Né en 1935 à Kalisz, le Père Jan Sikorski est un témoin privilégié de l’histoire tragique de la Pologne au XXème siècle : l’occupation allemande d’abord lorsqu’à 5 ans les nazis déportent son père à Auschwitz – libéré par miracle grâce à l’inlassable ténacité de sa mère – à partir de 1947 lorsque Staline prend le contrôle du pays d’une main de fer ou en 1953 lorsqu’il rend visite clandestinement au Cardinal Wyszynski, Primat de Pologne, alors emprisonné sur ordre du Parti Communiste.
Lorsque le 13 décembre 1981 le Général Jaruzelski décide d’imposer l’Etat d’urgence pour étouffer le syndicat Solidarnosc, c’en est trop pour le Père Jan Sikorski qui entre alors activement en résistance. Vite fiché par le régime qui le fait figurer en 4ème position sur la liste des hommes à abattre après le P. Popieluszko, il met toute son énergie au service de ses concitoyens… jusqu’à la victoire !
Il a été interrogé par LMPT76 pour le Salon Beige :
Après l’état de guerre imposé par le Gal Jaruzelski en 1981, vous décidez de visiter les prisons où sont internés de nombreux prisonniers politiques. En quoi consistait exactement votre action ?
P. Jan Sikorski : C’était essentiellement un travail pastoral. Sous le régime communiste, les prisons étaient fermées hermétiquement et les prêtres n’avaient aucun accès. Mais pour les prisonniers politiques, cette possibilité existait, car ces prisonniers n’avaient pas fait l’objet d’une condamnation judiciaire. Les évêques, dès le lendemain de la notification d’emprisonnement, essayaient de leur rendre visite aussitôt, comme l’autorisait la Constitution.
Qu’est-ce que je faisais là-bas ? Tout ce que fait un prêtre habituellement dans une paroisse. Je prêchais la Parole de Dieu durant les homélies, je célébrais les messes, donnais les sacrements. Il y avait même des baptêmes, des mariages… Le troisième volet de cette action, c’était les œuvres de bienfaisance à ceux qui en avaient besoin. Et c’est ces trois volets qu’on a essayé de mettre en œuvre. En plus de cela, notre rôle consistait à établir un contact entre les internés et le monde extérieur. On avait toujours les poches pleines de messages codés, de lettres, d’informations qui étaient attendus par un groupe de personnes, le « Comité du Primat de Pologne » qui se réunissait près de l’Eglise St-Martin et qui distribuait toutes ces informations auprès des familles des internés, et inversement parce que le courrier était contrôlé. On essayait aussi d’intervenir dans les familles des prisonniers qui étaient laissées souvent sans aucun moyen pour subsister. Il fallait les aider à vivre financièrement et aussi leur donner une assistance juridique. C’est ce comité du « Primat de Pologne » qui organisait tout cela, et nous les aumôniers on servait d’agent de liaison.
Plus largement, quel a été votre engagement auprès du syndicat Solidarnosc ?
Solidarnosc était un phénomène social. Dans les conditions de l’époque, c’était une vraie révolution, unique et sans précédent dans l’histoire du monde. Sans précédent, parce qu’elle n’était pas dirigée contre une personne, mais tendait vers quelque chose. Elle n’avait pas comme but de détrôner quelqu’un, mais elle voulait retisser les liens entre les gens au nom de la Solidarité. Et ce nom de Solidarité nous engageait. Le nom même, l’idée même étaient très évangéliques, en lien avec le commandement de l’Amour. Elle était tout naturellement liée à la Foi et à l’Eglise. C’est pourquoi quand les grèves et les manifestations éclataient il y avait des prêtres, des symboles religieux, des croix, des icones de la Vierge, des prières… Car l’idée de Solidarité, était profondément chrétienne. En tant qu’aumôniers, nous tentions d’être à leurs côtés et de les accompagner, de les fortifier et en même temps nous veillions à ce qu’ils ne sortent pas de cet idéal de Solidarité pour empêcher tous les sentiments de haine qui naissent si souvent dans de telles luttes. Le livre du Père Joseph Tischner, l’Ethique de la Solidarité a joué un très beau rôle. Il a aussi donné des conférences aux leaders de Solidarnosc pour leur expliquer à quoi la Solidarité engageait : qu’est-ce que la Solidarité en théorie et comment elle s’applique dans la réalité. En outre, l’Eglise en prenant sous sa coupe les opposants qui se battaient pacifiquement pour la Justice leur servait aussi de bouclier pour tenter de dissuader la répression gouvernementale. Le symbole de cette action, c’était le Père Popieluszko aux messes duquel des milliers de personnes accourraient. Il revendiquait le droit des travailleurs, mais n’appelait pas à la révolte tout en rappelant qu’il fallait combattre le Mal par le Bien, dans l’unité.
Dans le cadre de votre action, quelle est la figure de résistant qui vous a le plus marqué ?
C’est peut-être bizarre, mais la première fois que j’ai rendu visite à un interné, j’ai parlé avec une personne très simple, un des leaders de Solidarnosc qui m’a avoué sa plus grande crainte : « comment faire pour que mes enfants qui vont comprendre ce qui s’est passé ne ressentent pas de haine » ? Et cette première rencontre a eu pour moi une résonnance capitale, une valeur de symbole : des gens simples, des travailleurs luttaient avant tout contre la haine, pour que leurs enfants puissent trouver plus tard l’attitude juste. Cette première personne m’a complètement remué par sa dignité.
Il y avait aussi bien sûr d’autres personnes qui étaient les signes visibles de Solidarnosc, le Pape Jean-Paul II, le Père Popieluszko, Lech Walesa… qui étaient les symboles de la vraie idée de Solidarité et pas seulement d’un combat superficiel.