Elisabeth Lévy : un de ses billets comme on les aime ...
[Causeur 24.06]
Peu m’importe que les Britanniques aient eu raison ou tort. Ils ont eu le culot d’envoyer au diable les gens convenables, ceux qui trouvent que le populo sent mauvais et qui s’agacent qu’on perde du temps à parler alors qu’ils savent ce qui est bon pour lui.
Ils ont osé. Ma première réaction, au réveil, en entendant les voix blanches qui causaient dans le poste, a été un immense éclat de rire, vite teinté d’une grosse pointe de jalousie (pourquoi ça n’arrive pas chez nous des trucs pareils, on a une grande gueule, mais quand faut se jeter du haut du plongeoir, il n’y a plus personne). « Pour nous qui sommes des gens de culture…. », disait un pompeux cornichon sur France Culture, justement. La messe était dite : le Brexit, c’est la victoire du plouc évidemment xénophobe qui défrise tant les beaux quartiers où on aime d’autant plus les immigrés qu’on ne les voit pas. Bref, avant d’avoir la moindre pensée, je savais que c’était une bonne, non une formidable nouvelle. Un truc comme le retour de la politique, peut-être même de l’Histoire, ai-je lancé à Muray qui rigole dans son cadre (avant le café, il ne faut pas trop m’en demander).
Souverainisme distingué et souverainisme de pauvres
Peu m’importe que les Britanniques aient eu, du point de vue boutiquier qui intéresse exclusivement les éditorialistes, raison ou tort. Ils ont eu le culot d’envoyer au diable les gens convenables, ceux qui trouvent que le populo sent mauvais et qui s’agacent qu’on perde du temps à parler alors qu’ils savent ce qui est bon pour lui. Yes we can. Le bras d’honneur géant que les sujets de Sa gracieuse viennent de faire à tous les maîtres-chanteurs, qui les menacent depuis des mois sur le thème « Si tu sors tu meurs », m’a soudain donné à moi des envies de liberté et de grand large. De vrais gaullistes, ces gens-là ! Au passage, ils ont aussi dit un peu merde à l’Amérique, aux éditocrates et aux « marchés » qui étaient remainistes et l’ont immédiatement fait savoir. Il y a un certain panache à sacrifier son PEL à ses convictions. Même s’il existe un souverainisme distingué qui a voté « out » parce qu’il pense que les intérêts britanniques y gagneront à long terme. Et aussi un souverainisme de pauvres qui, comme le disait Coluche, sont bien contents de savoir qu’ils vivent dans un pays riche.
Ma satisfaction s’est muée en enchantement quand les tambours de l’anti-populisme ont commencé à battre la mesure, avec les mines défaites des présentateurs tout-info qui, comme d’habitude, s’ingénient à ne rien comprendre. Ils ne veulent pas toujours plus d’immigration ? Salauds de racistes ! Ils aiment leurs pays ? Adeptes du repli sur soi ! Tous les grands-ducs qui pérorent nus en expliquant aux bons peuples que tout va bien dans le meilleur des mondes multiculti possible vont continuer. Seulement, ce coup-là, ils vont avoir du mal à s’asseoir sur le vote du peuple.
Adieu cheval de Troie !
Tout de même, ça me chiffonne que nous, la France, la lumière des peuples et tout le tralala, on n’ait pas été les premiers. Et puis, sans les Anglais je me sens seule. Ils étaient notre cheval de Troie. Avec eux dans le bateau, on était à peu près sûr que toutes les fantasmagories supra-nationales échoueraient. Et surtout, on pouvait exiger la même chose que Cameron : le contrôle de nos frontières et de notre politique migratoire. Sans eux, on risque d’être bons pour une décennie d’Europe allemande.
Encore que ce n’est pas certain. Bien sûr, on nous dira que puisque nous n’aimons pas l’Europe, il en faut encore plus. Mais le coup du revolver sur la tempe marchera de moins en moins. Parce qu’ils l’ont fait. Et la foudre ne s’est pas abattue sur l’Angleterre. « Dehors c’est dehors », avait menacé Juncker. J’espère bien que nos diplomates sont déjà à pied d’œuvre pour négocier des traités bilatéraux avec Londres. Alors, peut-être que nous, nous n’avons rien fait pour cela, mais la donne change aussi pour nous, merci aux grands-bretons. La religion européiste a vécu : franchement, un dieu qui peut être défait par le suffrage universel, ce n’est pas très sérieux. S’il avait la moitié de la classe de Cameron, Jean-Claude Juncker présenterait sa démission. •
Elisabeth Lévy
est fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur.