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ENTRETIEN exclusif avec KAREN KHANLARI, un chrétien au parlement iranien

 La République islamique d’Iran fait l’objet de critiques récurrentes, y compris dans nos colonnes, où l’on regrette le shah. Aujourd’hui, la parole est à la défense : Karen Khanlari, député au parlement iranien, plaide en faveur d’un régime qu’il juge ouvert aux chrétiens.

PAYS majoritairement musulman, de rite chiite, l’Iran procure la liberté de culte à l’ensemble de ses citoyens, y compris aux chrétiens, hélas persécutés dans d’autres pays d’Orient et parfois victimes de violences, après l’émergence de courants fondamentalistes encouragés, notamment, par les salafistes (de rite sunnite). Cet État, quasi théocratique, préserve la foi chrétienne des dérives de la laïcité outrancière des sociétés de consommation. En effet, le chiisme a toujours été tolérant, ouvert et peu dogmatique. L’enseignement de l’imam Ali, recueilli dans Les Dictons de sagesse, en témoigne. L’actualité le démontre aussi : nous avons en mémoire l’accueil chaleureux que la communauté chiite, y compris le Hezbollah, avait réservé au pape Benoît XVI lors de sa visite au Liban. De même, faut-il rappeler que la chaîne du Hezbollah, Al Manar, s’interdit la diffusion de programmes profanes les vendredis saints ? Afin de mettre en lumière la situation des chrétiens en Iran, nous avons interrogé un député chrétien au parlement iranien, M. Karen Khanlari. Docteur en ingénierie de construction à l’université Azad islamique (Ouloum va Tahghighat) à Téhéran, docteur en histoire de l’Institut d’histoire de l’Académie nationale des sciences d’Arménie, il a collaboré, au sein du gouvernement iranien, à l’optimisation de l’usage de l’énergétique et à l’élaboration des règlements en vigueur.Député depuis 2012, il représente les chrétiens arméniens au parlement iranien. ❑ E.H.

L’Action Française 2000 - Quelles sont les communautés chrétiennes établies en Iran, combien comptent-elles de membres et comment ceux-cisont- ils répartis ?

Karen Khanlari - Il existe principalement deux communautés établies en Iran : les Arméniens et les Assyriens. Au sein de chacune de ces communautés, il existe des rites spécifiques. Ainsi, 98 % des Arméniens iraniens font partie de l’Église nationale arménienne, dite Église des compagnons d’Arménie, et environ 2 % font partie de l’Église catholique arménienne, ainsi que de l’Église évangélique arménienne. La plupart des Assyriens font partie de l’Église nationale assyrienne (dite Église assyrienne d’Orient). Mais il existe également deux autres rites assyriens : l’Église catholique assyrienne ainsi que l’Église évangélique assyrienne. Selon les derniers recensements, on dénombre cent vingt mille chrétiens en Iran.

À Téhéran, il existe huit églises nationales de rite arménien. Par ailleurs, à Djolfa d’Ispahan, par exemple, il existe treize églises. Dans les autres villes, à l’instar de Tabriz, Arak, Ourmieh, Rasht et Anzali, il existe une église. Les messes sont célébrées régulièrement avec un grand afflux de fidèles. Il existe aussi des cathédrales qui constituent des monuments historiques : il y en a trois dans la province d’Azerbaidjan et une, affiliée au rite national arménien, à Ispahan. Enfin, il existait une vie monastique il y a quelques années. À Djolfa, en Ispahan, il y avait un couvent arménien. Néanmoins, en raison de la baisse des vocations, les activités de ce monastère ont été modifiées. Elles sont principalement d’ordre caritatif.

Qu’en est-il de la situation des chrétien au sein de la société iranienne ? En général, les communautés chrétiennes au Proche et au Moyen–Orient sont marginalisées. Parfois, elles sont menacées par la violence, comme en Irak ou en Égypte. Dans les pays du Golfe, l’exercice de leur culte est même proscrit. Quelle comparaison peut-on établir avec la République islamique d’Iran ?

❏ L’Iran a été, depuis la Perse antique, un pays ouvert aux croyants de différentes religions. Les conceptions fondamentales inscrites sur le cylindre de Darius le Grand, relatives à la liberté religieuse, mais aussi les enseignements d’Ali Ben Abi Taleb sur la tolérance religieuse, y ont été propagés tout au long de l’histoire. Les chrétiens bénéficient de ce climat qui a contribué à leur dynamisme. Ils ont ainsi participé activement à toutes sortes d’activités politiques, économiques et surtout culturelles, éducatives et artistiques aux côtés des musulmans, des zoroastriens et des juifs.

Selon la constitution de la République islamique, les minorités religieuses jouissent de la liberté totale relativement à leur état civil, l’exercice de leur culte et de leurs activités religieuses et communautaires. Par ailleurs, les Iraniens chrétiens disposent de leurs propres établissements d’enseignement, de leurs associations culturelles et sportives... De même, ils disposent d’une liberté d’expression et de presse. Ainsi, la communauté arménienne publie un quotidien, plusieurs mensuels ainsi que des sites Internet en langue arménienne. Il en est de même pour les autres communautés, aussi bien chrétiennes assyriennes que zoroastrienne et juive. Toutes ces communautés sont respectées tant par la société que par le gouvernement.

En Iran, les principes de la liberté ont été conjugués avec les traditions et les convictions nationales et religieuses. Les fondements juridiques de la tolérance et du respect des diversités religieuses ont été édictés, il y a plus d’un siècle, par la constitution iranienne. Ils ont été préservés et sont appliqués jusqu’à présent. Selon la constitution de la République islamique, les minorités religieuses et ethniques jouissent non seulement de la liberté en ce qui concerne leur état civil, où ils peuvent appliquer librement leurs règles confessionnelles et religieuses, mais ils disposent également de leurs propres députés au sein du Parlement.

Ces députés bénéficient de prérogatives et de responsabilités équivalentes à celles des autres députés. Ils siègent dans les différentes commissions, participent au processus de légifération et de surveillance du gouvernement. Parmi les deux cent quatre-vingt-dix députés du parlement iranien, cinq appartiennent à des communautés non musulmanes. Les autres députés, musulmans, sont composés de chiites et de sunnites. À ma connaissance, la situation des chrétiens en Iran est incomparable avec les pays que vous venez de citer. Cela a toujours été ainsi. Au début du XXe siècle, alors que les Arméniens et les Assyriens étaient victimes du génocide en Turquie ottomane, l’Iran accordait l’asile aux survivants arméniens et assyriens de cette tragédie.

L’Iran est frappé d’un embargo par l’Occident. Comment le qualifiez- vous ? Quelle est son étendue  ? Quelle en sont les répercussions sur les Iraniens ?

❏ Au début de l’adoption de la politique des sanctions, l’Occident prétendait que ces dernières visaient uniquement l’État iranien et qu’elles n’étaient pas édictées contre le peuple. Mais, très rapidement, une fois que les sanctions "globales", et particulièrement les sanctions pharmaceutiques, voire académiques, furent appliquées, il est devenu évident que l’Occident ne faisait aucune différence entre l’Etat et le peuple.

Naturellement, ces sanctions ont eu des effets sur la vie sociale et économique de l’Iran. Mais ces conséquences ne sont pas de nature à engendrer de grands changements politiques. Devant cette situation, nous avons adopté un mode de vie économique spécifique. Cette pratique s’appelle « l’économie de résistance » ou « la résistance économique ». Nous avons établi, à cet égard, des programmes et des stratégies avec l’aide de spécialistes.

Étant donné les sanctions pesant sur votre pays, y a-t-il un message que vous souhaiteriez adresser à l’Occident ?

❏ La politique des sanctions n’est pas un langage conforme et adéquat pour dialoguer avec la République islamique d’Iran. L’Iran a une civilisation, une histoire et une culture millénaires. Ce n’est pas un pays qui capitule facilement devant la guerre, la violence, le terrorisme, les cyberattaques ou la politique de sanctions économiques. Je souhaite voir, très prochainement, l’Occident adopter une position plus conforme à l’image qu’il entend donner de lui.

Au lieu de faire pression sur l’Iran sous prétexte d’accusations infondées telles que le soutien au terrorisme, la transgression des droits de l’homme (leitmotiv occidental) ou les questions liées à l’arme nucléaire, j’appelle les pays occidentaux à adopter une politique plus utile pour arriver à un compromis avec la République islamique d’Iran, pour le maintien d’une paix durable dans la région. ■

Propos recueillis par Élie Hatem pour L’AF 2869

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