Il y eut d'abord l'appel en faveur de primaires des gauches lancé par des intellectuels en janvier, puis la tribune patronnée par Martine Aubry dans Le Monde du 24 février 2016, qui prévient d'un "affaiblissement durable de la France" si rien ne change. Ces entames semblent survenir à contretemps, éventuellement même à contre-emploi faute de ne pouvoir aller jusqu'au bout de leur logique. La contestation bruyante du cap de l'exécutif eût été utile avant le remaniement, pour l'influencer et lui donner du sens. Il s'agissait d'infléchir les politiques avant 2017, afin de rassurer les salariés du privé ou les fonctionnaires, qui lors des élections votent de moins en moins pour le PS et ses alliés...
Mais le remaniement symbolise un ajustement cosmétique et tactique, et dès lors, la démarche de Martine Aubry et de ses alliés survient trop tard, surtout si elle ne veut pas aller jusqu'au bout de sa démarche, c'est-à-dire se présenter en 2017. De ce point de vue, elle brouille la portée de son message, en indiquant immédiatement après la parution de la tribune qu'elle ne veut pas imposer une primaire au Président sortant, pour se rétracter ensuite, déclarant qu'une participation du Président à des primaires serait formidable! Surtout, elle n'indique en rien qu'elle souhaite être candidate à la présidentielle à venir. Dès lors, à quoi bon cette sortie, peuvent s'interroger les électeurs?
Des primaires inutiles?
Plus largement, qu'apporte cette dynamique visant à contester la logique "institutionnelle" dominante, à savoir qu'un sortant, s'il se représente, le fait "naturellement", c'est-à-dire sans contestation et tardivement, afin de bénéficier jusqu'au bout de son capital de gouvernant? Et même si le président sortant ne se présente pas en 2017, hypothèse désormais sérieuse, à quoi serviront les primaires des gauches? La question peut être posée: il s'agit certes de remobiliser les électeurs sympathisants, alors que l'identité de ses partis et de ses dirigeants est troublée par la cure de "réalisme" imposée par l'exécutif. La perte des repères semble atteindre son paroxysme, car depuis 2002 au moins, la progression du Front national se fait auprès d'un électorat dit "populaire", d'ordinaire assimilé aux gauches et pour le coup durablement éloigné des partis socialistes, écologistes et même de la gauche radicale. Elle atteint aussi un niveau plus intense, parce que la révision idéologique imposée par Manuel Valls et François Hollande concerne l'économique (ce qui était déjà le cas avec François Mitterrand et Lionel Jospin), mais aussi le culturel (cf. la déchéance de nationalité et la politique sécuritaire).
Dès lors, en dépit des enquêtes d'opinion, est-on sûr que les sympathisants et militants, qui notamment se lassent du parti socialiste (60 000 votants au second tour au Congrès en 2015, contre 140 000 à Reims en 2008), répondront fortement présents à des primaires en 2017, tant le sentiment d'adhésion et de proximité positive par rapport aux partis de gauche est en crise? Au-delà, les dirigeants des gauches semblent pour le moins hésitants: Jean-Luc Mélenchon décline, le PC conteste, les écologistes sont désorganisés; enfin, Arnaud Montebourg ou Christiane Taubira se taisent pour l'instant... Quel score peut espérer un Manuel Valls face à un ou plusieurs candidats plus à gauche? Le risque pris serait très important pour le premier ministre sortant... Finalement, des acteurs putatifs, qui a un réel intérêt à des primaires? La séquence n'est-elle pas plutôt celle pendant laquelle les organisations politiques doivent se recomposer, avant que de s'ouvrir? Car comme l'indique la période post-2011, la primaire n'a rien réglé en termes d'unification durable d'un nouveau parti socialiste et encore moins des gauches...
La recomposition serpent de mer
A propos d'une recomposition éventuelle des forces de gauche, quel sens donner à la stratégie de l'exécutif? Pour le laps de temps restant avant la présidentielle, à cap et premier ministre inchangés, François Hollande fait le choix de modifier durablement la définition du registre des politiques identifiées par l'électorat comme étant de gauche. Il étend largement la dynamique ouverte sous François Mitterrand et davantage encore sous Lionel Jospin.
Mais il le fait sans avoir pour l'instant donné des pistes de réorganisation, alors que le processus idéologique arrive à maturation; quel parti politique pourra soutenir électoralement cette évolution structurelle de la gauche de gouvernement? Une fraction de plus en plus large du PS actuel ne suit pas. Dès lors, les relais de terrain vont manquer. Jacques Chirac, entre 1997 et 2001, a su progressivement, dans l'ombre de la cohabitation, préfigurer l'organisation de l'UMP et donc réduire la place du centre-droit, pour préparer sa seconde candidature. François Hollande a subverti quelques écologistes; il sait la gauche radicale divisée et l'extrême-gauche moribonde. Mais il n'a pas préparé une réorientation vers le centre: comme vu, son parti-soutien en perte de vitesse (- 1/3 d'élus) est désormais profondément divisé - lors du vote de la révision constitutionnelle, les députés "frondeurs" sont plus nombreux et les débats préliminaires à la délibération de la loi sur le travail sont très vifs. De plus, la société civile de gauche se braque elle aussi (sur l'état d'urgence, la déchéance et la réforme du code du travail)... Il est peu envisageable de compenser ces pertes sur la gauche par des gains sur la droite: quel intérêt auraient les électeurs sympathisants des partis du centre et de droite, après avoir choisi "leur" candidat, à voter pour un Manuel Valls ou un François Hollande lors d'un premier tour de présidentielle? Même s'il n'y a rien d'inédit à la division grave du PS (Congrès de Rennes en 1990, big-bang de Michel Rocard en 1993, etc.), et des gauches (fin de la majorité plurielle dès 2001), les fractures antérieures semblaient moins grosses de divisions idéelles; et pourtant, elles avaient déjà occasionné de sévères défaites - au plus 60 députés socialistes en 1993 et échec traumatique de la présidentielle de 2002.
Les gauches ne sont pas sorties des suites du "tremblement de terre" de 2002
En fait, les gauches ne sont pas sorties des suites du "tremblement de terre" d'il y a 14 ans. A force de ne faire que de la tactique, elles n'ont pas su s'accorder sur un nouveau programme commun. De ce point de vue, un changement de gouvernement et une inflexion réelle de son cap, après un éventuel échec de la loi El Khomri et de la révision constitutionnelle sembleraient bien tardifs et légers... Pour finir, rappelons une récurrence institutionnelle sous la Ve République: un président sortant de cohabitation gagne la présidentielle; un président sortant qui dispose d'une majorité parlementaire la perd. Sans doute d'abord, parce qu'il est alors rendu seul responsable des insuffisances des politiques conduites. François Hollande ne peut l'ignorer, même si, bien sûr, le grave contexte actuel pourrait changer cette donne. Ou alors, sans primaire, ce pourrait être le tour de Martine Aubry. Si elle le voulait, ce qui ne semble pas être le cas.
Olivier RouquanLe huffpost :: lien
Note :
Olivier Rouquan est Politologue et constitutionnaliste. Il analyse l’opinion publique, la vie politique et institutionnelle depuis 20 ans.