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Dimitri Casali : « Nos élites ne défendent plus l’intérêt général parce qu’elles ont honte de la France ».

Atlantico : L’idée même d’un débat sur la notion d’identité française est depuis plusieurs années critiquée par bon nombre de personnalités politiques et intellectuelles. Pourquoi l’identité française est-elle perçue négativement par certaines de nos élites ? Quels sont les ressorts de cette opposition ?

Dimitri Casali : Il existe depuis une vingtaine d’années une véritable détestation des valeurs constitutives de l’identité française au sein même de nos élites politiques et médiatiques. La culture, l’histoire de France, la langue (écoutez le président Hollande et sa manie de redoubler le sujet au début de chacune de ses phrases) et ses symboles nationaux sont constamment dévoyés ou dénigrés. A l’exemple de Christiane Taubira traitant notre hymne de «karaoké d’estrade», de Thierry Tuot, haut conseiller d’Etat, prônant la fin de l’intégration ou encore l’acteur Lambert Wilson, s’exprimant à propos de la Marseillaise sur la radio RTL, et rabâchant les âneries habituelles bourrées de contrevérités historiques : «les paroles sont épouvantables, sanguinaires, d’un autre temps, racistes et xénophobes».

Alors que dans le monde entier, notre hymne incarne, non pas un chant d’asservissement, mais un chant de liberté et de libération.

Ces inepties dissimulent mal l’ignorance crasse et l’inculture de nos élites politiques ou médiatiques. La vérité est que nos élites ne défendent plus l’intérêt général parce qu’elles ont honte de la France. A l’inverse, je suis très frappé de voir à quel point les élites britanniques sont fières de leur nation !

Depuis 20 ans, à l’opposé de leurs prédécesseurs qui ont reconstruit la France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les hommes qui nous gouvernent sont convaincus que la France est née uniquement des valeurs universelles positives qu’elle incarne aujourd’hui. Ce qui est historiquement faux. Depuis 20 ans, nos dirigeants révisent le passé pour ne célébrer ou critiquer que des événements ou des personnages incarnant soit le bien, soit le mal. Dès lors, ils éliminent toute la complexité de l’Histoire. Une nouvelle fois, ils «égalitarisent» pour éviter à tout prix tout culte de la personnalité ou du héros qui pourrait mettre en relief leur propre médiocrité. On nie Jeanne d’Arc pour Hollande, la laissant au seul Front National, on gomme Napoléon pour Chirac, on ignore Louis XIV à nouveau pour Hollande. Le manichéisme est érigé en nouveau paradigme avec d’un côté le bien, avec les valeurs de la France, les déclarations des droits, et de l’autre le mal avec nos grands conquérants, le colonialisme, Vichy. Cette attitude est imposée par la perspective de donner une version politiquement correcte à toutes les nouvelles composantes de notre population. Il y a désormais une version binaire de l’Histoire avec une bonne histoire «blanche et immaculée» d’une part, s’opposant à une histoire noire, mauvaise et partiale, d’autre part…

Dans son livre Désintégration française, Dimitri Casali revient sur les causes du déclin français. Un déclin qui trouve sa source notamment dans l’effondrement de notre système éducatif et de notre modèle d’intégration.

En novembre 1997, le Premier ministre, Lionel Jospin, interpellé à l’Assemblée nationale, avait, en digne héritier du modèle soviétique – et trotskyste -, fini par refuser d’admettre, hors de lui, «un signe égal entre le nazisme et le communisme…» Et ses 80 millions de morts, alors ! Un bel exemple d’aveuglement idéologique. De Gaulle et Mitterrand portaient, eux, un jugement bien plus savant, à la fois éclairé et éclairant, sur notre histoire. L’un déclarant : «Pour moi, la France commence avec Clovis», l’autre en 1982 : «Un peuple qui n’enseigne plus son histoire est un peuple qui perd son identité» ou encore, au sujet de la repentance, «Je considère que c’est une demande excessive, de gens qui ne sentent pas profondément ce que c’est d’être Français et l’honneur de l’Histoire de France. C’est l’entretien de la haine, et ce n’est pas la haine qui doit gouverner la France.» Imprégnés l’un et l’autre d’une immense culture historique, ils possédaient une hauteur de vue qu’ignorent leurs pâles successeurs.

