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Le problème bosniaque dans les Balkans

Les désordres qui ont secoué la Bosnie ont pour motif la situation économique dramatique du pays mais ces désordres vont aussi dans le sens voulu par Washington
La Bosnie-Herzégovine semble avoir emprunté la voie pour devenir un “Etat failli”. Dans plusieurs villes de la partie la plus grande du pays, celle qui se trouve sous l’autorité de la “Fédération croato-bosniaque”, des milliers de citoyens sont descendus dans la rue pour protester contre la gabegie régnante: une économie chancelante, une corruption généralisée et un chômage qui atteint les 45% de la population active. Au cours de ces nombreuses manifestations, les protestataires se sont heurtés aux forces de l’ordre.
Cet Etat balkanique multiethnique et multiconfessionnel pose désormais problème au beau milieu de la péninsule balkanique, une région qui devait abriter cette Bosnie-Herzégovine “stable, viable, multiethnique et unie”, comme le voulait l’UE quand elle posait ses objectifs politiques pour rendre définitivement indépendante cette république autrefois constitutive de l’ancienne Yougoslavie fédérale et socialiste. De ces voeux pieux, rien ne subsiste aujourd’hui. On sait très bien pourquoi la “communauté internationale”, c’est-à-dire l’UE et les Etats-Unis, se trouvent face à un champ de ruines en Bosnie. Le Traité de Dayton a certes pu mettre un terme à la guerre mais n’a pas pu faire émerger un Etat pour tous, capable de fonctionner sans heurts, en dépit des clivages qui opposaient entre eux les Bosniaques, les Croates et les Serbes.
“L’ordre politique fabriqué lors des accords de Dayton est intenable”, expliquent les organisations protestataires actuelles que sont “Udar” (le “Coup”) et “Revolt”, animatrices des manifestations qui ont secoué le pays. L’objectif de ces organisations est donc clair: les manifestations doivent faire pression pour aboutir à une réforme constitutionnelle afin que l’appareil d’Etat, trop complexe et trop lourd, fasse la place à une forme étatique plus svelte et plus centralisée. Les Serbes de Bosnie, dont la “Republika Srpska” jouit d’une large autonomie, se sont opposés, jusqu’ici, et avec succès, à toute tentative de centralisation.
Les organisations “Udar” et “Revolt” veulent, par leurs revendications, s’aligner sur une politique voulue en dernière instance par l’UE et les Etats-Unis. Ces derniers sont profondément agacés par l’édifice étatique qui structure la Bosnie aujourd’hui parce que l’objectif américain est d’inclure le pays dans l’OTAN. La décentralisation bosniaque empêche toute manoeuvre en ce sens. Comme le rappelle Patrick Keller de la “Fondation Konrad Adenauer” en Allemagne, “l’intérêt pour une adhésion à l’OTAN n’est guère populaire en Republika Srpska”. Voilà pourquoi, subitement, en dépit des accords de Dayton, on plaide maintenant pour la création d’un Etat bosniaque unifié et “fort”.
Pour téléguider les événements de Bosnie dans le “bon sens”, les Américains ne s’épargnent ni peine ni argent. L’USAID, l’instance chargée d’aider au développement, déclare vouloir “aider la Bosnie à parfaire les réformes nécessaires pour pouvoir adhérer à l’UE et à l’OTAN”. Dans son budget de 2013, l’USAID a dégagé la somme de 45,5 millions de dollars, notamment pour créer “une structure militaire unitaire, laquelle répondrait aux critères nécessaires pour assurer la sécurité du pays et pour aboutir à une adhésion à l’OTAN”. En 2008, Washington a enregistré un bon succès en Bosnie, lorsque Sarajevo a adhéré à une “Charte Adriatique”, initiative visant à préparer les Etats des Balkans occidentaux à entrer dans l’OTAN.
Dans les postes “Financements militaires à l’étranger” et “Formation et écolage militaires à l’échelle internationale”, 5,5 millions de dollars sont prévus pour la Bosnie. Avec ces budgets, il faudra, selon les Américains, “combler les déficits graves dans la formation des personnels” chez “ce parternaire potentiel de l’OTAN” et former des “unités spéciales”, dont l’Alliance Atlantique “a un besoin réel”, c’est-à-dire des unités capables d’éliminer des matériels de combat, des troupes d’infanterie, des équipes d’ingénieurs militaires. Le rapport de l’USAID se fait louangeux à l’endroit de l’armée bosniaque parce qu’elle a fourni 55 hommes pour l’IASF en Afghanistan.
Le deuxième objectif majeur des Américains, et aussi de l’UE, est de promouvoir en Bosnie “une société civile”. Pour le réaliser, on a surtout mobilisé le “National Endowment for Democracy” (NED), le bras civil de la CIA, de même que les fondations attachées aux grands partis américains, la NDI (“National Democratic Institute”) et l’IRI (“International Republican Institute”). La “Fondation Konrad Adenauer” est également très active.
En 2012 (pour 2013, on ne dispose pas encore de chiffres), la NED a soutenu toute une série d’organisations bosniaques visant la création de cette fameuse “société civile”. “Revolt” a reçu 31.500 dollars, notamment pour contrôler “les travaux du gouvernement local et cantonal de Tuzla” et pour mener une campagne de mobilisation “de jeunes activistes pour préparer les élections locales”. L’année précédente, “Revolt” avait reçu 30.000 dollars de la NED pour mener à bien des activités similaires.
Les Occidentaux veulent donc créer en Bosnie une démocratie de type occidental et financent la formation et l’écolage d’une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques qui permettront, à terme, de réaliser plus aisément le grand but de la dite “communauté internationale”, soit de créer une Bosnie “multiethnique”. Dans les rapports de la “Fondation Konrad Adenauer”, on peut lire: “Investir dans les futurs cadres porteurs des structures démocratiques constitue l’action première de notre travail. Prodiguer des conseils, imaginer des scénarios, organiser des journées d’écolage et des séminaires interactifs, bref, offrir une formation politique permanente aux forces d’avenir, voilà les principales activités que nous menons à bien en Bosnie-Herzégovine”.
Les Etats-Unis ont réellement pris les choses en mains en Bosnie, au détriment des Européens, parce que les Bosniaques sont mécontents de la politique menée jusqu’ici par l’UE. Déjà en 2009, le magazine “Foreign Policy” écrivait: “L’UE n’a pas de politique réellement porteuse en Bosnie, si bien que Washington est contraint de jouer de son influence pour faire avancer les choses pour qu’à terme le pays puisse adhérer à l’UE”.
Bernhard TOMASCHITZ.
(article paru dans “zur Zeit”, Vienn, n°8/2014, http://www.zurzeit.at ).

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