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Valls ou le degré zéro de la pensée

Monsieur Valls se saisit de la philosophie. Il le fait à sa manière, limitée et expéditive, comme aurait dit le Général. Celle dont il a usé face aux frondeurs (qui ne méritaient par ailleurs pas tant d’honneur). Celle dont il abuse pour supprimer des débats qui le dérangent. Monsieur Valls a donc décidé d’attaquer Michel Onfray. Que lui reproche-t-il ? Le mieux est ici de laisser la parole à la victime[1].

« Valls quant à lui n’a pas même pris le temps de lire l’entretien du Point à partir duquel il extravague. Qu’y ai-je dit? La question était la suivante: «Quels sont les intellectuels de droite dont vous vous sentez le plus proche?». Voici ce que j’ai répondu: «Je ne me sens pas proche de BHL ou d’Alain Minc, ni de Jacques Attali qui, me dit-on, sont de gauche. Faudrait-il que je me sente proche pour cela d’intellectuels de droite? Qui sont-ils d’ailleurs? Concluez si vous voulez que je préfère une analyse juste d’Alain de Benoist à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL et que je préférais une analyse qui me paraisse juste de BHL à une analyse que je trouverais injuste d’Alain de Benoist … Les Papous vont hurler! Mais ils ne me feront pas dire que je préfère une analyse injuste de BHL sous prétexte qu’il dit qu’il est de gauche et que Pierre Bergé, Libération, Le Monde et le Nouvel Observateur, pardon, L’Obs affirment aussi qu’il le serait…». Les papous ont donc hurlé, jusqu’à Matignon. »

D’une certaine manière, on pourrait en rester là et laisser le Premier Ministre à sa honte. Mais, ce n’est pas la première fois qu’un membre éminent du P« S» se comporte ainsi. Il y a plus d’un an, c’était Pierre Moscovici qui s’était répandu en bavant à mon propos. Il y a du système dans la méthode. Et cette méthode, elle se dévoile chaque jour un peu plus dans la posture prise par le Premier Ministre qui se veut un apparent rempart face à l’extrême-droite. Des doutes ont été exprimés sur cette stratégie, mais je le rassure tout de suite : oui, il elle est efficace, mais comme fourrier !

De la confusion des genres.

En fait Manuel Valls reproche à Michel Onfray de faite son travail d’intellectuel, qui implique rigueur et honnêteté, deux mots qui ne figurent pas au vocabulaire de Béachel, ni de certains autres. Il l’accuse de perdre ses repères. Venant d’un homme qui a systématiquement brouillé les siens, qui déclare qu’il « aime l’entreprise », sans préciser laquelle, ni même établir de différence entre les entrepreneurs et l’entreprise, qui étale ainsi au grand jour ses insuffisances cognitives mais pas sa suffisance discursive, il y aurait de quoi rire.

Mais, nous vivons une période de confusion des genres. Un candidat à la Présidence de la République peut ainsi dire en public que son « ennemi c’est la finance » et, une fois élu, renoncer à toute mesure qui limiterait le pouvoir cet ennemi, nommer ministres des hommes inféodés à cet ennemi, et en un mot faire le contraire de ce qu’il avait dit. L’exemple vient donc de haut. Alors, bien entendu, dans un monde où un ministre de « gauche » peut se permettre de révoquer des mesures clés de protection sociale, où un Premier-Ministre peut décider de faire passer cette loi aux forceps (l’article 49, alinéa 3), on peut estimer qu’il n’y a plus de repères. Ou bien, plus précisément, que ce gouvernement et ce Premier Ministre, sont les premiers responsables de cette « perte de repères ». Car, les désastres électoraux se préparent et, quoi qu’on en dise, les électeurs ne sont pas stupides. S’ils se détournent des soi-disant « socialistes », qui ont tout fait pour cela, sans aller dans les bras d’une droite dont ils ont expérimenté les mauvaises recettes, ce n’est pas sans raison.

