Les primaires de la droite qui n'étaient que celles des Républicains (un nom de parti qui en dit plus long que beaucoup de commentaires) en définitive auraient galvanisé les Français si l'on en croit David Pujadas. Nous ne pouvons en effet dire qu'ils s'en soient désintéressés à la lumière des votants et de l'audimat des émissions relayant les débats (pourtant souvent fort ennuyeux) des concurrents politiciens précédant le premier et le second tours de ce nouveau gadget démocratique. Trois hommes ont été, encore une fois, mis sur le devant de la scène à l'occasion de cette campagne de promotion politicienne. François Fillon, nouveau vierge en politicaillerie, Alain Juppé, « le meilleur d'entre eux » qui semble avoir perdu une partie de ses brillantes facultés, et l'incontournable pile électrique, le très décomplexé Nicolas Sarkozy dont l'ancienne fonction de président de la République ne lui procure aucun supplément d'autorité. Trois hommes qui représenteraient sous le prisme journalistique trois tendances lourdes, trois idéologies spécifiques, trois mouvances droitières. La comédie des ego, la compétition des nombrils, le concours de cravates, de coupes capillaires ou de talonnettes ne suffisaient pas. Il fallait enfin donner du crédit à cette bande de bouffons qui n'ont pas plus d'idées ni de principes que Jacques Séguéla ou Rachida Dati. En exagérant les traits des uns et des autres, en déformant la réalité, en faisant référence à un passé historique bel et bien révolu, bref en remplissant d'essence des âmes creuses comme des maracas. Et puis, il faut bien remplir les milliers d'émissions radiophoniques et télévisées consacrées à cette farce après avoir parlé de la femme de l'un, du CV de l'autre, de la nervosité du troisième. Il faut faire exister virtuellement le combat des idées qui n'existe plus dans la réalité. C'est ainsi que persiste cette bulle "démocratique" absolument vide. On pensait néanmoins, un peu naïvement, que les experts feraient preuve d'un peu plus de retenue dans cet exercice consistant à donner du coffre à ces protagonistes républicains.
Las, même les plus grosses pointures pontifiantes de l'université ont participé à cette mascarade. La plus spectaculaire prestation est le fait du très respecté républicain Hervé Le Bras, grosse tête diplômé de tout et qui sait d'ailleurs tout sur tout. Actuellement, à 73 ans, directeur d'études à l'EHESS, il fut chercheur à l'INED, professeur de géométrie à l'Ecole nationale d'architecture de Paris-Belleville, maître de conférence en sciences sociales à l'Ecole polytechnique, maître de conférence au DEA d'économie de Sciences-Po Paris, directeur de séminaire à l'ENA, professeur associé en histoire économique à l'université de Genève, professeur d'histoire au sein de l'université du Michigan, de démographie au sein de l'université de Virginie, membre puis président du conseil scientifique de la DATAR (organisme en pointe dans la colonisation scientifique de notre pays), membre du conseil d'administration de l'Ecole normale supérieure, expert auprès de la Commission européenne sur les migrations euro-méditerranéennes (toujours en poste), membre de la commission Attali, membre de la commission Schweitzer, de la commission Mazeaud contre les quotas sur l'immigration, membre de la mission Wierviorka sur la diversité. L'homme croule également sous les décorations et cette orgie de titres et de récompenses doit certainement expliquer sa stupéfiante vanité. L'INED, c'est lui, la démographie, c'est lui, l'éthique, c'est lui, la politologie, c'est lui ! Parfois, il semblerait que la réputation de l'homme doué en tout camoufle la réalité d'un homme doué en rien. Hervé Le Bras, couvert d'artifices, est un fanfaron inconscient de ses limites et un piètre intellectuel incapable de mettre à jour sa cervelle à partir des données nouvelles qui alimentent régulièrement les trop nombreuses sciences qu'il entend gouverner. Au début du mois de décembre, Le Monde lui a offert la page Analyse d'un numéro du début du mois de décembre.
Son objet ? Faire accroire au retour des trois droites françaises.
La thèse mort-né de 1954 de René Rémond
En 1954, l'historien René Rémond publie son ouvrage-maître : La Droite en France de 1815 à nos jours. Continuité et diversité d'une tradition politique. Le livre est mis à jour en 1963 après la fin de la Quatrième République, en 1968 immédiatement après la crise de mai et en 1982 après le passage de la "droite" dans l'opposition. En 2005, deux ans avant sa mort, Rémond prolonge son texte en répondant aux critiques adressées à sa thèse. Selon cette dernière, il existerait toujours trois droites en France dont deux seraient parfaitement représentées au gouvernement et dans les parlements nationaux et locaux. Il s'agit de la droite orléaniste, de la droite bonapartiste et de la droite légitimiste. Tous les étudiants de Sciences-Po apprennent cela en pensant que ces étiquettes indiquent toujours une réalité politique, que les individus s'en réclamant fabriquent leur programme conformément à une idéologie historique résumée par l'une des trois étiquettes citées plus haut.
