Depuis quelques semaines, le sentiment d'inquiétude des citoyens s'accroît face aux violences qui frappent la puissance publique, notamment les policiers et les enseignants. Dans cette chronique du Figaro [19.10] Philippe Bilger commence par constater : la République est aujourd'hui impuissante, la démocratie faible. Puis il énonce son dilemme : « Si j'osais, j'irais jusqu'à soutenir qu'une démocratie, face à un pire multiplié et multiforme de plus en plus violent, sans le moindre frein éthique et humain, est impuissante par principe ». Impuissante par principe ... Incomplétude de la démocratie dirait Macron ... Mais comment et au profit de quel « pouvoir totalitaire » faudrait-il renoncer au « bonheur de vivre en démocratie » ? Et « que proposer d'autre sinon une République qui offrirait moins de garanties aux transgresseurs mais plus de droits aux honnêtes gens ? » Mais Philippe Bilger n'a pas, non plus, grande confiance dans cette possibilité. Une chimère ? Tel est le dilemme de Philippe Bilger. A notre tour, si nous osions, nous lui proposerions de sortir du dilemme suivant l'hypothèse formulée jadis par Eugène Ionesco : « On finira bien par restaurer la monarchie, un jour, contre la dictature et contre l'anarchie. » Autre chimère ? Mais qui sait quelle situation, quels drames, quelles nécessités impérieuses pourraient bien en convaincre,un jour, le peuple français ? Un récent sondage montre déjà qu'une frange non négligeable de Français y seraient hic et nunc favorables. Qui sait demain ? Qui sait ... s'il le fallait ? C'est à promouvoir l'idée de cerecours à quoi nous travaillons, ici. Lafautearousseau
J'ai encore dans l'oreille la pétition de principe du président de la République salle Wagram. La démocratie sera la plus forte, la démocratie vaincra.
Pour lutter contre le terrorisme, on avait le droit de douter de ce volontarisme du verbe destiné à tenir pour établi ce qui était justement problématique.
Depuis quelques semaines, l'inquiétude du citoyen s'est déplacée parce que des événements, des manifestations, des agressions, des attaques, un changement radical de la nature du désordre et de la violence ont fait apparaître des bouleversements inédits. Il est clair que, sous ce quinquennat, nous sommes sortis de la normalité évidemment contrastée d'un pays même bien gouverné pour entrer dans la crainte de plus en plus stressante d'une impuissance de la République, d'une faiblesse de notre démocratie.
Les violences massives, organisées et parfois criminelles, qui s'en prennent notamment aux fonctionnaires de police comme dans l'Essonne, les attaques d'établissements scolaires, les agressions quotidiennes contre le corps enseignant, même un proviseur molesté, la fin de l'impunité des médecins et des pompiers ne relèvent plus des transgressions ordinaires mais mettent directement en cause la capacité de résistance de l'Etat, testent ses aptitudes à la fermeté ou sa propension à laisser s'accomplir ce qu'il ne sait plus, ne peut plus empêcher (Le Figaro).
Qu'on cesse également de se tromper d'ennemi, par exemple en se demandant « où sont passés les profs » alors que l'une des tragédies actuelles est de les voir si peu respectés et même frappés ! (Le Parisien)
Qu'une manifestation de 500 policiers sur les Champs-Elysées au cours de la nuit du 17 au 18 octobre se soit déroulée dans l'urgence et l'exaspération est l'un des signes les plus éclatants de cette modification d'atmosphère comme les rassemblements de solidarité et de soutien, à Evry, Paris et Marseille, qui l'ont suivie. Ce n'est plus une simple fronde mais il y a là comme un parfum de révolution (Le Point).
