils misent sur la réussite de leur projet. En arrière-plan, le terrain a été préparé à coup de désinformation écologiste: depuis 1992, 189 gouvernements ont ratifié le protocole de Kyoto, En mai 2008, Angela Merkel s'est rendue au Brésil et a convenu d'un partenariat avec ce pays pour équiper l'Allemagne de pompes à éthanol. Aux Pays-Bas, le ministre des Transports Camiel Eurlings a débloqué 1,8 million d'euros pour moderniser à cet effet les stations-service (Elsevier du 26/5/08), D'ici à 2030, le Japon a prévu d'équiper toutes ses voitures. Lula explique que les habitudes des pays occidentaux n'en seront pas changées. Comme pour les Volkswagen vendues au Brésil, les constructeurs automobiles devront simplement adapter les moteurs pour fonctionner avec de l'éthanol produit à 20 centimes le litre.
LE SANG DES HOMMES
Le prêtre écossais Tiago dénonce toutes ces billevesées : « La promesse d'un carburant biologique est un mensonge. Celui qui achète de l'éthanol remplit son réservoir de sang. Ce carburant est produit par des esclaves. » Le Père connaît le côté sombre des songes de Lula. Il explique que le bas prix de l'éthanol provient de l'exploitation inhumaine des ouvriers des plantations. L'Amérique du sud se prépare à un « Tsunami vert ». Le Brésil devrait bientôt étendre à 10 millions d'hectares les exploitations de canne à sucre, Les terrains du sud, plats, sont plus rentables car plus accessibles aux technologies de production. Le Père Tiago roule en direction du nord sur la route nationale 101, « la route de la canne à sucre ». La Zona da Mata est une bande forestière de plus de 700 km au bord de l'Océan atlantique. Les barons de la canne à sucre n'hésitent pas à dévier le cours des rivières et des fleuves. Des villages sont rayés des cartes. Rien ne résiste aux bulldozers à l'exception de quelques rares clochers, chapelles et églises.
Le Père Tiago sait qu'il lui faut être prudent. Les Capangas, hommes de main des propriétaires ruraux, ont déjà tué des membres de la Commission pastorale. Munis de motos tout-terrain, de jeeps et bien sûr d'armes à feu, ils sillonnent les plantations. Officiellement engagés pour la sécurité, ils sont de véritables chiens de troupeau encadrant plus de 2 000 ouvriers. Il n'existe aucune règle. Les villages sont rongés par la famine et la prostitution. La nourriture se limite à de l'eau et à de la bouillie de maïs. Travaillant six jours par semaine, les coupeurs de canne sont des survivants et des martyrs de l'industrie moderne pour un salaire misérable - 400 réals soit 130 euros par mois. En dehors de la canne à sucre, il n'existe pas d'autre activité. Président du syndicat d'ouvriers agricoles STR à Aliança, une autre plantation dans le nord-est du pays, José Lourenço da Silva constate que depuis l'élection de Lula en 2002, la pauvreté a doublé dans sa région.
Loin de la vision tronquée de l'Occident, l'écologie montre de plus en plus sa raison d'être. Ayant pris les contours d'un mythe, elle est un instrument concrétisant les exigences des multinationales et d'une économie où l'homme perdra toute dignité. Quant à l'éthanol, il est devenu un complément de l' « or noir » : un plan judicieux permettant aux émirs, aux Rockefeller et à ses sbires de faire durer le pétrole. L'«or vert» connaîtra une envolée des cours quand une majorité de constructeurs automobiles, des gouvernements l'auront adopté et en seront peu à peu dépendants,
Laurent BLANCY, < Laurent-Blancy@neuf.fr >
Rivarol du 6 mars 2009