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On les appelle tous corporatistes

Ce 30 septembre les professions que l'on appelle libérales manifestaient très largement contre les projets du gouvernement socialiste. Elles prouvaient que les mécontentements sectoriels et les inquiétudes de tous les milieux s'accumulent dans le pays. Elles prenaient en effet le relais, pour en parler que du mois de septembre d'un blocage très dommageable de la circulation des avions pendant deux semaines depuis le 15 septembre, une durée sans précédent, et d'une explosion de violence des agriculteurs à Morlaix le 19, etc.

Profondément impopulaire et mal défendue la grève des pilotes d'Air France était dénoncée comme "corporatiste". Horreur.

Le conflit actuel autour des 37 professions dites protégées, fermées, et considérées par conséquent comme privilégiées, se révèle hautement représentatif des impasses et incompréhensions hexagonales. Les protestations des métiers que l'on prétend chambouler de force sont elles aussi qualifiées de "corporatistes". Horreur, à nouveau.

Bien entendu quand les travailleurs indépendants, les commerçants, les artisans, ou les agriculteurs se révoltent contre les caisses sociales monopolistes qui les ruinent en prétendant les protéger, on les stigmatisent de la même étiquette, regardée pour infamante.

À noter en revanche que l'Inspection générale des finances dont le rapport a servi de base à la mise en cause des réglementations constitutives de "privilèges" reste, elle, au-dessus de la mêlée. Tout au plus entendra-t-on dénigrer les avantages des petits fonctionnaires. La remise en cause des énormes privilèges de la haute fonction publique ne semble intéresser presque personne. (1)⇓

Remarquons à cet égard, et avant tout, que la France se trouve dans un cas plus répandu qu'elle le croit elle-même.

Mais ce pays se singularise surtout par la charge idéologique investie dans ce genre de débats. On ne les exprime plus guère en termes directs. En revanche tout le discours, des uns comme des autres, celui des réformateurs comme celui des mainteneurs des réglementations et des situations acquises, fonctionne sur la base de préjugés, de connotations, de réminiscences qui paralysent l'intelligence.

Quoi de plus conventionnel que de dénoncer les "corporatismes" et les "privilèges", du moins ceux des autres.

On évoque dès lors, pêle-mêle, les événements de 1789 et notamment la nuit du 4 août comme autant de références.

Constatons simplement que cette abolition de principe donna naissance, d'abord à des troubles de tous ordres, mais aussi à deux lois.

Très différentes, leur histoire et leur impact respectif restent en général trop mal connus. Évoquons-les ici.

La proposition du baron D'Allarde, fut adoptée par l'assemblée en mars 1791. Promulgué par Louis XVI le 23 avril, ce texte, que nous qualifierons de légitime, car conforme aux équilibres prévues pour la nouvelle constitution, reçut alors force de loi. Adepte des physiocrates cette initiative visait essentiellement à supprimer les monopoles urbains, économiquement périmés, attribués à des jurandes remontant parfois au XIIIe siècle.

On le reconnaît pour avoir institué un principe fondamental du droit français, trop souvent battu en brèche, certes, mais toujours réaffirmé : la liberté du commerce et de l'industrie.

Tout autre, la loi Le Chapelier résulte, elle, d'une délibération du 14 juin 1791. On la vota dans un contexte beaucoup mois serein. Rappelons que dans la nuit du 20 au 21 juin allait débuter l'épisode de Varennes aux conséquences tragiques.

La première établissait une liberté.

La seconde prétendait interdire dans la pratique toute forme d'association. Elle sera durement renforcée dans ce sens par le code napoléonien. Toute l'œuvre du XIXe siècle cherchera, pas à pas, à en atténuer la nuisance, en faveur de l'organisation des sociétés de secours mutuel, des syndicats, des cultes, des associations réputées à but non lucratif, etc. – et pas toujours dans le bon sens.

C'est, au bout du compte, principalement en faveur de cette liberté d'association, que se sont dressés, au cours du XIXe siècle, des esprits aussi différents que le socialiste Pierre-Joseph Proudhon ou que le légitimiste René de la Tour du Pin. (2)⇓ Sachant que l'on ne devrait jamais la dissocier de la responsabilité de ceux qui le revendiquent ou en bénéficient, on doit la savoir encore inachevée à ce jour. Aussi convient-il encore aujourd'hui de se mobiliser pour en obtenir la mise en œuvre complète.

JG Malliarakis

Apostilles

  1.  On peut quand même saluer quelques exceptions, notamment les travaux d'Agnès Verdier-Molinier. 
  2.  cf. son livre "Vers un ordre social chrétien"

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