Philippe Bilger offre une analyse sans concession de la situation politique actuelle. Extraits :
"(...) Le pouvoir me fait penser à un avocat qui, en cour d'assises, perdrait tous ses procès mais s'obstinerait à n'incriminer que les jurés pour expliquer ses déconvenues systématiques sans jamais s'interroger sur sa propre responsabilité, voire son incompétence de plaideur. Il est symptomatique, en effet, de les entendre, président de la République, Premier ministre, ministres, président de l'Assemblée nationale, Premier secrétaire du PS, constater, s'émouvoir, dénoncer, faire peur, s'indigner, faire la morale mais jamais se questionner, se mettre en cause, débattre de leur politique, l'analyser pour chercher en elle, qui sait?, les causes de l'implacable, mais non inéluctable, montée du FN.
Il y a comme une amère volupté, pour ce pouvoir, à nous décrire ce qui nous attend et ce dont il est, pourtant, le principal, voire l'exclusif maître d'œuvre ou d'inaction. Comme si prédire le désastre lui permettait de faire croire que nécessairement il ne pourrait pas y être impliqué (...)
Mais c'est la gauche qui n'a cessé de se poser en instructeur éthique à l'égard d'un adversaire qui l'a trop longtemps accepté. Et c'est la gauche qui, depuis 2012, contemple ce phénomène qui la dépasse et qui conduit une part importante des citoyens non seulement à la rejeter mais à mettre son espérance dans un parti dont l'opposition violente et sans concession lui fait du bien.
C'est donc que le FN n'a pas surgi de nulle part et qu'il ne s'est pas accru par magie comme une sorte d'objet partisan atypique. Son ampleur d'aujourd'hui et ses succès prévisibles de demain sont et seront la conséquence directe d'une politique sociale et économique qui échoue, d'une politique pénale calamiteuse oublieuse du peuple français et, plus généralement, de l'indifférence que manifeste l'Etat à l'égard de ces France sacrifiées au sein de la France abstraite vantée par les discours (...)
Il y a une forme d'impudence à culpabiliser, sur le ton du deuil démocratique, les citoyens qui s'égareraient, à déplorer les avancées du FN mais de demeurer à l'abri de toute critique dans le contentement socialiste de soi et la bonne conscience d'un pouvoir qui ne saurait fauter ni mal agir puisque, de gauche, il est forcément irréprochable.Pourtant le FN progresse à cause de lui (...)
La lamentable politique pénale de Christiane Taubira [maintenue] contre l'évidence démocratique ? (...) Je suggère encore un effort à François Hollande: il serait courageux de sa part de s'imputer toute la responsabilité. Que les populismes montent partout ne l'exonère nullement. L'impuissance ne sera jamais une circonstance atténuante en politique. Ce pouvoir, pour l'instant et face au FN, est vigilant mais les yeux fermés et les mains vides."