Puisque la famille, premier repère naturel et premier besoin social de tout homme, est en pleine désagrégation, au risque d'engendrer la perte des libertés les plus élémentaires de la personne humaine, il convient de réfléchir aux méthodes les plus drastiques pour la redresser et la consolider.
Les maux invoqués étaient l'hyper-contractualisation de l'institution familiale, qui en fragilisait l'unité, par la reconnaissance de tous les types possibles d'unions autres que le mariage légitime entre un homme et une femme, et les possibilités ouvertes de divorces. En outre, le régime actuel des successions, pensons-nous, accroît cette fragilisation, amoindrissant le sentiment de transmission inter-générationnelle, en détruisant les patrimoines familiaux fonciers qui doivent être très souvent vendus pour acquitter les droits et réaliser les partages.
Sur le premier point, celui des autres formes d'union et les divorces, il est apparu que cette situation est née d'excès moraux passés et présents. L'usage excessif de la raison au détriment de la passion dans les siècles passés a rendu l'institution matrimoniale invivable et étouffante à la plupart des hommes européens qui souffrit de mariages d'intérêt où l'amour avait peu à voir. Il s'agissait de marier les propriétés plus que les hommes, de marier dans la région avec un parent, ou au contraire d'éviter de marier avec un parent pour des raisons canoniques, ou encore il convenait de caser au plus vite la fille de la famille sans lui demander son avis, etc. Autant de raisons très différentes, qui s'inséraient dans des stratégiques familiales et qui ne sont pas mauvaises, à condition qu'elles respectent l'inclination amoureuse des futurs époux, ce qui n'était pas le cas. A cet excès en répondit un autre, celui du tout passionnel, né du romantisme du XIXe siècle et parvenu en plein éclat depuis la fin de la seconde guerre mondiale et notamment après les événements de mai 1968. Ce tout passionnel considère qu'il est prioritaire de se plaire ou de s'aimer follement au détriment de toute raison. En réalité, on est dans le sentiment amoureux, passager, et non pas dans l'acte volontaire d'amour. Ces deux déséquilibres ont attaqué les institutions familiales chacun à leur manière et involontairement, puisqu'ils pensaient toujours en être la meilleure expression.
La première réponse à trouver doit donc être morale.
D'une part, les jeunes gens doivent être éduqués, dans le cadre familial, associatif et scolaire, à une saine gestion de leurs sentiments. C'est-à-dire qu'au lieu de succomber à la passion amoureuse et de rouler de flirt en flirt à la recherche d'une impossible jouissance parfaite et permanente de l'esprit et des sens, les jeunes gens doivent apprendre à se maîtriser pour rechercher le plus grand bien. Dans l'ordre de la vie sentimentale, il s'agit du bien qui épanouira de la manière la plus durable, c'est-à-dire dans l'acte volontaire d'amour et non la passion passagère. Cela implique de maîtriser sa sexualité, d'éduquer son regard et de n'imaginer qu'une relation amoureuse durable, à laquelle seule contribue vraiment l'institution du mariage, tuteur de croissance et cadre protecteur. Pour le jeune homme, comme pour la jeune femme, cela exige de comprendre le fonctionnement des sentiments et du corps de son sexe et du sexe opposé, mais également d'en percevoir la très haute valeur. Pourquoi très haute ? Parce qu'il s'agit de l'esprit et du corps de la moitié de l'humanité, et que dans le cadre de la relation avec l'autre moitié naît une complémentarité qui est la seule capable de bâtir une société humaine équilibrée et de générer l'avenir par l'enfantement.
L'autre apport moral nécessaire est dans l'éducation au mariage. En effet, l'éducation sentimentale et sexuelle ne suffit pas, même si elle donne un cadre général encourageant. Il est justement général, alors que le mariage est une institution spécifique. Il convient donc de s'y préparer spécifiquement. Traditionnellement, les deux amants avancent vers le mariage par un temps de fiançailles, où ils se rapprochent, apprennent à se mieux connaître, à connaître leurs familles respectives et préparent leur future vie commune. Ce temps, sous des formes différentes et parfois avec d'autres noms, a su être conservé jusqu'aujourd'hui y compris dans le cas de mariages uniquement civils et même lorsqu'il y avait déjà concubinage dans le passé. C'est un temps à part. Il semble qu'il est donc le plus adéquat pour réaliser une formation exigeante présentant aux fiancés la nature du mariage, de l'institution familiale qui en découle, son exigence et ses principes. On ne peut se marier à la légère, considérant que cette institution pose le point de départ d'une structure naturelle de la société qui dure même après les séparations. En effet, la famille que vous avez constitué et qui a donné naissance à un enfant, même après un divorce, continue de vivre par cet enfant qui est le seul porteur au monde de vos deux génomes intégraux organisés dans son corps selon un séquençage qui lui est propre.
C'est pourquoi la préparation au mariage devrait être un passage obligatoire avant toute union, qu'elle soit religieuse ou civile, et même avant d'autres formes d'union comme le PACS.
Les changements moraux qui résulteraient de l'application consciencieuse de ces deux réformes d'éducation générale sont incalculables parce qu'il s'agit d'une démarche inédite. Mais l'on peut raisonnablement penser qu'en rendant sa dignité à l'amour durable et familial dans les cœurs et les esprits, en plaçant les personnes face à leurs responsabilités, on contribuerait à combattre les divorces et les unions autres que le mariage légitime, en montrant les graves limites de ces contre-institutions. Ce n'est qu'une fois cette première lutte engagée que les gouvernants ou des membres de la société civile seraient légitimes pour supprimer sans blessures sociales majeures ces contre-institutions et ainsi redonner son caractère permanent et unique à la famille issue du mariage légitime.
Sur le plan inter-générationnel, essentiel au bon fonctionnement de la famille, qui est largement une relation entre enfants, parents et grands-parents, mais aussi souvent cousins, oncles ou tantes, la question patrimoniale est presque aussi essentielle que celle des formes d'unions légitimes. L'enracinement territorial est une donnée capitale pour la constitution d'une identité familiale. Celle-ci, à condition qu'elle n'étouffe pas les sentiments individuels, contribue à créer des personnalités libres et affirmées car fortes d'un héritage spirituel incarné dans les lieux, mais affirmées dans le cadre d'une communauté humaine et spirituelle, celle de la famille géographiquement située. Il est donc essentiel, autant que cela est possible, de préserver les patrimoines fonciers, même faibles voire insignifiants.
Comme on a pu le dire dans l'équilibre entre raison et sentiment dans le mariage, il ne faut pas dans la propriété familiale passer d'un excès à l'autre en enchaînant les hommes à leur terre. En effet, il est parfois nécessaire de faire disparaître une terre familiale, soit pour la survie économique du groupe, soit pour sa survie morale tant les blessures attachées à cette terre seraient nombreuses. Mais il faut aussi permettre à ceux qui le désirent de conserver leur enracinement. En somme, il faut avoir la liberté d'opérer un choix de préservation. C'est ce que permettrait la suppression des droits de succession sur les patrimoines fonciers et artistiques et la liberté testamentaire dans le cadre de la ligne directe pour ce genre de biens, à condition de ne pas spolier les autres héritiers qui devraient recevoir une compensation, même mineure. En effet, à quoi servirait-il de sauver la terre, si la famille se désagrège dans les luttes de succession ?
Nous pensons que cette réforme de l'héritage aurait l'immense vertu de renforcer le lien entre génération et donc l'institution familiale dans l'espace et le temps, pour le plus grand bien de l'épanouissement personnel et de la liberté.
A suivre…
Gabriel Privat
Du même auteur :
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