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En Italie aussi, la colère monte

"La classe politico-médiatique italienne ne sait trop comment interpréter les mouvements de protestation, voire de révolte, qui traversent le pays en revêtant depuis un mois une ampleur inaccoutumée. Sans véritable leader ni identité affirmée, le "peuple des Forconi" (fourches) dénonce la politique d'austérité du gouvernement Letta – dont il demande la démission – et par-dessus tout la pression fiscale qui étreint nombre de petits entrepreneurs, chauffeurs routiers, travailleurs précaires, qui s'estiment en outre victimes de l'euro.

Les autorités espéraient que la période des fêtes de fin d'année serait propice à une démobilisation. Mais on a retrouvé une partie de ces protestataires sur la place Saint-Pierre où, au cours d'une audience générale, le pape François a repris à son compte un slogan inscrit sur une banderole brandie dans la foule : « Les pauvres ne peuvent attendre. » Au milieu des fidèles, quelques activistes en ont essuyé une larme. Cependant, le pape a mis en garde les Forconi : « Défendez vos droits, a-t-il dit, mais rejetez la tentation de la violence. » C'est parce que la classe politique – la Caste, ironisent les Italiens – est restée sourde aux doléances que la violence a pris le dessus, en particulier à Turin et à Rome. Dans ces villes on a pu assister à des scènes bien plus frontales que les manifestations des Bonnets rouges français, auxquels on a parfois comparé les Forconi. Ceux-ci peuvent d'ailleurs se prévaloir d'une antériorité ; leur mouvement a pris son essor il y a deux ans en Sicile, en réaction aux mesures d'austérité préconisées par Mario Monti. Essentiellement méridional et paysan à l'origine – d'où les deux fourches croisées qui tiennent lieu d'emblème – le mouvement a par la suite essaimé dans toute la Péninsule, au point d'être aujourd'hui plus fortement implanté dans le Nord. Il est vrai qu'au fil des mois les paysans ont été rejoints par d'autres catégories de laissés-pour-compte, et récemment par des groupes jugés extrémistes. Néanmoins, les principales composantes du mouvement se proclament apolitiques et hors partis ; leurs cibles sont la pression fiscale, les syndicats, l'Europe de Bruxelles, la mondialisation. Plus que les Bonnets rouges, les Forconi évoqueraient plutôt les Chemises vertes d'Henri Dorgères et l'UDCA de Pierre Poujade. La bien-pensance dût-elle en frémir.

Beppe Grillo a lourdement tenté de capitaliser sur la colère des Forconi en demandant aux policiers de fraterniser avec les manifestants. Une suggestion peu suivie d'effets. Au contraire, les policiers ont eu la main lourde le 14 décembre devant le siège romain de l'UE, où des militants de Casa Pound ont voulu remplacer le drapeau européen par les trois couleurs italiennes. Les forces de sécurité ont chargé les jeunes manifestants et arrêté le vice-président de Casa Pound, Simone Di Stefano, condamné illico à trois mois de prison.

Groupe identitaire, Casa Pound se réfère évidemment à l'auteur des Cantos, Ezra Pound, le poète transgressif mort en 1972 à Venise où sa tombe (sur l'île de San Michele) est devenue lieu de mémoire. Quel rapport avec le mouvement des Forconi ? Indépendamment d'une même détestation de la Caste, les militants de Casa Pound éprouvent eux aussi une solide aversion contre l'Europe de Bruxelles. Reste à savoir si les revendications sociales des uns resteront durablement compatibles avec la contre-culture prônée par les autres."

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