Il y a des enseignements à tirer de ce qui se dégage des échanges les plus chaleureux comme des controverses les plus vives. Pour les premiers je me rappelle un couple d'amis très chers qui, face au constat accablant d'une réalité nationale angoissante et déprimante, semblait considérer qu'il suffirait d'une exemplaire autorité de l'Etat et d'une implacable et constante sévérité ne laissant rien sans sanction nulle part pour que le redressement s'opère et que la France retrouve la paix.
Leur intelligence ne s'arrêtait pas à la facilité des « il n'y a qu'à » et ne sous-estimait pas les difficultés de la tâche mais je ne parvenais pas à les approuver tant leur fermeté abstraite semblait oublier tous les obstacles qu'une démocratie représentative accumule sur le chemin d'une rigueur efficace à tout coup et partout.
Sans même rêver d'un monde d'où toute transgression serait éradiquée, en demeurant forcément dans le cadre imparfait du nôtre, je suis persuadé que pour les agressions récentes les plus graves, les enquêtes et instructions aboutiront à des interpellations puis, ultérieurement, à certaines condamnations ; mais cet optimisme suppose, outre l'existence de preuves suffisamment précises, une collaboration police-magistrature rien moins qu'assurée, la seconde étant si peu en empathie avec le dur et éprouvant métier de la première prenant le réel de plein fouet.
Il implique aussi que les oppositions politiques et les doléances médiatiques ne viennent pas sans cesse troubler la vigueur de la chaîne pénale.
J'admets que ponctuellement un Etat, si beaucoup de conditions sont réunies, a la possibilité de manifester sa force et de réprimer les délits, les crimes ou même les incivilités, terme délicieux donnant l'impression que le vocabulaire est capable de civiliser la réalité brute. Ainsi le Premier ministre est-il dans son rôle quand il affirme que « l'Etat poursuivra sans relâche les auteurs ». Bien le moins !.
Il y aura des avancées qui rassureront temporairement mais quand, avec des malfaisances collectives, ici ou là on s'ébat dans la France comme si elle était un terrain de jeu livré à la folie destructrice et coupable de minorités qui n'ont plus peur de rien, que peut faire l'Etat ? Le plus souvent, constater, déplorer, bomber le torse, compter sur la police et sur les juges puis attendre la suite. Inéluctable, imprévisible, de la part de voyous et de bandes qui ont pour objectif de saper les moyens même de leur possible identification et de sauver leurs trafics.
Que pèse, face à ces impunités quasiment et fatalement obligatoires - ces groupes protégés par leur nombre même - l'autorité affichée de l'Etat ? Rien ou presque rien. Comment l'évoquer même au regard de ces cités de non-droit qui la narguent ?
La démocratie même la plus efficiente, active, réactive, ni naïve ni féroce, ne sera jamais à la hauteur de ce qu'exigerait notre pays. Les fauteurs de troubles, délinquants et criminels sont lestés, à chaque fois davantage, de l'impuissance des services régaliens de l'Etat à les mettre hors d'état de nuire.
La démocratie, dans la meilleure de ses définitions, est caractérisée par tout ce qu'elle peut se permettre pour se défendre, limitée par tout ce qu'elle doit s'interdire à cause de sa nature. On devine les piètres résultats d'une politique ainsi contrariée.
Pourtant, que proposer d'autre sinon une République qui offrirait moins de garanties aux transgresseurs mais plus de droits aux honnêtes gens ? Toujours dans l'espace démocratique avec ses valeurs, ses principes et son inévitable passif... Des gouvernants plus compétents, une police mieux armée, pourvue et défendue, une magistrature plus solidaire, des médias moins mécaniquement critiques.
Si j'osais, j'irais jusqu'à soutenir qu'une démocratie, face à un pire multiplié et multiforme de plus en plus violent, sans le moindre frein éthique et humain, est impuissante par principe parce qu'elle ne peut pas tout se permettre.
Mais que son contraire, un pouvoir totalitaire impitoyable serait un remède plus dommageable, plus insupportable que la rançon que nous payons pour avoir le bonheur de vivre en démocratie. •