Depuis plusieurs années, pour ne pas dire quelques décennies, la voix de la France est inaudible sur la scène internationale. Muselée par sa soumission aux volontés de Washington, Paris perd lentement mais sûrement son influence passée. Le fiasco syrien en est un bon exemple.
La Syrie était un pays stable avant que les Occidentaux ne décident au nom d’une moralité dévoyée de plonger cette nation dans une effroyable guerre civile, communautaire et religieuse. Le régime laïc baasiste réussissait, malgré ce qu’en disent ses détracteurs actuels, à faire vivre ensemble des communautés très différentes les unes des autres.
Dans un pays à majorité musulmane, il réalisait la prouesse d’assurer les mêmes droits à tous les citoyens syriens quelque soit leur confession. Avec l’Irak de Saddam Hussein, c’était la nation proche orientale dans laquelle les chrétiens pouvaient vivre leur foi dans la plus grande sécurité. Le grand malheur du régime de Bachar El-Assad fut d’être un allié inconditionnel de l’Iran face à l’Arabie saoudite et de préférer la Russie de Poutine à l’Amérique de Bush et d’Obama.
Depuis la Guerre froide, la Syrie fut un point d’appui pour l’ancienne Union soviétique et ce rapport privilégié entre Damas et Moscou ne s’est jamais effrité avec le temps. Désormais, la Russie, pour défendre ses intérêts, intervient énergiquement contre les islamistes en Syrie et les Occidentaux ont fait mine, pendant quelques jours, d’être scandalisés par les actions militaires russes !
Ceci démontre une incapacité chronique à ne pas voir le monde tel qu’il est.
Comment pouvions-nous croire que la Russie renoncerait à sauver un allié de poids en grande difficulté ? Comment pouvions-nous penser que la Russie laisserait la situation se dégrader en Syrie alors que le risque de voir le Caucase à nouveau s’enflammer est réel ? À présent que la Russie retrouve une capacité d’intervention sur la scène internationale, il était stupide de penser qu’elle s’effacerait docilement sur notre simple demande. Les Occidentaux ont pris le risque énorme de miser aveuglément sur les pays du Golfe persique, sur le sunnisme contre les chiites, mais aussi contre l’Iran, proche des intérêts russes dans le Caucase pour éradiquer entre autres les mouvements islamistes sunnites capables de mener des guérillas meurtrières comme ce fut le cas en Tchétchénie.L’intervention aérienne russe en Syrie contrarie les plans de Washington de déstabilisation de la région via des groupes sunnites extrémistes.
Sous le couvert des droits de l’homme, de la moralité humaniste, juste bonne à être servie comme propagande aux opinions publiques, l’Occident n’hésite pas à soutenir fidèlement des régimes religieux autoritaires comme ceux de l’Arabie saoudite en légitimant, la main sur le cœur, son action contre le régime syrien du fait que celui-ci soit une dictature !
Pour atteindre leurs objectifs, il n’hésite pas, comme ce fut le cas en Afghanistan, en Irak et en Libye, à entraîner, à armer et à financer des groupes islamistes sunnites. En Syrie, au nom des libertés individuelles, l’Occident, aligné en ordre de bataille derrière les États-Unis, a soutenu, dans le plus grand silence médiatique, le Front Al-Nosra, branche d’Al-Qaida au Proche Orient, contre l’armée officielle syrienne. Pour soi-disant lutter contre l’état islamique de Daech, nous avons équipé leurs congénères d’Al-Qaida !
Ceci paraît incroyable, mais ce fut jusqu’il y a peu la solution occidentale pour la Syrie. Visiblement, la fin justifiait les moyens et le justifie encore si l’on écoute la voix de la France représentée par celle du soldat Hollande. Derrière cet islamisme sunnite intransigeant, intolérant, liberticide, capable de massacrer des populations entières et de commettre les crimes les plus abominables, tout en ayant aujourd’hui la capacité de fragiliser nos sociétés européennes, nous avons systématiquement, en soutien logistique et financier, l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, c’est-à-dire les principaux alliés de l’Occident au Proche Orient.
Ce jeu dangereux que nous menons avec ces groupes islamistes et ces pays, soi-disant alliés, car membres de l’OTAN ou bien alors partenaires privilégiés de nos économies, nous renvoie à notre incapacité à nommer objectivement nos ennemis, mais aussi à notre incapacité d’exister fièrement en tant que civilisation dans le monde contemporain.
Dans la plus grande indifférence médiatique, l’Occident ouvre toute grande sa confiance et ses portes à des gens qui ne nous veulent pas que du bien.
Vincent Revel