Eric Letty et Guillaume de Prémare nous invitent dans leur dernier ouvrage(1) à « résister au meilleur des mondes ». Ils montrent tout ce qu’il peut y avoir de commun entre la rêverie d’Aldous Huxley sur ce Brave new world et les intuitions impératives d’un Jacques Attali, qui nous ont gouvernés. Nous avons interrogé notre éditorialiste Eric Letty.
Monde et Vie : Vous indiquez que le clivage gauche droite, malgré son côté suranné, pourrait se survivre dans l’opposition entre progressistes transhumantes et bioconservateurs. Qu’entendez-vous par là ?
Eric Letty : Cette opposition, que l’on doit au Dr. Laurent Alexandre, président d’une société spécialisée dans le séquençage de l’ADN, me paraît pertinente, bien que je n’aime pas le terme de « bioconservateur ». (Trop souvent, le conservateur campe sur une ligne Maginot de la pensée, qui finit par céder ou être contournée par l’adversaire.) Une utopie, porteuse d’une nouvelle anthropologie, est en train de se mettre en place. elle envisage de recréer l’homme, y compris physiquement, en recourant aux nouvelles technologies : méthodes de procréation artificielle, tri embryonnaire, ectogénèse (l’utérus artificiel), qui débouchent sur un programme eugéniste. La Grande-Bretagne vient ainsi d’autoriser la conception d’enfants à partir de trois ADN, ce qui, comme l’a dit David King, fondateur de l’association Human génétiques Alert, ouvre la porte à « un monde de bébés fabriqués sur mesure »… Ce projet ne se développe pas seulement en France, mais à l’échelle du monde. Financé depuis des décennies par les plus grandes fortunes mondiales, et aujourd’hui par les jeunes entreprises de la Silicone Valley, porté par l’ONU et les organisations qui travaillent avec elle (à commencer par le Planning familial), il vise à imposer un nouvel ordre planétaire et à terme, un gouvernement mondial qui règnera sur des individus sans racine : « l’homme nomade » d’Atlas, ou le citoyen du Meilleur des mondes d’Huxley. Nous avons voulu montrer, Guillaume de Prémare et moi, que la liquidation des nations, la destruction de la famille, la décontraction des normes, l’essoufflement de l’individu, l’idéologie du genre, le « mariage » homosexuel, la conception des enfants en laboratoire, la planification des naissances, le transhumanisme (l’homme « amélioré » ou l’homme robot), et finalement la réduction de l’être humain à un produit, s’inscrivent dans une même logique. Si l’on retrouve dans cette bataille le clivage gauche-droite, c’est dans la mesure où le véritable homme de droite se méfie de l’utopie alors que l’homme de gauche en fait la clé de l’avenir : « elle seule fait avancer le monde » a dit Bernard Kouchner, ancien ministre de François Mitterrand et de Nicolas Sarkozy…
La culture unisexe est un des principaux vecteurs de cette transformation de l’homme dont vous décrivez la possibilité. Dans le chapitre intitulé la maison sans toit, vous insistez sur une dévirilisation des hommes, qui vous paraît au moins aussi importante que la masculinisation des femmes ?
Il me semble qu’elle en est la condition. L’homme est en quelque sorte le « maillon faible » de la famille, car il n’entretien pas avec l’enfant un lien aussi fusionnel que la mère qui le porte et le nourrit. A partir du moment où le mouvement féministe, imprégné par le marxisme, est parvenu, conformément au voeu d’Engels, à instaurer jusqu’au sein du couple la lutte des sexes, succédané de la lutte des classes, le père a été mis à la porte de la famille. Mais la situation s’est retournée contre les femmes, par une logique qui aboutit aujourd’hui à dévaloriser la maternité - qui dans le « meilleur des mondes » d’Uxley est taboue. La Bible nous enseigne à ce propos que l’antagonisme entre l’homme et la femme est un effet de la Chut originelle. Adam accusant Eve, tente même d’en rendre Dieu responsable : c’est la faute à elle, la femme que, vous, vous avez mise avec moi… L’opposition de l’homme et de la femme est diabolique.
Dans les années 70 et 80, on a beaucoup parlé de la lutte contre le totalitarisme. La Chute du Mur de Berlin en 1989 nous adonné l’illusion qu’on avait fini avec lui. Vous montrez au contraire qu’un autre totalitarisme est à l’oeuvre aujourd’hui, plus sournois, moins violent que les totalitarismes historiques : un totalitarisme maternant ?
Le propre d’un système totalitaire est de conditionner les individus et les masses. Il est possible d’y parvenir en opprimant et en terrorisant ses opposants et son peuple, mais l’utopie, avant d’être répressive, est séduisante. Celle qui se met en place promet aux individus des pays riches (les populations des pays pauvres sont beaucoup moins bien traitées) la sécurité, la santé, la longévité, le bien-être matériel, le droit au plaisir, ce qui nous est présenté comme le bonheur. Mais en isolant et en déresponsabilisant les personnes, elle les dépossède de deux dimensions propres à l’être humain : le lien social, bâti sur la charité, et la vraie liberté, fondée sur la vérité.
Vous montrez enfin que l’intention profonde des millions de personnes qui ont défilé entre 2012 et 2014 à l’invitation de la Manif pour tous est d’enter en résistance contre ce Monde nouveau et déshumanisant. Comment voyez-vous la pérennité de ce mouvement ?
Pour la plupart, les manifestants n’avaient pas conscience de ce qu’ils combattaient. Le simple bon sens et un réflxe altruiste les ont conduits à s’opposer à la loi Taubira dénaturant le mariage, à la gestation pour autrui, à la promotion de l’idéologie du genre à l’école… Mais la loi Taubira n’est qu’une étape, en France d’un processus utopique aux dimensions mondiales. Par son caractère de mobilisation populaires, la Manif pour tous constitue une nouveauté d’ordre politique. IL lui reste désormais à trouver un mode d’expression qui lui soit propre, en évitant de tomber dans les pièges du système. Nous sommes tous appelés à la résistance.
I) eric Letty et Guillaume de Prémare, Résistance au Meilleur des mondes, éd. Pierre-Guillaume de Roux 2015, 212 pp. 19€
Monde & vie de février 2015