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La croissance d’abord ? « C’est la plus forte des croyances économiques. »

La croissance, l’économiste Jean Gadrey, hier « productiviste », ne l’attend plus. Il lui a dit « adieu », même. Et d’après lui, c’est tant mieux.

Fakir : Je voudrais commencer par une déclaration de François Hollande, c’était au G8 : « J’avais, au nom de la France, l’objectif de mettre la croissance au cœur des débats et de faire que cette dimension de croissance puisse trouver toute sa place dans toutes les réunions. Le président Obama a voulu que la croissance soit évoquée comme une manière de donner confiance aux opinions publiques, et aussi aux marchés. Mais je dois dire que dans le G8, cette volonté de croissance, même si chacun des participants pouvait y mettre ses propres mots, a été partagée. Voilà pourquoi je considère que ce G8 a été utile, fructueux, et permet d’envoyer un double message, un message de confiance et un message de croissance. Il n’y aura pas de croissance sans confiance. Il n’y aura pas de confiance sans croissance. »

En moins d’une minute, François Hollande prononce huit fois le mot croissance et quatre fois le mot confiance. Là, on est un peu dans l’incantation, l’invocation d’une puissance céleste.

JG : C’est comme si l’on pratiquait le vaudou pour que la croissance revienne. Mais elle ne reviendra pas.

Surtout, c’est se tromper sur la crise en cours, sur ses causes. Cette crise est apparue aux États-Unis, puis elle a traversé l’Atlantique, après une période de belle croissance. C’est, d’une certaine façon, une crise de croissance.

Fakir : Avec cet appel à la croissance, c’est comme si on voulait signer un retour en arrière, simplement à avant la chute de Lehman Brothers. Et pourtant, en 2007 déjà, pendant la présidentielle, on avait Ségolène Royal qui prononçait soixante-dix fois le mot croissance. Elle lançait : « La croissance repartira de l’avant et la France se relèvera. » Alleluia ! Et à peine Nicolas Sarkozy élu, il nous promettait d’aller chercher un point de croissance supplémentaire…

JG : Avec les dents !

Fakir : … alors qu’à l’époque, en 2006, en 2007, on avait déjà 2 % de croissance. C’était pas nul. C’est comme si, pour avoir du progrès social, il fallait atteindre et attendre des taux de croissance chinois, de 4, 5, 6 % !

JG : C’est ça. Nous vivons sur cette image du gâteau, le Produit intérieur brut (PIB), qui doit grossir. Et si ce gâteau ne grossit pas, on ne pourra pas en donner aux plus pauvres, même des miettes… C’est une image excessivement trompeuse.

D’abord, à qui ont profité les dix années, 1997-2007, de croissance aux USA ? Ça s’est accompagné d’une stagnation, voire d’une régression, pour 90 % des ménages. Une très belle croissance, donc, mais qui ne profitait qu’aux 10 % et surtout aux 1 % les plus riches. Les parts étaient de plus en plus inégales.

Et surtout, le gâteau qui grossit sans cesse, il est de plus en plus bourré de substances toxiques, d’actifs toxiques. Il est de plus en plus empoisonné. Partager un gâteau empoisonné, qui ça fait vraiment saliver ? Voilà ce que nous cachent les discours enflammés de Hollande, d’Obama et du G8 prônant le « retour à la croissance ».

Jamais ils ne s’interrogent : n’y a-t-il pas contradiction entre la poursuite dans la voie du « toujours plus » et le règlement des grandes questions, du climat, de la biodiversité, ou de la pauvreté dans le monde ?

Fakir : On est comme coincés, en ce moment. La droite a tellement entonné le refrain de l’austérité que, par un mouvement de balancier, on prie pour la croissance…

JG : Mais vous pouvez avoir les deux, et vous l’aurez sans doute : la croissance privée dans l’austérité publique. Le sacrifice des biens communs par rapport aux biens privés. Des restrictions de budgets pour la santé, l’éducation, les retraites, bref, ce qui nous apparaît le plus précieux, et des encouragements à consommer des téléphones 4G. Ou à construire des autoroutes.