Le seul point sur lequel je serai en désaccord avec Michel Onfray, c’est quand il compare le microcosme politicien et médiatique aux Papous. C’est très injuste pour ces derniers. La consternante jobardise de politiciens aux abois, la prétention renversante des serviteurs des médias, tout ceci ne serait pas de mise dans les forêts de la Nouvelle-Guinée.

Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark[2]

Il n’en reste pas moins que toute cette affaire est révélatrice à la fois d’un climat et de pratiques délétères. Pourquoi un politique intime-t-il à un intellectuel de parler ou de se taire ? De quel droit ce politique se permet-il de juger en des termes aussi lapidaires du travail d’un intellectuel ? J’entends bien l’objection que l’on fera : l’intellectuel ne travaille pas dans sa tour d’ivoire ; ses positions influent sur le débat politique et justifient cette interpellation. Ceci est juste mais ne serait ici pertinent que si Michel Onfray se fût lui-même positionné sur ce terrain politique. Ce n’est pas le cas. Alors, on peut approuver ou non ses positions, et de toutes les manières ses positions sont et seront l’objet de débats. Encore faut-il pour cela répondre au niveau où il se place, celui des idées. Ce n’est pas ce qu’a fait Manuel Valls, qui s’est situé délibérément sur le terrain de l’interpretation politique la plus instrumentale et qui a, sciemment, déformé la pensée de Michel Onfray.

Mais ceci est, en lui-même, révélateur d’une conception du débat, ou plus précisément du non-débat, qui caractérise une large partie de l’élite politique française. On cherche à impressionner plus qu’à convaincre, à terroriser plus qu’à échanger des arguments. L’heure n’est plus à la discussion sur des positions rationnelles, mais à l’échange d’anathèmes et d’invectives. Ceci en dit long sur le processus de décomposition de la pensée qui produit un Manuel Valls tout comme il avait produit avant lui un Béhachel. Quand ceux qui vous inspirent vont chercher leurs sources dans les poubelles d’Internet, comme on l’a vu avec l’affaire Botul[3], il ne faut plus s’étonner que l’on raconte n’importe quoi, et pas seulement sur les débats d’idées.

Le traitement de Michel Onfray par Manuel Valls est enfin révélateur du peu de cas que l’on fait actuellement en France de la réflexion. Je le répète, on peut parfaitement discuter des thèses d’Onfray, comme celles d’autres auteurs. Mais l’attaquer sur ses références est d’une stupidité insondable. A ce titre, nous ne lirions plus grand-chose, et en particulier nous devrions brûler des auteurs comme Carl Schmidt et bien d’autres. Que l’on puisse se construire contre un auteur implique que l’on intègre aussi une partie de sa pensée. On ne se construit contre qu’en se construisant avec. Et c’est pour cela qu’il faut lire des auteurs que l’on peut considérer comme réactionnaire, et que dire que l’on peut trouver des idées intéressantes ne vaut nullement approbation de la totalité du discours et de la démarche. Mais, je sais aussi qu’écrire cela ne sert à rien. Les gens comme Valls et Moscovici, et les petits marquis frisés qui les entourent, se moquent bien du processus de construction d’un raisonnement et d’une pensée. Ils se situent bien en deçà. On a beaucoup glosé sur l’expression « pensée unique » mais en l’espèce cette expression a un énorme défaut : dans « pensée unique » il y a encore « pensée ». Visiblement, pour Manuel Valls, c’est encore trop.

Jacques Sapir

[1] « Nouvelle droite, BHL, FN : la réponse de Michel Onfray à Manuel Valls » in FigaroVox, le 8 mars 2015, http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/03/08/31001-20150308ARTFIG00094-la-reponse-de-michel-onfray-a-manuel-valls.php#

[2] “Something is rotten in the State of Denmark“, W. Shakespeare, Hamlet, Marcellius, acte I, scène 4

[3] Lancelin A., « BHL en flagrant délire : l’affaire Botul », le Nouvel Observateur, 21 février 2010, http://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20100208.BIB4886/bhl-en-flagrant-delire-l-039-affaire-botul.html

Russeurope :: lien

http://www.voxnr.com/cc/dt_autres/EukypFuFuyYAnXKAtw.shtml

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