Aujourd’hui, nos élites capitulent sur nos fondamentaux culturels à la moindre offensive comme on le voit avec François Hollande. Faire aimer la France, ce serait par conséquent et avant tout faire aimer leur propre histoire à nos dirigeants eux-mêmes…

Dans votre ouvrage, vous fustigez une école incapable d’apprendre à lire, écrire, compter ainsi qu’un collège unique qui représente «un creuset des inégalités». Vous estimez également que la nouvelle réforme du collège va accentuer la médiocrité. Comment justifiez-vous votre analyse ? Quelles sont, selon, vous les causes profondes qui ont mené à ce diagnostic que vous dressez aujourd’hui ?

Apprendre à lire, écrire et compter certes, mais l’Ecole échoue aussi dans sa mission chaque fois qu’elle ne sait pas faire de ces élèves des Français, c’est-à-dire des citoyens fiers de leur appartenance à la Nation, enrichie de leurs histoires personnelles. De 1881 à 1981, nos Hussards de la République avaient réussi à faire de la France un des pays les plus instruits au monde, où le système éducatif était un des moins inégalitaires de la planète et où l’ascenseur social devait le moins à la naissance. La nouvelle réforme s’annonce catastrophique. Nous étions encore 10e au classement PISA en 2000, nous sommes désormais 25e ! La réforme de l’école n’est pas faite au nom de l’égalité mais au nom de l’égalitarisme, du nivellement par le bas et de la médiocrité.

Elle choisit d’accompagner la désintégration de la société plutôt que de se poser en digue protectrice. Les anciennes disciplines classiques sont réduites pour promouvoir des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (les fameux EPI), mais aussi l’abaissement du Latin et du Grec, la réduction des classes bilangues, la suppression des classes européennes, toutes des filières d’excellence… Alors que pendant plus de cent ans la recherche de l’excellence et la méritocratie ont caractérisé la France. Les plus aptes à gouverner, à inventer, à diriger le pays avaient suivi un enseignement classique souvent éloigné de leur poste de dirigeants. Citons en exemple Georges Pompidou, petit-fils de valet de ferme, Jean Jaurès, fils de petit paysan, Aristide Briand, fils de tenancier de bar à vin, Edouard Herriot, petit-fils de caporal, tous issus de milieux modestes et ont fait de brillantes études, pour la plupart élèves de l’Ecole normale supérieure. Cet «élitisme républicain» permit de donner une base au recrutement des classes dirigeantes par la méritocratie. Durant leurs classes préparatoires, tous ont fait leurs humanités en acquérant une excellente culture générale que ce soit en histoire, en sciences ou même en latin… D’Henri Bergson à Georges Charpak, tous ont pu faire des études supérieures grâce aux examens et aux concours, des bourses mises en place par l’école républicaine. Il s’agissait de permettre aux meilleurs de s’en sortir et d’être des exemples pour les autres, de sorte qu’ils pouvaient dire avec fierté : je suis fils d’ouvrier artisan, et j’ai passé des concours que j’ai réussis !

Un autre des symptômes les plus évidents de cette maladie qui ronge la France est cet acharnement, cette hargne qu’ont nos élites à déconstruire notre passé pour faire croire à nos enfants que les Français ont tous été d’horribles esclavagistes au XVIIIe siècle, d’infâmes colonisateurs au XIXe siècle et uniquement des collabos au XXe siècle…. On joue la carte de la culpabilisation, voire de la criminalisation de l’Histoire de France. Les sujets, tel que l’Islam, la traite négrière, la colonisation, sont obligatoirement étudiés, – les autres comme le christianisme médiéval, l’humanisme et les Lumières – sont réduits à la portion congrue.

Non seulement ces thèmes se retrouvent à tous les niveaux mais on leur adjoint dès l’école primaire «l’histoire des mouvements de population», ce qui inclut l’esclavage et  la traite négrière, les colonisations et décolonisations, les immigrations économiques, les réfugiés, les migrations liées aux Printemps arabes et celles des Roms. Et tous cela au détriment de notre histoire de nos grands personnages et évènements. Même un évènement comme le débarquement en Normandie du 6 juin 1944 ne sont plus appris…

Vous faites le constat que le système d’intégration français, basé sur l’assimilation et à l’opposé du multiculturalisme britannique, est en panne. Par quels moyens pourrait-il être relancé ?

