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L'immigration au scanner

Jean-Paul Gourévitch est consultant international sur 'Afrique, les migrations et   islamisme radical, spécialiste renommé des questions migratoires, sur lesquelles    s'exprime volontiers même si le débat autour de celles-ci est confisqué par une politique plus soucieuse de l'idéologie que du bien commun.

ENTRETIEN par Hugues Dalric

Selon les chiffres de la Direction générale des étrangers en France, la France a délivré quelque 262 000 titres de séjours l'an dernier. D'aucuns estiment que l'entrée d'étrangers dans notre pays tournerait autour de 400 000 (ce qui ne serait pas si loin des chiffres allemands). Ces chiffres sont-ils vérifiables ? Ou au moins crédibles ?

Je ne vois aucune raison de mettre en cause le chiffre de 262 000 titres. Auquel il faut ajouter les migrants irréguliers entrants. L'analyse conjuguée des statistiques des demandes d'asile, de l'AME et des « étrangers malades » qui ne concernent d'ailleurs pas la totalité de ces migrants, les situerait en 2017 autour de 120 000. Mais il faut en retrancher les décès et les sortants sur lesquels nos outils de mesure sont indigents et peu fiables puisqu'il n'y a pas de registre local de population et une liberté de circulation dans l'espace Schengen. L'Insee affichait un solde migratoire de 174 000 immigrés en 2015 (chiffre provisoire et non justifié) et le Ministère de l'Intérieur de 27 000 migrants irréguliers renvoyés en 2017 sans compter ceux repartis d’eux-mêmes. L'augmentation annuelle de la population venue de l’étranger se situe vraisemblablement dans la fourchette 180000/ 280000.

On estime en général que la population immigrée (légale) représente plus de 10 % de la population, en France comme dans le reste de l'Union européenne. Sans évoquer l'idée d'un « grand remplacement », mais alors que ces entrées ne cessent de continuer, peut-on envisager, du point de vue du démographe, une assimilation ? Quelle serait sinon la perspective ?

Selon nos travaux les plus récents(1) l'ensemble des immigrés légaux et irréguliers représente 7,15 M de personnes soit 10,7 % de la population française. Quand on parle du « grand remplacement » on doit d'une part cumuler le solde migratoire des immigrés (minimum 180 000) et celui des expatriés (minimum 80 000) qui sont qualitativement différents dans leur très grande majorité, et le solde naturel des naissances d'origine étrangère (minimum 150 000). Soit un total d'au moins 310 000 personnes (0,46 % de la population française Le grand remplacement n'est pas pour demain mais la population résidant en France se transforme. Quant au problème d'assimilation que vous évoquez, il est politique avec un choix entre le « vivre ensemble », le « vivre côte à côte » et le « vivre face à face ».

Vous avez participé à la rédaction de quelques-uns des amendements dans l'actuel débat sur l'asile et l'immigration. Pensez-vous que ce projet de loi comporte des solutions réalistes aux problèmes objectifs, économiques notamment, que pose l'arrivée continue d'étrangers en France ?

J'y ai participé sur le plan technique et non politique à partir de la plaquette sur la loi Macron réalisée pour Contribuables Associés fin mars 2018 et envoyée à tous les parlementaires dont certains m ont contacté. Je ne nourris aucune illusion sur leur adoption. Il y a dans cette loi des idées louables comme l’encadrement de la demande d'asile et des reconduites, mais sans les mesures techniques qui permettraient d'y parvenir des hypothèses généreuses comme la possibilité pour les demandeurs d'asile de travailler dès 6 mois mais qui supposent que leur demande d'asile trouvera une réponse dans le même délai, et des bombes à retardement comme le problème des mineurs isolés qui peuvent faire venir leurs ascendants et leur fratrie ce qui va déclencher, dès qu'il sera connu, un flot d'arrivées africaines non maîtrisable. Il y a surtout une inversion des priorités. On s’est centré pour des raisons humanitaires sur l'accueil et non sur ce que deviennent ceux qui sont accueillis. Les études de l'OCDE montrent que 5 ans après leur arrivée, 33 % seulement des immigrés ont trouvé du travail dans l’économie formelle. Même en ajoutant ceux qui travaillent au noir, plus de la moitié restent donc à la charge de l'État c'est-à-dire des contribuables. Un sujet sulfureux occulté par les grands médias. Un pays qui ne se demande pas s'il aura la capacité de fournir du travail à tous ceux qu'il accueille ne fait que renforcer leur précarisation.

Le terme de terrorisme semble ne plus désigner aujourd'hui que la violence islamiste. Celle-ci, dénommée aussi radicalisation, a-t-elle cru en fonction de cette augmentation de la masse migratoire en provenance de pays à forte concentration musulmane ?

