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Liberté d’expression : les grandes manœuvres ont commencé !

Chronique de Bernard Mazin, essayiste.

« Avant tout, on n’aura cure d’oublier que la liberté d’expression est une manifestation de la démocratie, et que les forces qui concourent à l’éviction de la démocratie s’avancent masquées ; elles transcendent tous les clivages politico-économiques et sont d’une incommensurable puissance. »

La magistrale opération de storytelling à laquelle nous assistons depuis le 11 janvier a d’ores et déjà permis à ceux qui nous gouvernent de rebondir dans les sondages. Mais cela était prévisible, et ce regain de faveur n’aura probablement qu’un temps, une fois dissipés les vertiges de Charlie, et revenue à l’ordre du jour la confrontation au mur de la réalité.

 

Cependant, ces derniers jours, sur Polémia et sur tous les sites qui lui sont proches, de nombreuses voix nous ont mis en garde contre les risques de récupération et de manipulation qu’allait générer cette atmosphère à la « Embrassons-nous, Folleville », si provisoire soit-elle. En contrepoint de ces avertissements, la publication de la moitié des interventions prononcées lors de la XXXe Université annuelle du Club de l’Horloge sur le thème « Rétablir la liberté d’expression » a fourni fort opportunément les éléments de contexte du débat.

Force est de constater qu’en quelques jours seulement, les craintes que l’on pouvait avoir se vérifient. Malgré les dénégations de nos gouvernants, tout se met en place pour accréditer l’idée qu’une législation d’exception est souhaitable, parce quesouhaitée par l’opinion.

 

En ce sens, un sondage publié dans le Journal du dimanche du 18 janvier est un premier « Cheval de Troie ». Il révèle que 50% des personnes interrogées se déclarent favorables à « une limitation de la liberté d’expression sur Internet et les réseaux sociaux » contre 49% qui n’y sont pas favorables et 1% sans opinion. La nature des autres questions posées montre que ce résultat est impacté par la réaction aux attentats du 7 janvier, et donc par une peur de la menace islamiste. Mais les commentaires se gardent d’insister sur ce point, et la mise en page est organisée de façon à mettre en exergue les 50% partisans de la limitation de la liberté d’expression, et non la moitié des sondés qui y est hostile.

Comme je l’indiquais dans une chronique du 29 septembre 2014, la lutte contre le terrorisme est le prétexte idéal pour justifier un renforcement des lois liberticides. Mais la perspective que j’entrevoyais alors se heurtait encore à de nombreuses résistances, tant chez les juristes que chez les parlementaires. Aujourd’hui, grâce à MM. Kouachi et Coulibaly, elle va devenir une évidence : pour se protéger contre le fondamentalisme, il est nécessaire, nous dira-t-on, de le priver de ses moyens d’expression. Et puisque la moitié des Français sont d’accord, allons-y sans retenue.

On présumera que les 50% de sondés prêts à accepter des restrictions sur Internet et les réseaux sociaux se sont prononcés en leur âme et conscience. Mais on peut être en même temps de bonne foi et « idiot utile ». Le très intéressant ouvrage de Jean Bricmont La République des censeurs, recensé en son temps sur ce site, montrait à quelles dérives s’expose un Etat qui s’engage dans un « tripatouillage » des principes fondamentaux au rang desquels figure la liberté d’expression, sous la pression des événements ou celle des bien nommés « groupes de pression ». Lorsque la configuration, comme nous en connaissons une depuis quelques jours, se caractérise par la « conjonction astrale » de ces deux facteurs, avec de surcroît l’onction supposée de l’adhésion populaire, la porte est ouverte à toutes les aventures.

En effet, les « restrictionnistes » oublient plusieurs choses importantes :

• L’objet des restrictions à la liberté d’expression – le terrorisme islamiste aujourd’hui – sera rapidement démultiplié en lutte contre d’autres dangers supposés, et normalisation de toute pensée politiquement incorrecte. Il a suffi de quelques jours pour que Dieudonné soit traîné en justice pour une phrase peut-être pas de très bon aloi, mais qui a été immédiatement réinterprétée en novlangue du XXIe siècle. Il faut donc rappeler sans relâche le dicton hodie mihi, cras tibi : aujourd’hui c’est mon tour, demain ce sera le tien ;

• Lorsque le cheval est emballé, il est difficile de le freiner: même en supposant que le « peuple souverain » soit favorable à la mise en place d’instruments de restriction d’Internet, ce peuple n’exercera de fait aucun contrôle sur les conditions d’utilisation de ces instruments, et ne disposera pas des contre-pouvoirs nécessaires pour faire machine arrière en cas d’abus. De plus, on commence aujourd’hui avec Internet, mais les entraves tout aussi graves qui existent déjà dans les autres formes d’expression (accès aux médias, édition, spectacle, art) peuvent aller en se renforçant. La restriction des libertés est en général une voie à sens unique ;

• Avant tout, on n’aura cure d’oublier que la liberté d’expression est une manifestation de la démocratie, et que les forces qui concourent à l’éviction de la démocratie s’avancent masquées ; elles transcendent tous les clivages politico-économiques et sont d’une incommensurable puissance. Elles ont pour noms superclasse mondiale, règne des technocrates et des experts, gouvernance planétaire. Dieudonné, encore lui, nous permet d’illustrer ce dont il est question : Au moment de rédiger cette chronique me parvenait une information selon laquelle M. Marc Ladreit de Lacharrière, emblématique représentant, s’il en est, de l’hyperclasse cosmopolite et dirigeant de la société financière propriétaire des salles Zénith, aurait donné instruction à toutes les salles de refuser l’accès aux spectacles de l’humoriste. Sans commentaires…

Face à de tels adversaires – ou plutôt ennemis – il n’est pas de saison de rechercher des discours de compromis. Une seule position est soutenable: le retour aux sources de la loi de 1881 sur la presse, c’est-à-dire l’affirmation du caractère absolu et indivisible de la liberté de s’exprimer, sous les seules réserves de la répression de l’injure et de la diffamation. 49% de Français conscients de l’importance des enjeux, n’est-ce pas déjà un bon début pour commencer le combat ?

Bernard Mazin, 18/01/2015

Source : Polémia.

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