La branche des économistes

JG : La croissance est la plus forte des croyances économiques, elle traverse presque tous les courants de pensée politiques. Et tous les courants de la pensée économique… Même les copains. Prenez les économistes atterrés. J’ai signé leur manifeste parce que, contre les dogmes libéraux, ils cognent bien. Mais ils sont keynésiens, ils misent sur la croissance… Y compris certains qui disent : « Si on m’enlève la croissance, je ne peux plus rien faire. » Ils se sentent désarmés. Pourtant, il y a deux Keynes. Il y a le Keynes qui dit, en gros, « dans une situation de crise, de chômage, il faut relancer l’économie. » Et puis, il y a le Keynes qui écrit Les Perspectives économiques pour mes petits-enfants. Il estimait que, deux générations après la sienne, les hommes seraient environ huit fois plus riches qu’à son époque et qu’avec cette abondance matérielle, je vous le cite, c’est formidable, « il sera temps pour l’humanité d’apprendre comment consacrer son énergie à des buts autres qu’économiques… L’amour de l’argent comme objet de possession, qu’il faut distinguer de l’amour de l’argent comme moyen de se procurer les plaisirs et les réalités de la vie, sera reconnu pour ce qu’il est : un état morbide plutôt répugnant, l’une de ces inclinations à demi-criminelles et à demi-pathologiques dont on confie le soin en frissonnant aux spécialistes des maladies mentales ! » Mais les keynésiens d’aujourd’hui oublient ce Keynes-là. Je me souviens d’avoir débattu de ça avec Jean-Paul Fitoussi, il y a deux ans. Je lui ai dit : « Mais tu es bien keynésien, Jean-Paul ? Keynes, il a écrit ça… – Oui mais, Keynes, il s’est juste trompé d’un siècle. Dans un siècle on pourra raisonner comme ça. » Évidemment, le Fitoussi de dans un siècle, il dira que c’est valable pour le siècle suivant et d’ici-là, l’humanité aura connu quelques problèmes…

Fakir : C’est comme s’il y avait un Keynes technicien…

JG : Voilà, un technicien de court terme, contre un Keynes philosophe… Les économistes de gauche ne retiennent que le premier. Et pour eux, quand c’est la crise, c’est pas le moment de remettre en cause la croissance. Et quand ça va, eh bien, c’est pas le moment non plus ! De toute façon, c’est jamais le moment… Quand je discute avec ces collègues, je leur demande : « Mais, est-ce que vous connaissez un modèle qui permet de diviser les émissions de gaz à effet de serre par cinq d’ici 2050 et de quand même maintenir 2 % de croissance par an ? » Non, mais ils vous parlent des « technologies », qui vont permettre de tout résoudre comme par magie. Je ne leur dis pas comme ça mais, au fond, ils pensent comme Claude Allègre… Un converti contre la croissance

Fakir : Mais vous aussi, vous êtes économiste. Comment vous en êtes venu, alors, à remettre en cause la croissance ?

JG : J’ai eu ma période marxiste dur, productiviste, au Parti communiste, la totale. Et puis, dans les années 80, j’ai commencé à me poser des questions sur les indicateurs de productivité, mais pas du tout à partir de questions d’environnement. Je travaillais sur les services, j’étais un spécialiste des services, et pendant des années je me suis dit : « La productivité a un certain sens dans l’industrie, mais quand on l’applique à la santé, à l’éducation, ça signifie quoi ? C’est quoi la productivité d’un toubib, d’une aide à domicile ? Qu’elles s’occupent des personnes âgées en dix minutes au lieu d’une demi-heure ? ça veut dire qu’on laisse complètement de côté les questions de qualité ? » Ç’a été mon premier doute, intellectuellement. Et puis, j’ai viré ma cuti dans les années 2000, via les dommages écologiques.

C’est la voie qu’empruntent la plupart des gens : la crise environnementale finit par les toucher, les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), le climat, ou l’agriculture… Dans mes recherches, j’ai alors découvert l’indicateur d’empreinte écologique, fondé par des chercheurs écolos. La même année où Chirac a expliqué, au sommet de la Terre, que si tout le monde consommait comme les Français, il faudrait trois planètes. Voilà : il arrive que même des économistes soient touchés par la grâce. Mais ça sera vraiment la dernière profession à changer – puisque, estiment-ils, ils sont assis sur cette branche, la croissance.

Une histoire du dogme

Fakir : Est-ce qu’on pourrait faire un historique de comment la croissance s’est installée dans les têtes ?

JG : Oui, en effet, car c’est une invention…

Fakir : Première question : quand est-ce que naît la croissance, en tant que réalité économique ?