À la fin de sa carrière, René Rémond s'est résolu à avouer que la droite légitimiste, qui place Dieu en son centre et le roi à ses côtés et considère comme indépassable la Tradition, n'existe plus au sein de la droite classique mais uniquement dans les marges de la mouvance frontiste. La droite orléaniste représente finalement, aujourd'hui, une sorte de social-démocratie, caractérisée par un libéralisme philosophique et "moral" sans limite et une sorte de justice sociale qui sert, pourrait-on dire de notre côté, la diversité. La droite bonapartiste, quant à elle, est autoritaire mais populiste et plébiscitaire, démagogique et fait fi des pouvoirs intermédiaires (sans cependant les combattre réellement). Dix ans après la disparition de René Rémond, Hervé Le Bras estime donc judicieux d'analyser le théâtre électoral avec l'aide de la grille de lecture instituée par l'historien en 1954. Hervé Le Bras, le scientifique, prend tout Rémond, tout, en premier lieu l'idéal-type constitué par la droite légitimiste alors que Rémond lui-même l'avait remisée au musée. En premier lieu cet idéal-type disons-nous parce qu'il englobe selon Hervé Le Bras tout le discours de... François Fillon ! Oui, nous ne rêvons pas, pour le démographe (pour qui, rappelons-le afin de le situer plus précisément, le Français de souche n'existe pas), François Fillon représente la droite légitimiste. Fillon serait l'incarnation de la droite intransigeante, des valeurs transcendantes et du catholicisme social (malgré ses professions de foi appuyées de libéralisme. Il faut oser).
Le Bras nous fait prendre des vessies pour des lanternes
Hervé Le Bras va plus en avant dans son délire : pour lui Sarkozy représente la droite bonapartiste (on a vu à quel point Naboléon respecta le plébiscite après le résultat du référendum sur le traité constitutionnel européen qu'il régla via le parlement dans un élan à la fois anti-populaire et antinational affreusement orléaniste). N'était-il pas médiatiquement partout ? Tout s'enchaîne alors dans l'esprit chloroformé d'Hervé Le Bras. Constatant qu'une grosse partie des électeurs de Sarkozy se sont reportés sur Fillon au second tour de la primaire, le démographe-géomètre-historien découvre alors la vérité essentielle qui jaillit de ce scrutin ! Fillon ne peut être que la marque d'un retour d'une ancienne alchimie politique inquiétante ! Le boulangisme, tel est le fillonisme d'aujourd'hui. « La droite bonapartiste et la droite légitimiste se sont unifiées dimanche 27 novembre. Or, dans l'histoire de la République, c'est parce qu'elles n'étaient pas parvenues à le faire entre 1870 et 1878 que la IIIe République a pu s'établir fermement et, vingt ans plus tard, se débarrasser de la tendance bonapartiste que le général Boulanger incarnait. Une nouvelle période s'ouvre donc pour la droite française, et peut-être, dans six mois, pour la France entière. » En réalité, Sarkozy et Fillon sont tout aussi orléanistes (la seule droite qui gouverne en France depuis 1970) qu'Alain Juppé et la comparaison est indéniable dès lors que l'on a dissipé les brouillards des discours de campagne et que l'on se fit aux faits et aux étroites liaisons que les uns et les autres entretiennent avec les Bilderberg, le CRIF, la grosse banque, c'est-à-dire les Rothschild, ce symbole indépassable de l'orléanisme décrit à la manière de René Rémond.
Mais Hervé Le Bras, comme René Rémond en son temps, n'a jamais privilégié la vérité à l'intox. Des hommes du Système, ils sont, des hommes du Système, ils l'ont été jusqu'au bout. Hervé Le Bras n'est-il pas le champion du mensonge idéologique, le champion de l'utopie républicaine, le champion du déni au profit du processus d'effacement national ? N'est-il pas l'homme qui a attaqué seul (apparemment) l'INED afin que cette dernière institution n'ait pas le droit de produire des statistiques ethniques ? Tabou qu'il a réussi à imposer en le consolidant pour supprimer toute problématique identitaire sérieuse dans le champ des sciences sociales. Et nous le savons, le pire des menteurs est celui qui tait ce qui ne peut l'être, qui laisse sous le boisseau la lumière. Ils sont les partisans de la nuit, de l'ombre, du mensonge permanent et, car toute chose est la cause d’une conséquence, des vecteurs de mort. Le Bras aurait d'ailleurs du mal à se défendre à ce propos, lui qui s'est toujours opposé férocement à ce qu'il nomme insolemment « l'obsession nataliste française » en s'inquiétant avec son ami Jack Lang d'une possible remise en cause, dans l'avenir, de l'avortement industriel et de la position immigrationniste de leur république. Nous nous rappelons de la riposte organisée par le Club de l'horloge au plus fort de la crise orchestrée par Le Bras pour liquider toute velléité de saine réaction sur ces sujets sociétaux. Le Bras contre-attaqua deux fois, lors de la crise en 1992, puis en 1998 en qualifiant les opposants à l'avortement d'individus habités par « le Démon des origines ». Les gens comme lui osent tout...
