Le débat marathon avec les maires du département de l’Eure confirme, s’il en est besoin, qu’Emmanuel Macron n’est pas près de changer quoi que ce soit à sa façon de gouverner. Juste avant, il n’a pu s’empêcher de lancer, devant le conseil municipal de Gasny, un de ces mots dont il a le secret, qui ont le double effet de dévoiler sa nature et son sentiment à l’égard des Français qui ne lui sont pas affidés, c’est-à-dire presque tous : « Il y a des gens en situation de difficulté que l’on va davantage responsabiliser, parce qu’il y en a qui font bien et il y en a qui déconnent. » Pour les dénigrer, il n’a pas son pareil. Après les « Gaulois réfractaires », le « pognon de dingue » et autres gentillesses, c’est ainsi qu’il compte, sans doute, se réconcilier avec le peuple.
Après cette mise en bouche, le plat principal est servi dans un gymnase de Grand-Bourgtheroulde : il bat le record de durée pour une réunion publique, où quelques centaines de maires normands l’interrogent. Pendant plus de sept heures, les trois chaînes d’information en continu ont diffusé cette interminable séance de questions-réponses – de quoi vous donner une indigestion. Notre Président s’en est donné à cœur joie dans son exercice préféré : se mettre en vedette et enfumer les Français. Pas de risque de se voir contesté, les édiles restant le plus souvent courtois et les manifestants soigneusement tenus à distance.
Tout se passe comme si la crise des gilets jaunes n’existait pas, n’avait jamais existé. Le monarque sans couronne (et, dans la conjoncture actuelle, sans légitimité) daigne écouter ses interlocuteurs, prend quelques notes, débite ses réponses, ne démord pas de ses certitudes. Il pousse même la démagogie jusqu’à dire qu’il aime les familles… Il consent à tenir compte des remarques, si ce sont des broutilles. Manifestement, l’orateur cherche à séduire par sa repartie et sa performance. À croire que l’objet de cette réunion n’est qu’un prétexte pour mettre en scène le one-man-show présidentiel avec, pour maître de cérémonie, Sébastien Lecornu, l’un des deux ministres chargés d’animer (impartialement, il va de soi) le grand débat national.
Ce n’est pas en tenant des propos incongrus au sein d’un conseil municipal, ni en courant un marathon au milieu des maires qui ont du mal à le suivre, que Macron convaincra de sa volonté de changer. Il a beau chasser son naturel, il revient au galop, quand il ne le revendique pas : ainsi, il ne dément pas la petite phrase controversée où il assurait à un chômeur qu’il lui suffisait de traverser la rue pour trouver un travail. C’est vrai dans le quartier de l’Élysée, affirme-t-il ! Se mettre en vedette, feindre d’écouter, exhiber sa résistance physique et intellectuelle, prétendre donner la parole au peuple pour rester au pouvoir, c’est encore une façon de mépriser les autres, d’étaler son universalité, de justifier sa présence à la tête de l’État. C’est aussi une façon d’occulter sa responsabilité première dans la crise des gilets jaunes : une crise de la démocratie et du mode de gouvernement qui risque fort, à plus ou moins long terme, de l’emporter.