« Il faut aller à la vérité de toute son âme. » C’est par cette citation de Platon que s’ouvre Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, l’un des innombrables livres-testaments que publia le prodigue Jean d’Ormesson au soir de sa vie. C’est aujourd’hui le sort qui est le sien : rencontrer La Vérité, avec toute son âme. Jean d’O est mort cette nuit, tué par une faiblesse de l’organe qui le définissait le mieux : le cœur.
Écrire sur Jean d’Ormesson, c’est un petit peu comme peindre le portrait de Rembrandt : c’est impossible et quasi insultant. Alors choisissons d’égrener des souvenirs.
Jean d’O, c’est Apostrophes. L’homme encore de droite tendance Figaro qui brillait souvent par son intelligence, par sa cuistrerie parfois, par ses yeux pétillants toujours. La rencontre entre un écrivain – par essence reclus dans son cabinet d’écriture – et le grand, très grand public de la télévision.
Jean d’O, c’est l’Académie française. Devenu immortel à 48 ans, il fut pour beaucoup – encore dans le grand public – l’icône, la vitrine de cette vénérable institution. Il y fut un avocat intraitable de l’ouverture aux femmes, réussissant finalement à faire passer l’habit vert à Marguerite Yourcenar.
Jean d’O, c’est surtout Au Plaisir de Dieu. Un titre, deux mots fondamentaux pour comprendre le personnage. Épicure et la transcendance. Jouir et prier. Rire et pleurer, sans jamais oublier d’espérer. « Au Plaisir de Dieu » est un chef-d’œuvre, son chef-d’œuvre. Une fresque qui raconte en filigrane la perte de Saint-Fargeau, la perte des valeurs familiales, la perte des rentes, la perte d’une certaine France.
Plus personne ne lit. Aujourd’hui, dans les librairies de gare, se vendent comme des petits pains d’idiots manuels de la réussite, parce que les gens vont mal et que seules les femmes lisent encore des livres. Mais quels livres ! « 50 nuances » de rien du tout.
On devrait forcer les hommes, les garçons, à lire les classiques français du XIXe. Et puis à lire Jean d’O. Parce qu’on est une personne plus aboutie si l’on a déjà lu Flaubert. Et parce qu’on ne peut comprendre le pays réel si l’on n’a pas lu Au Plaisir de Dieu.
En 2012, dans un entretien pour Nice-Matin, Jean d’Ormesson évoquait sa fin :
« Je me considère comme un “catholique agnostique”. Je ne sais pas si Dieu existe, en tout cas je l’espère.
– Que souhaitez-vous lui entendre vous dire quand le jour arrivera ?
– Je te pardonne ! »
Si le plaisir et les instants de bonheur qu’on a donnés aux autres pèsent un peu dans la balance, nul doute que le Père recevra son fils Jean avec mansuétude.
L’homme des mots s’est tu. À notre tour de nous taire. Et de prier pour lui.