JG : En gros, les niveaux de vie moyens dans le monde n’ont presque pas bougé entre l’an 0 et le XVIIe siècle. Le premier pays, d’après les historiens, ayant connu un peu de croissance aurait été les Pays-Bas au XVIIe. C’est la division du travail, à partir du XVIIIe siècle, qu’Adam Smith étudie dans la manufacture des têtes d’épingles, qui va engendrer des gains de productivité, faire exploser les quantités produites. C’est dans cette période, entre 1800 et 1850, que naît l’idée de croissance, à défaut du terme, puisqu’on parle d’« augmentation des quantités », ou de « rendement », de choses comme ça…

Fakir : Ensuite, deuxième question : quand apparaît la mesure de cette croissance, avec des indicateurs comme le PIB ?

JG : Ça date du XXe siècle. C’est une invention récente. Les premières mesures de la croissance, non pas dans un domaine, « l’automobile » ou encore « le blé », mais nationales, les premières mesures, ce sont les années 1930 aux États-Unis.

Et en France, c’est au tournant des années 1950 que la comptabilité nationale s’installe définitivement. Avec un grand consensus entre des catholiques, des gaullistes, des communistes, pour la reconstruction, avec la conviction que, si la France a vécu la débâcle en 1940, c’est qu’elle ne produisait pas assez. L’obsession de ces gens-là, c’est : « La France a perdu la guerre, parce qu’elle n’avait pas les capacités productives. » Mais quand les innovateurs, dans l’après- guerre, allaient présenter ça au ministère, auprès de l’élite de la finance publique, on les prenait pour des rigolos. Il a fallu des années, l’appui de Mendès-France, le rôle de L’Express, pour que cette innovation prenne. On s’inspire alors en partie des méthodes soviétiques, en privilégiant la production matérielle par rapport aux services. Il a fallu trente ans, en 1976, pour que la santé, l’éducation, soient intégrées dans le PIB.

Fakir : Enfin, quand est-ce que la mesure de cette croissance devient la mesure du progrès ?

JG : Un fétiche ?

Fakir : Voilà.

JG : Il faut le noter, aux États-Unis, en URSS, comme en France, c’est dans une situation de crise ou de guerre, de reconstruction, que les questions de croissance prennent le plus d’importance politique et symbolique.

On a parlé d’une alliance de la CGT et des polytechniciens. Déjà parce qu’il y avait la reconstruction, l’idée d’une union sacrée, au-delà des divergences de classes. L’ambiance générale était « il faut produire, il faut produire ». C’était « la bataille du charbon », « du logement », et ce n’est pas moi qui vais les critiquer. Vraiment pas. La France est alors à genoux. D’après les historiens, 74 départements ont servi de champs de bataille. La production industrielle ne représente que 29 % du niveau de 1929 ! Après vient la période des Trente Glorieuses, pas si glorieuses à bien des égards. Mais qui a été célébrée, à droite comme à gauche, encore plus à gauche, comme un moment de « partage des fruits de la croissance ».

Au fond, il y avait une sorte de deal : « D’accord, je continue à t’exploiter, tes conditions de travail ne sont pas terribles, il y a des ouvriers spécialisés, mais les gains de productivité vont être correctement répartis. »

Fakir : C’est la base d’un consensus social.

JG : Il y avait des combats, entre autres sur les salaires, mais en effet, c’était le fondement d’un compromis – qui portait sur « le pouvoir d’achat », « le niveau de vie ». Et ces catégories sont devenues des institutions. Quand on les remet en cause aujourd’hui, quand on dit « mais il n’y a pas que le pouvoir d’achat dans la vie. Par exemple, vous pourriez rendre les premiers litres d’eau gratuits, et proposer plus de gratuité pour les transports, pour l’énergie, ça améliorerait la justice sociale, la qualité de vie », les candidats ont l’impression que l’électorat les fuirait.

La gauche sans la croissance ?

Fakir : Même dans la gauche critique. Si on regarde le Front de gauche, la revendication mise en avant, c’est « le smic à 1 700 € ».

JG : Je suis pour. Mais pas besoin de croissance pour ça. Or, il y a deux jours, Jacques Généreux, le « chief economist » du Front de Gauche, expliquait comment il comptait y parvenir. Je le cite : « Pour les petites entreprises, nous ferons en sorte qu’il n’y ait aucun choc en trésorerie, c’est-à-dire que pendant les années de transition nécessaires pour qu’on soit dans le nouveau régime de croissance, de gains de productivité, qui permettent de supporter normalement ce nouveau coût du travail, ça ne coûterait absolument rien à ces petites entreprises… » Ça, c’est préoccupant pour quelqu’un comme moi, parce que Jacques Généreux raisonne encore avec le schéma de pensée du « gâteau qui doit grossir ».

