Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le libéralisme avance masqué

À l'heure où chacun prétend défendre des idées - de grandes, nobles et belles idées, bien sûr - le libéral semble aujourd'hui passer à côté, avec une vision plus pragmatique des choses. Et surtout de la société. Pourtant le libéralisme est bien vivant. Plus que jamais peut-être. Mais il se dissimule...
Le libéralisme a si mauvaise presse qu'il avance masqué. Il est accusé à raison de tous les mots : mondialisme, financiarisation, émeutes de la faim, chômage, destruction de la famille, amnésie culturelle, télé-réalité, trafics d'organes, achats de votes, marchandisation du vivant... Il s'essaye donc à brouiller les pistes, à changer les repères, et développe des stratégies de joueur d'échec.
Tout d'abord, en assimilant libéralisme et droite - ce qui permet à la gauche de faire du libéralisme sans le dire. Les accords de libre-échange en train d'être négociés, la promotion d'une Europe systématiquement acquise à la concurrence et systématiquement opposée aux corps intermédiaires, l'individualisation croissante des systèmes de soins, tout est clairement d'inspiration libérale, mais la seule onction d'un gouvernement officiellement socialiste suffit à récuser vertueusement les accusations de libéralisme larvé (déjà proférées en 1983). Le seul défaut du récent tournant social-libéral, si l'on peut dire, est que le masque est tombé.
La distinction libérale
Ensuite, en distinguant libéralisme économique et libéralisme culturel, ce qui permet aux bobos de se croire tout à la fois rebelles et généreux. D'un côté une affirmation fanatique des libertés individuelles déréglées (une extension qui aurait d'ailleurs étonné les auteurs libéraux classiques), surtout quand elles permettent d'échapper à un modèle norme d'inspiration chrétienne. De l'autre une volonté marquée de planification étatique, de contraintes sociales fortes, pourvu que cet abandon de libertés soit la contrepartie d'une assurance financière : garantissant les emplois ou des allocations suffisantes, l’État dirigiste ne serait pas libéral.
Comme l'a fort bien démontré Jean-Claude Michéa, le libéralisme culturel marche de pair avec le libéralisme économique, et les conquêtes du premier font le lit du second : plus l'individu est libéré des contraintes de la famille, de la nation, de la religion, du territoire, plus il est asservi au marché, et son seul-espoir d'accomplissement passe par sa capacité de jouissance, érigée en étalon de la liberté alors qu'elle n'est qu'une promesse de consommation continue. L'État a d'ailleurs tendance, sur le long terme, à aller vers la dérégulation économique - même si le génie français rend sa marche tortueuse ! Mais à défaut de favoriser l'économie et les citoyens français, il ouvre largement ses portes aux autres acteurs.
Innocent de ses travers
Enfin, en refusant de considérer tous les développements naturels de sa théorie : père indigne, il récuse tous ses enfants, comme un communiste français expliquant tranquillement que Lénine, Staline, Pol-Pot et Mao n'étaient pas vraiment des communistes. Chaque catastrophique bâtard de l'application de ses principes est tout de suite dénoncé comme une variante si viciée qu'elle ne peut en rien être imputée au modèle. « Le concept est avant tout politique, pourquoi diable cherchez-vous à le déceler dans l'imparfaite réalité ? ! » nous disent ses thuriféraires. Monique Canto-Sperber, dans une courte conférence de 2009 regrette que « cette condamnation qui souvent est sans nuance, surtout en France, laisse sur sa faim et empêche de penser ce au 'a pu être l'apport du libéralisme » (www.les-ernest.fr), tout en reconnaissant que le contexte actuel a pu entrainer le système libéral à développer des pathologies - qu'il ne recèle forcément pas dans son état chimiquement pur.
Si l'État intervient de plus en plus, y compris dans les domaines les plus privés, c'est assurément pour garantir nos libertés; si le droit est devenu une valeur si sûre, ce n'est pas du tout parce qu'infiniment plastique il justifie chaque abus, chaque oppression et chaque privation; si l'utopie libérale se présente aujourd'hui comme un dogme auquel il faut adhérer, c'est bien sûr pour nous éviter de retomber dans de bien plus terribles errements.
Bref, si le libéralisme veut modifier la nature humaine, c'est pour accoucher un homme nouveau, pas du tout pour le dénaturer...    
Hubert Champrun monde & vie  18 mars 2014

Les commentaires sont fermés.