Après le coup d’Etat raté du 15 juillet, le président Recep Erdogan a mis en route la machine répressive et se débarrasse de la faction kémaliste, laïciste, au sein de l’armée : 103 généraux et amiraux arrêtés selon l’agence de presse Anadolu, soit environ le tiers du haut commandement militaire.
Parmi eux, les commandants de la deuxième et de la troisième armée, ainsi que l’ex-chef de l’armée de l’air, le général Akin Öztürk, accusé d’avoir été le cerveau du putsch. En tout, plus de 6 000 militaires ont été mis sous les verrous selon les chiffres avancés par le Premier ministre Binali Yildirim. En outre, plus de 8 500 policiers et gendarmes ont été suspendus de leurs fonctions pour leurs liens supposés avec la tentative de coup d’Etat, de même qu’un gouverneur de province, 29 ex-gouverneurs qui occupaient des postes au sein de l’administration régionale, 47 responsables de districts et des centaines de fonctionnaires. La rapidité avec laquelle des mandats d’arrêt ont été délivrés pour près de 3 000 juges et procureurs laisse penser qu’Erdogan et ses partisans avaient déjà des listes toutes prêtes.
Ce coup d’Etat raté est donc une victoire du camp de la Turquie islamique, continuatrice de la tradition ottomane, sur la Turquie laïciste fondée par Mustafa Kemal Atatürk. Il pourrait aussi marquer à terme un changement géostratégique majeur au Proche-Orient car les choix autoritaires qui étaient déjà un fait en Turquie (répressions à grande échelle contre la population kurde de l’est du pays, arrestations d’opposants et muselage des médias d’opposition) vont probablement être confirmés, ce qui, aux dires mêmes du secrétaire d’Etat américain John Kerry, lundi, pourrait menacer la présence de la Turquie dans l’Otan.
Inversement, on assiste depuis le mois de juin à un nouveau rapprochement avec la Russie, après la période de froid qui avait soufflé entre les deux pays, quand l’aviation turque avait abattu un avion militaire russe à la frontière avec la Syrie. Tant qu’Erdogan cherchait à renverser al-Assad en Syrie, les intérêts des deux pays étaient divergents, mais si la priorité du président turc est désormais de lutter contre les Kurdes, alliés des Américains en Syrie et en Irak, il y a convergence d’intérêts avec le président syrien, soutenu par Moscou, qui n’acceptera jamais, pas plus qu’Erdogan, l’existence de la région autonome kurde Rojava sur son territoire. Une région que les Kurdes de Syrie ont proclamé « entité fédérale » en mars dernier.
Autre conséquence de cette tentative de coup d’Etat, les négociations d’adhésion avec l’Union européenne pourraient être suspendues, notamment si la peine de mort est rétablie par Ankara, comme semblent le suggérer le président Erdogan et son parti AKP. Côté positif, on peut espérer que la levée des visas pour les citoyens turcs ne se fera pas malgré l’accord UE-Turquie sur l’arrêt de l’invasion migratoire depuis les plages turques.
Le risque, par contre, c’est que le sultan Erdogan relance cette invasion en comptant sur la stupidité et la passivité des élites politiques européennes pour laisser à nouveau faire, car, ainsi qu’il l’a clamé en 1998 alors qu’il était maire d’Istanbul, « les minarets seront [leurs] baïonnettes, les coupoles [leurs] casques, les mosquées seront [leurs] casernes et les croyants [leurs] soldats ».
Olivier Bault
Article paru dans Présent daté du 20 juillet 2016