Il est mon Français préféré!", avait dit de lui le président François Hollande. C'était à l'occasion de la naturalisation en urgence de Lassana Bathily, suite à la prise d'otages du 9 janvier 2015 dans l'Hyper Cacher de la Porte de Vincennes.
Peu après, Barack Obama, lors d'un sommet international, a montré en exemple aux "peuples du monde entier (...) les actes héroïques du modeste employé de ce supermarché (...) un musulman, qui a caché des clients juifs et leur a sauvé la vie."
L'histoire du jeune manutentionnaire malien, alors sans-papiers, a fait rêver le monde entier. Elle évoquait celle des Justes qui pendant la Seconde Guerre mondiale, eux aussi, ont "caché des Juifs". Hasard ou coïncidence ? Aux Etats-Unis, le Centre Simon Wiesenthal, dédié à la mémoire de l'Holocauste, a décerné sa "médaille du courage" en 2015 au "héros" international de "la fraternité entre les peuples".
Ex-otages en colère
Cette histoire était belle. Trop belle ? Elle est contestée fermement par les principaux intéressés, à savoir les six clients adultes de l'Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, cloîtrés pendant quatre heures -une éternité- dans un congélateur du sous-sol avec un bébé de onze mois. Criant au mensonge, ces ex-otages sont en colère !
L'un d'eux, Yohann Dorai, témoigne dans le livre que nous signons ensemble(1).C'est lui et non Lassana Bathily qui a débranché le système de réfrigération afin de permettre une survie précaire des otages dans un espace glacial qui aurait pu devenir leur tombeau. Logique. Yohann Dorai est chauffagiste de profession.
C'est lui aussi et non Lassana Bathily qui a verrouillé la porte du congélateur après que les otages s'y sont cachés sans aucune aide du jeune malien, comme en attestent plusieurs témoignages.
C'est lui encore et non Lassana Bathily qui a caché une clef du congélateur dans un recoin du sous-sol et en a prévenu la police comme en témoigne un documentaire, Les Hommes du Raid, diffusé en septembre dernier par la Cinquième.
C'est lui enfin qui a donné sa doudoune pour couvrir le bébé enfermé avec sa maman dans cette pièce minuscule où il faisait moins cinq degrés.
Que s'est-il passé ?
Rappelons le contexte. Quelques minutes auparavant, semant la terreur au rez-de-chaussée de l'Hyper Cacher, l'islamiste radical Coulibaly, avait fauché deux clients, François-Michel Saada et Philippe Braham, ainsi qu'un employé Yohann Cohen.
Fuyant les tirs meurtriers de Kalachnikov, une quinzaine de clients devenus otages s'étaient précipités vers le fond du magasin. Sidérés devant l'issue de secours fermée à double tour, ils s'étaient ensuite dirigés vers l'escalier en colimaçon, à quelques mètres de là, qui les mena au sous-sol.
Lassana Bathily, qui s'y trouvait déjà pour y ranger des produits surgelés, proposa alors à certains otages de s'enfuir avec lui par le monte-charge qui les mènerait au rez-de-chaussée vers la porte de secours dont il possédait, semble-t-il, les clefs. Ce projet paraissant trop aléatoire, personne ne le suivit. Lassana n'insista pas et pensa d'abord à se sauver lui-même. Qui oserait lui en faire reproche ? Une fois dehors, le jeune manutentionnaire fut aussitôt arrêté sans ménagement par les policiers du RAID qui encerclaient le bâtiment.
Après les avoir convaincus qu'il n'était aucunement complice du terroriste, Lassana Bathily les a renseignés sur la topographie du magasin qu'il connaissait bien. Le jeune homme, surtout, a facilité l'assaut en fournissant à la police le double des clefs du rideau de fer de la porte principale du magasin. C'est le seul fait d'armes à son actif. Cela fait-il de lui un héros ?
Une exigence de vérité
En réalité, Lassana Bathily s'est comporté comme l'aurait fait n'importe quel citoyen français, amené en de telles circonstances à collaborer avec la police. Mais il n'a caché personne, n'a protégé personne, n'a aidé personne pendant les minutes passées dans l'Hyper Cacher sous l'emprise du terroriste. Lassana Bathily n'est pas un héros. Il ne cesse d'ailleurs de le répéter. Mais, trop attachés à la belle histoire que nous avons montée en épingles, nous refusons de l'entendre.
(1) Hyper Caché, par Yohann Dorai et Michel Taubmann, éditions du Moment.