L'historien Philippe Boutry, président de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, déclare :
"On assiste à ce qu'une sociologue française des religions, Danièle Hervieu-Léger, a proposé d'appeler l'exculturation du catholicisme français. Depuis les années soixante, tout ce qui faisait la puissance et la substance du catholicisme rural s'est en grande partie effondré : la messe dominicale, la pratique sacramentelle, les fêtes et les cérémonies religieuses, le mariage à l'église, dans une moindre mesure les baptêmes et les enterrements, la confession bien sûr, le catéchisme des enfants, autant de repères de l'existence qui ne font plus sens parce qu'ils sont abandonnés par une partie croissante de la population française. Les religieux sont chaque année plus âgés, moins nombreux ; ils desservent parfois des dizaines de paroisses autrefois dotées d'un curé à demeure. Dès lors, la présence même de l'église au coeur du village devient problématique ; les édifices, désertés par les fidèles, sont le plus souvent fermés, par crainte des vols ou par indifférence ; certains ne sont plus entretenus ou sont laissés à l'abandon ; les conseils municipaux enfin, qui sont en charge des lieux de culte construits avant la loi de séparation de 1905, rechignent à financer des travaux de maintenance ou de réparation. Au terme de ce processus de désengagement spirituel, au sens large, de toute une société, il y a la destruction ou, pire peut-être (cela se pratique aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne), la vente".
Comment expliquez-vous que l'Etat ne s'oppose que rarement à la destruction de ces églises ?
"Presque tous les églises à caractère historique, architectural ou artistique reconnu, sont classées et protégées. Il n'en va pas de même des églises du XIXe et du XXe siècle. Or, à considérer attentivement les listes toujours plus longues d'édifices aujourd'hui détruits ou vendus, ce sont ces églises qui paient le plus lourd tribut à l'effondrement contemporain de la pratique religieuse. Le style des églises - néo-gothique, néo-roman, néo-byzantin ou moderne des années trente ou cinquante - ne parle plus aux sensibilités contemporaines. Une indifférence d'ordre artistique et architectural vient s'ajouter à une indifférence d'ordre spirituel pour condamner un patrimoine paroissial de plus en plus menacé. Il n'est pas sûr cependant que l'État puisse de sa seule initiative, dans ce contexte, classer les monuments afin de les préserver".