Je trouve dommage que le Front de gauche ne reprenne pas, au fond, le vieil argument de l’économiste John Stuart Mill, dont je suis fan : « C’est seulement dans les pays retardés du monde que l’accroissement de la production est un objectif important : dans les plus avancés, ce dont on a besoin sur le plan économique est une meilleure répartition. » Et cela date de 1848 ! C’est le grand-père de l’écologie politique. Or, la hausse du salaire minimum, la retraite à 60 ans, on peut le faire sans croissance. Simplement en distribuant mieux. Le Smic brut à 1 700 euros, soit 21 % d’augmentation, c’est quinze milliards d’euros en plus à verser. Les bénéfices non-réinvestis des entreprises, essentiellement des dividendes, c’est cent milliards d’euros. Il y a une marge de manœuvre.

Avec quelles forces sociales ?

Fakir : Quel est votre modèle, alors ? Qu’est-ce qu’on fait ?

JG : Il faut arrêter la voie du « toujours plus ».

Fakir : Soit, mais encore ?

JG : On n’en sortira pas tout de suite : on ne peut pas opérer un tournant à angle droit dans un véhicule aussi lourd, avec une pareille inertie, qui roule aussi vite. On n’abandonne pas instantanément l’agriculture productiviste… On ne quitte pas en claquant des doigts le nucléaire… On ne rase pas des maisons qui sont des passoires à calories… mais on peut commencer tout de suite.

Fakir : Un point aveugle de ce projet politique, il me semble, c’est le « avec qui ? » Quand on lit les ouvrages d’économistes écologiques, Tim Jackson, Lester Brown, on a l’impression qu’ils se prennent pour des Premiers ministres du monde. Donc, oui, s’ils régnaient, ils réduiraient le taux de fécondité dans les pays du Sud, ils renforceraient les aides au développement, etc. Mais ils ne se posent aucune question sur les forces sociales, ils ne proposent aucune analyse de classe.

Or, l’écologie, ça a la cote dans la petite bourgeoisie intellectuelle – dont nous sommes. Mais ça apparaît souvent, pour les classes populaires, comme une contrainte supplémentaire, voire comme une menace sur les emplois ?

JG : Oui. Peut-être parce que je suis un ancien syndicaliste, ou parce que ma femme est sociologue, ça compte, mais je suis préoccupé, à peu près en permanence, par la question des alliances.

La première condition d’une conversion écologique, elle est sociale. Je vais prendre un exemple. Aujourd’hui, les dépenses d’énergie, c’est en moyenne de 15 % pour les 20 % de ménages les plus pauvres, contre 6 % pour les 20 % les plus riches. Donc, si la solution proposée, c’est d’augmenter le coût de l’essence, du gaz, de l’électricité, je le refuse – tout comme je me suis opposé à la taxe carbone : c’est encore un fardeau pour les foyers les plus modestes. Il faut d’abord une réforme fiscale d’ampleur, qui lisse les revenus. De même, pour les ouvriers, la sauvegarde de l’environnement est souvent synonyme de risque, de casse industrielle. Évidemment, il y a des secteurs qu’il va falloir abandonner, mais il faut imposer comme impératif, comme préalable, comme absolu, la protection de l’emploi, la sécurité sociale et professionnelle, des droits à la formation, des offres de reconversion – et pas à cent ou mille kilomètres de chez soi.

Et je soulignerais ça : l’écologie, au contraire, c’est une chance d’en finir avec le chômage de masse. On peut, certes, et on doit le faire, diminuer le temps de travail. Mais surtout : la décroissance sélective créerait de l’emploi ! Car « produire plus propre et plus social », ça exige plus d’heures de travail. L’agriculture, par exemple, avec moins d’engrais, moins de pesticides, et des circuits courts, c’est un secteur qui recrutera. Tout comme le bâtiment, si on revoit l’isolation de tous les logements, etc.

Fakir : C’est beau sur le papier. Mais sur le terrain, je me répète, avec quelles forces sociales vous le faites advenir ?