Les crétineries de René Rémond
Le Bras est en cela un bon disciple de l'historien surclassé (par la réalité des faits) René Rémond. Les deux-là sont à côté de la plaque ; ils le sont toujours, ils l'ont toujours été quand il aurait fallu découvrir la réalité d'un phénomène naissant en identifiant ses véritables caractéristiques. Pourquoi ces erreurs souvent énormes dès qu'il s'agit de commenter l'actualité ? Par ignorance ? Pour intoxiquer l'opinion en agissant en amont, en intoxiquant journaleux révérencieux, étudiants et professeurs bornés ? Sans doute.
Ainsi, en 1982, dans une énième réédition des Droites en France de René Rémond, nous découvrons pages 283-284 un passage surprenant consacré selon notre auteur au nouvel "héritier" du maurrassisme. Pour tous ceux qui connaissent le corpus idéologique de l'Action française (d'avant 1945), la comparaison est difficile à digérer. Lisons plutôt : « Chaque grande tradition de pensée engendre des courants subsidiaires qui se détachent graduellement du tronc principal pour vivre ensuite d'une existence autonome. La droite contre-révolutionnaire s'est ainsi périodiquement renouvelée. L'école qui fait depuis quelques temps parler d'elle sous le nom de Nouvelle droite ne serait-elle pas un de ces surgeons et le dernier avatar du phénomène récurrent des jeunes droites, la précédente étant l'Action française ? » Selon Rémond, Alain de Benoist pourrait même être « le Charles Maurras de sa génération » ! Faut-il dire que les arguments de Rémond en faveur de l'analogie sont très faibles ? Même goût de l'élitisme, argumentations scientifiques, anti-individualisme dans les deux mouvances. Ces caractéristiques ne sont que des lieux communs de l’extrême-droite. Quant à la stratégie métapolitique inconsciente de l'Action française observée par l'historien, elle ne prouve aucune filiation avec le prétendu gramcisme de droite d'Alain de Benoist, puisque cette propagande intellectuelle et philosophique est justement inconsciente à la différence de celle orchestrée et proclamée par le GRECE. Surtout, les points de divergence entre ces deux courants sont beaucoup plus nombreux que les similitudes doctrinales. L'AF prône le catholicisme, la Nouvelle droite le combat. L'AF veut un Etat fort, la Nouvelle droite n'en veut pas. L'AF rejette l'Europe fédérale, la Nouvelle droite en fait l'apologie. Les dissensions théoriques sont bien trop nombreuses et trop graves entre ces deux courants de pensée pour que l'idée d'héritage intellectuel soit simplement digne d'intérêt. René Rémond, comme aujourd'hui le pauvre fanfaron Le Bras, n'ont jamais connu que superficiellement ce qu'ils appellent avec le mépris du Diable l'extrême-droite. Ces deux hommes infatués, pourris par la gloriole que l'on trouve dans les loges, auront donc tronqué toute leur vie la réalité du nationalisme afin que s'en détournent les âmes nobles et que les pauvres d'esprit y voient en définitive ce qu'il n'est pas. Nous vivons actuellement avec les gesticulations de Florian Philippot, de Marine Le Pen et de Gilbert Collard la même entreprise subversive en version triviale. La même veine : faire passer pour hétédérodoxe ce qui roule pour le Système.
Avant d'en finir avec cette clique d'historiens décorés par l'univers entier, nous aimerions signaler les propos ineptes que Rémond a déversés sur l'Action française dans son ouvrage de 1976 sur L'anticléricalisme en France de 1815 à nos jours. Dans ce livre étudié par les étudiants de Sciences-Po, René Rémond brossait le portrait d'une Action française carrément anticléricale. Maurras excommunié devient de fait un ennemi de l'Eglise. Maurras agnostique, pourtant sincère ami du catholicisme dans toutes ses influences, devient de fait un ennemi de l’Église. Aujourd'hui les René Rémond sont partout. Emettez la moindre critique sur l'action et le discours de Bergoglio qui vient de défendre le Cornet Pizza au travers d'une interview donnée à un journal belge, et tous les René Rémond plus catholiques que les catholiques vous diront que vous êtes un insolent anarchiste anticlérical. C'est ainsi que fonctionne le monde des élites aujourd'hui, c'est contre ces imposteurs que nous devons combattre jusqu'à notre dernier souffle.
François-Xavier ROCHETTE. Rivarol du 15 décembre 2016