Les rapports entre la progression de l'immigration et celle de l'islamisme radical sont trop complexes pour être réduits à un amalgame, à une corrélation ou à une déconnexion. D’autant plus qu'il faut tenir compte de la montée de la violence islamiste chez ceux qui sont nés en France et de l'autofinancement du terrorisme par l'islamo-business(2) Il y a sur cette question trop d'idées reçues et une méconnaissance du parcours économique et spirituel des apprentis djihadistes.

Jean-Louis Borloo vient de remettre son rapport sur les banlieues, qui doit évoquer, d'après ce que l'on peut savoir, autant les questions d'immigration que de radicalisation. Si on ajoute cela à la loi évoquée ci-dessus, cela signifie-t-il que l'État a décidé d'écouter les spécialistes tels que vous, de prendre la mesure du problème, et - peut-être - d'en tirer les conséquences ?

Je ne connais pas encore les détails des 9 chantiers du plan Borloo pour enrayer le nouvel apartheid qu'il redoute. Il a travaillé avec les responsables municipaux et associatifs ce qui est légitime en raison de leur connaissance du terrain mais assez peu avec les experts qui peuvent esquisser un horizon à cette recomposition. Je n'ai pas été consulté pas plus que par le Ministère de l'Intérieur pour sa loi et je ne m’en offusque pas. Mais quand on est immergé dans le quotidien, on parle emploi, alternance, discriminations, cité éducative, et on oublie un des maux majeurs qui explique l’échec de tous les plans banlieue précédents et la montée du communautarisme et de la revendication identitaire. Ce mal, c'est l’économie informelle qui représente aujourd'hui 20 % du PUB de la France nais qui surtout fait vivre les « quartiers sensibles » et face auxquels les gouvernements ont impuissants. Ils n'ont toujours pas choisi entre la combattre dès la première transgression (la fraude aux transports publics dans les banlieues), la laisser prospérer pour ure exploser le chaudron social, ou-essayer e la gérer au moins mal.

Il y a d'autres chiffres importants sur la question de l'immigration : ceux de son coût..

C'est une question qui divise les spécialistes et sur laquelle je travaille depuis plus de 10 ans, en actualisant à chaque fois les données. Pour résumer, aucun chercheur sérieux aujourd'hui ne peut prétendre que l'immigration rapporte à la France plus qu'elle ne coûte.

Il y a toutefois une différence entre les chercheurs « de gauche » comme François Gemenne ou Jean-Christophe Dumont de l'OCDE qui estiment que le déficit annuel est minime (entre 5 et 10 milliards d'euros) et les chercheurs « de droite ou d'extrême droite » comme André Posokhow de Polemia, Yves-Marie Laulan ou Gérard Pince qui le situent entre 70 et 85 milliards.

De mon côté j'ai explicité mes bases de données et ma démarche de calcul des coûts. Les résultats que j'ai publiés en 2017 aboutissent à un déficit annuel de l'immigration légale de 8,5 milliards d'euros, à un déficit de l'immigration irrégulière de 3,7 milliards et à des investissements de l'État de 8,2 milliards dont seulement une petite partie sera rentable quand les immigrés et leurs enfants pour lesquels ils sont consentis entreront sur le marché du travail et contribueront à l'augmentation du PIB du pays.

Bref chaque année l'immigration coûte environ 20 milliards aux contribuables. Il est facile de comprendre qu'un immigré qui travaille rapporte plus qu'il ne coûte et que c'est le contraire pour un immigré qui ne travaille pas. Mais c'est cette catégorie qui est la plus nombreuse et aucun des scénarios que j'ai décrits (recrutement, régularisation, quotas, baisse du chômage, hausse du pouvoir d’achat, ne paraît susceptible d'inverser durablement la tendance.

Depuis quelques temps, on a le sentiment que la France, dans les rapports de l'Insee notamment, ne ferme plus systématiquement les yeux sur certains chiffres, ethniques notamment. Cela vous a-t-il permis d'affiner votre travail ? Et est-ce le signe d'un retour au réalisme ?

La France est un des seuls pays où les statistiques ethniques sont interdites ce qui est aberrant. Comment combattre les discriminations si on camoufle l'identité de ceux qui en sont victimes ? Il y a eu certes des avancées. Les chercheurs connaissent aujourd'hui le nombre des enfants d'origine étrangère, leur répartition en fonction des origines, de la structure familiale, de l’arrivée en France d'un ou des deux parents, mais ces chiffres ne sont pas médiatisés par peur de déclencher des réactions xénophobes. Sauf qu’à considérer les Français comme des citoyens qui ne seraient pas adultes, on favorise les rumeurs et les amalgames. Une fois de plus l'idéologie l'emporte sur l'information. Et la grande perdante de ce jeu de dupes, c'est en définitive la démocratie.

1 . J.P Gourévitch  Les véritables enjeux des migrations, Le Rocher, 2017

2 . J.P Gourévitch  L'islamo-business, vivier du terrorisme, P.G. de Roux, 2016.

monde&vie  10 mai 2018

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