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Jean Raspail : « La hache des steppes »

Avec sa moustache arverne et sa prunelle wisigothique, Jean Raspail évoque irrésistiblement ces grands guerriers dont le poil blond virait au roux à la lueur des incendies joyeusement allumés. Surgis de leurs forêts et de leurs marécages, ils ne brûlaient des monastères que pour élever des cathédrales… Leur sang bouillonnant et contradictoire incite leur héritier à se proclamer « catholique romain » tout en se découvrant – et un peu plus chaque jour – « mystique- païen ».

Curieux personnage que ce Languedocien qui fêtera cette année, avec ses cinquante ans, son treizième livre. Au lendemain de la guerre, il ressemble à ces jeunes gens impatients du film de Becker, Rendez-vous de juillet : il veut devenir explorateur. Comme on prétend que tous les paysages sont inventoriés, il s’intéresse aux tribus. Le voici ethnologue. Mais pas du genre pontifiant. Il ne dissèque pas la mentalité primitive au bistouri freudomarxiste. Il se contente de vivre au milieu des populations parquées à l’écart de la société industrielle. Il n’en conclut pas à leur supériorité ni à la nôtre. Il découvre seulement une évidence : prenant les peuples dits « sauvages » pour ce qu’ils sont, on ne peut que désirer soi-même redevenir ce que l’on est. Jean Raspail, sur le terrain, à la dure, loin de Saint-Germain-des-Prés et de l’UNESCO, découvre que l’homme universel et partout semblable n’est qu’une dangereuse fumisterie. L’éminente dignité de la personne humaine, c’est, au contraire, l’individualisme irréductible des ethnies et des hommes. Jean Raspail s’élève donc contre la colonialisation de l’univers « sauvage » par notre civilisation. Mais il dénonce tout autant la colonialisation du monde civilisé par la « sauvagerie », ce qui est certes un péché capital aux yeux des renégats de l’Occident. « Défenseur de toutes les races menacées, y compris la race blanche » voici une bien explosive étiquette à coller sur sa carte de visite !

Connu pour des romans, des nouvelles et des récits de voyage, Jean Raspail fait scandale, il y a deux ans, avec Le camp des saints. Il faut bien avouer que cet ethnologue romantique reste un incorrigible naïf. Poser clairement le problème qui, selon lui, va dominer les décennies futures, dérange tous les conformismes. S’il n’a que sarcasme pour les progressistes de salon, Jean Raspail n’éprouve que mépris pour les néo-racistes de brasserie : le monde des sectaires et des idéologues lui est étranger.

Ce voyageur solitaire nous donne dans son dernier livre, La hache des Steppes1, une nouvelle approche de son univers sentimental.

Autant Le camp évoquait quelque épopée dérisoire et hallucinante, autant La hache s’en tient à l’univers intime de l’auteur. C’est dire que l’on y voyage autour de sa chambre et que l’on y vagabonde à travers le vaste monde. En quelque sorte, ce roman foisonnant est une sorte de riposte individuelle à l’invasion du délire universel. Il nous montre où se trouve véritablement notre prochain : non pas dans le monde horizontal qui nous enchaînerait à quelques milliards d’humanoïdes, mais dans le monde vertical qui nous unit à nos ancêtres. Ils ne sont pas si nombreux que nous puissions ignorer leur présence et leur message.

Jean Raspail s’attache à la pérennité de l’homme : « Vers l’avenir, c’est le vide sidéral, peuple de foules en suspens, livré aux plèbes… Tandis qu’à l’opposé, combien la chaîne se révèle solide, si toutefois on veut bien s’aviser de son existence ». Il s’interroge sur cette chaîne qui unit chaque homme à ses ancêtres : « En cinquante générations seulement, nous avons rejoint Charlemagne et ses successeurs immédiats, le Débonnaire, le Chauve et le Bègue, et nous ne sommes pas encore des Français ! Cinquante ancêtres dont le petit homme ni personne ne savent rien et vous allez me dire qu’il a toutes les excuses ! Il est inexcusable. Cinquante, c’est peu, avouez-le. Dans sa vie quotidienne, le petit homme connaît au moins cinquante personnes par leur nom, avec quelque chose autour, métier, famille. Et pourquoi pas cinquante ancêtres ? Pour une mémoire normale, je ne vois pas la différence ».

Ce passage illustre bien le propos de Jean Raspail et la « philosophie » de son livre. Il n’est pas possible de le raconter ni de le résumer. Il suffit de savoir qu’il se passe en différentes parties du monde et qu’on y retrouve une certaine hache qui est bien aujourd’hui le plus nécessaire des bâtons de pèlerins.

Jean Mabire, Éléments n°8-9, 1974.

1. Jean Raspail, La Hache des Steppes, Robert Laffont, 1974.

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