Comme le lui a si bien enseigné Guy Dejouany, Henri Proglio manœuvre entre les différentes chapelles socialistes. En 1992, le nettoyage des plages landaises, en fait une opération de communication, lui permet de faire connaissance avec Henri Emmanuelli, qui est mis en examen, la même année, dans l’affaire Urba-Gracco*.
Un an plus tôt, Henri Proglio a signé un contrat d’une durée de vingt-cinq ans avec Jean-Marc Ayrault** , le nouveau maire de Nantes élu en 1989. L’objet de la tractation : un centre de tri de déchets high-tech, qui sera inauguré en grande pompe trois ans plus tard.
Considéré comme l’un des barons locaux du PS, Jean-Marc Ayrault multiplie au début de son premier mandat les projets d’envergure pour sa ville : extension de la ligne 2 du tramway – qui lui vaudra des ennuis judiciaires passagers*** –, promotion de la compagnie de théâtre de rue Royal de Luxe, et donc complexe de traitement des ordures innovant… Rien n’est trop beau pour Nantes.
Sur le plan national, l’édile n’est pas encore connu du grand public. Si, pendant plus de vingt ans, il a évolué dans le sillage du chef de file de l’aile gauche Jean Poperen, il a rejoint Lionel Jospin au congrès de Rennes en mars 1990. Les réseaux politiques et aussi francs-maçons de Poperen continuent de voir Jean-Marc Ayrault d’un bon œil. Ils sont d’ailleurs mis à contribution pour faciliter la construction de ce fleuron de la CGE qui traite aujourd’hui plus de 300.000 tonnes de déchets par an.
Pour la mise en route de l’usine Arc-en-ciel, la CGE investit officiellement 250 millions de francs. Y a-t-il eu un dessous-de-table de 12 millions de francs, payés pour moitié par la société Onyx et pour l’autre moitié par la Générale de chauffe, deux filiales de la CGE, et répartis entre les élus locaux ? Henri Proglio a dit un jour à Yann Le Doré : « Je te taxe de 6 millions de francs [sur la société Onyx], c’est pour Ayrault. »
« Je ne sais pas ce que Proglio en a fait **** », précise Le Doré. Pendant l’Université d’été à La Rochelle de 2007, Jacques Palacin, un ex-salarié en conflit avec la CGE, encarté au PS, produit une note à Jean-Marc Ayrault sur la possible existence de cette commission occulte et les risques politiques encourus. L’information lui a été transmise par Michel Pille, un autre cadre, lui aussi en bisbille avec la CGE. Le maire de Nantes aurait démenti en privé à La Rochelle l’existence d’un tel versement en faveur du PS local. L’affaire s’arrête là.
Ce contrat est en tout cas à inscrire au tableau de chasse d’Henri Proglio. Il ne sera pas le seul. En 1997, l’agglomération nantaise confie aussi à la Générale des eaux un contrat d’exploitation de stations d’épuration, qui appartenait auparavant à la Lyonnaise des eaux. À partir de ce jour, le directeur général de Grandjouan Onyx, Marc Reneaume *****, en charge du projet, rejoint le carré des fidèles d’Henri Proglio. La connexion avec l’élu de Nantes est établie, ce qui se révélera très utile…
Notes :
* Henri Emmanuelli a été condamné le 16 décembre 1997 à dix-huit mois de prison et à deux ans d’inéligibilité.
** Par un mail daté du 11 avril 2013 et envoyé au service de presse de Matignon, nous avons demandé à rencontrer le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. La demande a été transmise à son cabinet. Au moment de boucler ces lignes, nous n’avons reçu aucune réponse.
*** La création de la deuxième ligne de tramway entraîne une perquisition du juge Van Ruymbeke à l’hôtel de ville, en 1995, à la Semitan et chez GEC-Alsthom, pour déterminer les conditions du marché, dans lequel apparaît le bureau d’études Sages, de Michel Reyt. L’affaire sera classée sans suite.
**** Entretien avec l’un des auteurs, le 25 avril 2013
***** En 2005, Marc Reneaume est promu directeur général adjoint de Veolia Eau. En 2011, il prend la direction stratégique des affaires publiques. Antoine Frérot, le PDG de Veolia Environnement, limogera quelques mois plus tard ce fidèle d’Henri Proglio.
Extrait du livre « Henri Proglio : une réussite bien Française », aux éditions Du Moment, par Pascale Tournier et Thierry Gadault.