Dirigée par Max Gallo, la collection "Ils ont fait la France" consacre l'un de ses vingt volumes à Henri IV. Premier roi Bourbon, celui-ci demeurerait le plus aimé des souverains français.
Max Gallo et Jean-Paul Desprat présentent un Henri IV, l'homme de la tolérance. L'ouvrage comporte une marqueterie de textes précédés de repères chronologiques et méthodiques qui procurent au lecteur une image vivante du « bon et grand roi Henri ». Nous en donnons ci-dessous quelques-uns. On peut cependant regretter que dans sa brillante préface, Max Gallo donne une signification parfaitement erronée de l'absolutisme monarchique.
Absolue perfection
Cette erreur provient des propagandes anglo-saxonnes du début du XVIIIe siècle. En 1600, pour tous les contemporains, français ou étrangers, "monarchie absolue" signifiait "monarchie parfaite". C'était la monarchie de nos rois. Dans son Louis XIV, le professeur François Bluche démystifie cette légende : « Depuis Charles VII, les lettres patentes des rois s'achevaient par l'expression : "Car tel est notre plaisir". Nos ancêtres à qui le latin n'était pas étranger lisaient : "Placet nobis et volumus" – (c'est notre volonté réfléchie). Ils voyaient en cette formule la décision délibérée du Roi et non son caprice. De même traduisaient- ils sans hésiter "monarchia absoluta" par "monarchie parfaite". » Privé d'une définition authentique, Max Gallo réunit prévention et précipitation pour aboutir à un jugement téméraire : « Mais l'absolutisme – cujus regio, ejus religio – provoquera en 1685 la révocation de l'Edit de Nantes. Absolutisme et tolérance ne peuvent coexister. » Il convient ici de rappeler une date : en 1668, le traité d'Aix-la-Chapelle marque l'annexion de la Flandre française à la Couronne. Les Flamands catholiques soupçonnaient Louis XIV de tiédeur religieuse. Par la révocation de l'édit de Nantes, Louis XIV cède à l'opinion publique, vraie peste de la démocratie. La révocation a pour origine une éclipse momentanée de l'absolutisme royal.
Revendiquant le modèle de Virgile qui exalte les origines de Rome en la personne d'Énée, Voltaire va composer La Henriade, poème épique. La première édition intégrale en sera publiée à Londres, en 1728 grâce au pécule que Louis XV lui envoya pour le sauver de la faillite : « Je chante ce héros qui régna sur la France / Et par droit de conquête et par droit de naissance. / Qui par de longs malheurs apprit à gouverner, / Calma les factions, sut vaincre et pardonner / Confondit et Mayenne, et la Ligue, et l'Ibère, / Et fut de ses sujets le vainqueur et le père. » Voltaire évoque les troubles de la France divisée au temps d'Henri III, le dernier Valois : « Valois régnait encore ; et ses mains incertaines / De l'État ébranlé laissaient flotter les rênes. / Les lois étaient sans force, et les droits confondus / [...] Dans Paris révolté l'étranger accourut ; / Le vertueux Bourbon, plein d'une ardeur guerrière / À son prince aveuglé vint rendre la lumière : / Il ranima sa force, il conduisit ses pas / De la honte à la gloire et des jeux aux combats. » Voltaire prête au roi de France le discours vraisemblable qu'il tint au roi de Navarre, son cousin et beau-frère : « Vous voyez à quel point le destin m'humilie : / Mon injure est la vôtre ; et la Ligue ennemie / Levant contre son prince un front séditieux / Nous confond dans sa rage et nous poursuit tous deux. / Paris nous méconnaît ; Paris ne veut pour maître / Ni moi, qui suis son Roi, ni vous qui devez l'être. / Ce Dieu vous a choisi : sa main dans les combats / Au trône de Valois va conduire vos pas. »
Publié en 1661 par Hardouin de Perefixe, La Vie d'Henri le Grand comporte de précieux documents auxquels s'ajoute une fine compréhension du caractère et de la personne du roi Henri IV. Excommunié par le pape Sixte V, subissant la méfiance d'un chef de la Ligue, le duc de Mayenne, Henri III fut contraint de se tourner du côté du roi de Navarre. L'intelligence, le courage et la foi de ce dernier firent que cette contrainte fut providentielle, malgré toutes les craintes qu'il pouvait avoir raisonnablement : « Après qu'il eut bien considéré qu'il s'agissait de la France, de servir son roi et de s'ouvrir un chemin pour défendre la couronne qui lui appartenait, il résolut de tout hasarder et de se résigner entièrement à la sainte garde du souverain protecteur des rois. [...] Il arriva au Plessis-les-Tours sur les trois heures de l'après-midi, en habit de guerre, tout crasseux et tout usé de la cuirasse, lui seul ayant un manteau et tous ses gens étant en pourpoint, tous prêts d'endosser les armes, afin de montrer qu'il n'était pas venu pour faire sa cour, mais pour bien servir. Il alla au devant du roi qui entendait vêpres aux Minimes. La foule du peuple était si grande, qu'ils furent longtemps dans l'allée du Mail sans se pouvoir joindre. Notre Henri étant à trois pas du roi, se jeta à ses pieds, et s'efforça de les baiser, mais le Roi ne voulut pas le permettre : et, le relevant, l'embrassa avec grande tendresse. Ils réitérèrent leurs embrassements trois ou quatre fois, le roi le nommait son très cher frère, et lui appelait le roi son seigneur. On entendit alors pousser avec grande joie les cris de "Vive le voi !" que l'on n'avait point ouï depuis longtemps, comme si la présence de notre Henri eût fait rendre l'affection des peuples, qui semblait éteinte pour Henri III. Après que les deux rois se furent entretenus quelque temps, celui de Navarre repassa la rivière et aller loger au faubourg Saint-Symphorien [...] car il avait été obligé de le promettre ainsi à ces vieux Huguenots, qui crurent qu'on leur tendait des pièges partout. Mais lui, qui était poussé d'un autre motif et qui avait ce généreux principe, qu'il ne faut point ménager sa vie quand il y quelque chose à gagner qui doit être plus précieux à un grand courage que la vie même, sortit le lendemain dès six heures du matin [...] et vint donner le bonjour au roi. Ils s'entretinrent longtemps en deux ou trois conférences où le roi de Navarre donna de grandes marques de sa capacité et de son jugement. » Henri III mourant le nomma plusieurs fois « son bon frère et son légitime successeur, lui recommanda le royaume, exhorta les seigneurs là présents de le connaître et de ne point désunir ».
Malgré les aléas, les traverses, les pires angoisses, grâce à l'entente du roi de France et du roi de Navarre, ce qu'on a pu nommer le miracle capétien s'est produit. Les éloges le comparant à Salomon, à David, à Constantin, à saint Louis sont justifiés - par son goût et sa pratique de la justice, il a mis fin aux guerres de religion. Aux lauriers du soldat victorieux s'ajoutent les lys de la monarchie légitime. Chez lui une force triomphale se complète par une clémence généreuse. Et, ne l'oublions jamais, tel que le montre sa correspondance amoureuse, ce fut un Prince charmant.
Joseph Santa-Croce L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 5 au 18 janvier 2012
Ils ont fait la France, volume 4, Henri IV, l'homme de la tolérance, collection éditée par Le Figaro et L'Express, 12,90 euros.