JG : Près d’ici, dans le Nord, dans le bassin minier, il y a une petite commune qui s’appelle Loos-en-Gohelle, dirigée par un type qui s’appelle Jean-François Caron, un Vert. Il est petit-fils de mineur. C’est une ville sinistrée, avec un taux de chômage énorme, un environnement dégradé… Eh bien, ça fait vingt ans qu’il mène une politique écologique et sociale. Il est réélu avec des scores à faire pâlir d’envie les anciennes démocraties dites populaires. 80 %. Un Vert, dans le domaine des socialistes et du Front national… Pourquoi ? Parce que sa politique environnementale n’est pas perçue comme anti-sociale. À l’inverse, ses réformes apparaissent non seulement « acceptables » par les gens, mais désirables.

Fakir : Qu’est-ce qu’il fait, par exemple ?

JG : La réhabilitation thermique des logements. Et il commence par les foyers les plus modestes, pour qu’ils voient leurs factures d’électricité et d’eau diminuer, divisées par deux ou trois. Il donne la priorité aux logements sociaux. On fait ça, et si ça marche on voit si on a les moyens d’aller plus loin. Le « pouvoir d’achat » des gens augmente suite à des mesures écologiques !

Fakir : Quoi d’autre ?

JG : Ça fait quinze ans qu’il se bat pour récupérer du foncier périurbain, détenu par des agriculteurs productivistes, type FNSEA. Il vient, après un combat féroce, de récupérer des terres pour y installer des agriculteurs bios, maraîchers, Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), etc., avec l’idée de mettre du tarif social aussi. Le combat politique, je ne le vois pas seulement comme l’affirmation de grands principes souhaitables mais comme la généralisation, le soutien, à ce qui naît dans les interstices du vieux monde. Parce qu’il n’y a que comme ça qu’on fait craquer un vieux monde, déjà au bord de la ruine, mais qui l’ignore.

Les grands projets

Fakir : Tout à l’heure, en arrivant, vous évoquiez votre grand stade. Mais il n’y a pas qu’ici. Chez nous, dans la Somme, c’est la « ferme des mille vaches » – qui d’après son promoteur va « créer de l’emploi ». Et un projet qui concerne nos deux régions, c’est le canal Seine-Nord, dont le but est de faire passer des plus gros bateaux. Ailleurs, c’est le TGV Lyon-Turin, qui doit permettre d’aller plus vite entre la France et l’Italie, l’aéroport Notre-Dame-des-Landes pour accélérer le trafic aérien, etc. C’est comme si, dans le discours officiel, on avait changé des mots, « développement durable », etc., mais dans la pratique, la bétonneuse tourne comme avant…

JG : Et pourtant, le cas de l’Espagne devrait nous inspirer. Parce que eux, ils ont foncé encore plus loin et plus vite que nous dans les grands projets inutiles, d’aéroports surdimensionnés, qui restent totalement vides.

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LA CROISSANCE, KÉZAKO ?

La croissance est la hausse du Produit intérieur brut. Le PIB additionne l’ensemble des biens et services produits contre rémunération. Engagement social et tâches domestiques ne sont donc pas, ou très peu, pris en compte.

En 1968, favori pour les primaires démocrates aux États-Unis, Robert F. Kennedy, frère cadet de JFK, prononçait un discours iconoclaste peu avant son assassinat.

« Notre PIB prend en compte… la publicité pour le tabac et les courses des ambulances qui ramassent les blessés sur nos routes. Il comptabilise les systèmes de sécurité que nous installons pour protéger nos habitations et le coût des prisons où nous enfermons ceux qui réussissent à les forcer. Il intègre la destruction de nos forêts de séquoias ainsi que leur remplacement par un urbanisme tentaculaire et chaotique. Il comprend la production du napalm, des armes nucléaires et des voitures blindées de la police destinées à réprimer des émeutes dans nos villes. Il comptabilise la fabrication du fusil Whitman et du couteau Speck, ainsi que les programmes de télévision qui glorifient la violence dans le but de vendre les jouets correspondants à nos enfants…

En revanche, le PIB ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur instruction, ni de la gaieté de leurs jeux. Il ne mesure pas la beauté de notre poésie ou la solidité de nos mariages. Il ne songe pas à évaluer la qualité de nos débats politiques ou l’intégrité de nos représentants. Il ne prend pas en considération notre courage, notre sagesse ou notre culture. Il ne dit rien de notre sens de la compassion ou du dévouement envers notre pays. En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. »

Fakir

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