 Pendant plus de 200 ans l’ «intégration à la française» a réussi au-delà de nos espérances. Intégrer les immigrés belges, polonais, italiens, portugais, serbes, juifs d’Europe de l’est ou musulmans de première génération et deuxième génération n’a jamais été le résultat d’une conversion miraculeuse à la francité. Cela s’est passé au contraire par des expériences extrêmement douloureuses au moins dans les premiers temps. Mais l’on peut dire globalement que creuset français a merveilleusement fonctionné pendant ces deux siècles, et pourrait continuer de le faire si l’on restait ferme sur nos valeurs fondamentales. Tous ces immigrés – simples ouvriers, réfugiés politiques, artistes, hommes de sciences et intellectuels de tous bords –, hommes ou femmes, avaient choisi de devenir Français. Aujourd’hui, on ne cesse de parler du «vivre-ensemble» mais la réalité est que justement plus personne ne veut vivre ensemble – notion floue qui se résume à une mosaïque identitaire recouvrant l’occultation de tout ce qui pourrait contrarier certaines communautés.  Attentats islamiques, banlieues aux bords de l’implosion, école, immigration, Etat en déliquescence, économie, corporatisme, c’est toute la République et la notion de «vivre-ensemble» qui sont à reconstruire. Les événements que traversent notre pays vont certainement changer la face de la fin du quinquennat de François Hollande.

La politique d’immigration menée par nos gouvernements successifs a conduit à la reconstitution des sociétés d’origine sur le sol d’accueil, rendant ainsi l’intégration traditionnelle chimérique. Désormais, l’inquiétude identitaire au sujet de l’immigration massive est devenue un des thèmes majeurs de questionnement de notre société. C’est le sujet le plus important de l’Histoire de France, tous siècles compris. Moins marqué politiquement, il va désormais au-delà des familles idéologiques. Cependant, son traitement est de moins en moins sensible à l’auto-culpabilisation que l’on nous assène depuis une vingtaine d’années. Plus que jamais, l’enseignement de l’Histoire de France est fondamental pour ancrer nos principes fondateurs dans la tête de tous nos concitoyens, pour inscrire l’amour de son pays, sentiment irraisonné comme le sont tous les sentiments, dans le cœur de chacun. Plus que jamais, il est nécessaire de s’inscrire dans le flux d’une histoire qui plonge dans le plus lointain passé, donne sens au présent, et éclaire l’avenir. Par sa richesse culturelle, intellectuelle, spirituelle, la France possède les clés pour empêcher sa fragmentation en communautés opposées.

À tous, il faut faire découvrir les grandes œuvres françaises, ouvrir les portes de Versailles, de l’Hôtel des Invalides, du Louvre. À tous, je souhaite que la France puisse devenir ce qu’elle est pour moi : une seconde mère, (moi, qui suis d’origine italienne) à laquelle un lien indéfectible m’attache. De sorte que tous, dans les crises que nous traversons, choisiront de la défendre. Le pays a besoin de retrouver sa foi, son dynamisme, son enthousiasme. Enseignons à nos enfants ce qu’est leur pays, son Histoire, ses institutions et ses valeurs. Beaucoup de Français ont sacrifié leur vie pour ça. Nous devons nous en souvenir et être fidèles à la mémoire de ces millions de morts. Cocteau disait : «les vrais tombeaux des morts sont les cœurs des vivants». Notre Histoire, plus que la morale laïque ou l’éducation civique, sera la clé de l’intégration. Transmettons l’envie de réussir à tous les jeunes de France, d’où qu’ils viennent. Apprenons à nos élèves à être fiers d’eux-mêmes car la vraie mémoire est celle qui regarde résolument vers l’avenir. L’historien Michelet l’a écrit : « Plus l’homme entre dans le génie de sa patrie, mieux il concourt à l’harmonie du globe ; il apprend à connaître cette patrie, et dans sa valeur propre, et dans sa valeur relative, comme une note du grand concert, il s’y associe par elle, en elle il aime le monde. La patrie est l’initiation nécessaire à l’universelle patrie… »

Dimitri Casali 4/09/2016

Dimitri Casali, historien, spécialiste de l’enseignement de l’Histoire, est l’auteur de Désintégration française(JC Lattès, 2016), du Nouveau manuel d’histoire (La Martinière, 2016), de L’Empire colonial français (Gründ, 2015), d’Ombres et Lumières de l’Histoire de France (Flammarion, 2014), du manuel Lavisse-Casali Histoire de France, de la Gaule à nos jours (Armand Colin, 2013), et de L’Histoire de France interdite. Pourquoi ne sommes-nous plus fiers de notre histoire (Lattès, 2012). Il collabore régulièrement avec la presse écrite, la radio, la télévision.

Source : Atlantico.fr

http://www.polemia.com/dimitri-casali-nos-elites-ne-defendent-plus-linteret-general-parce-quelles-ont-honte-de-la-france/

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