C’est dans un Parlement européen où les cartes ont été rebattues que les 23 élus du RN vont faire leur entrée en juillet. Les deux plus vieux groupes politiques du PE, celui de la droite dite (souvent par antiphrase) conservatrice, le parti populaire européen (PPE) et celui des sociaux-démocrates (S&D) ont perdu leur majorité commune. Sur les 751 députés qui siègent dans l’hémicycle européen, le groupe PPE en recueille désormais 179 et le groupe S&D 152, soit respectivement 38 et 35 de moins que dans la précédente mandature. Pour autant, les européistes répartis dans d’autres groupes et formations ont eux progressé. C’est le cas bien sûr des Verts, confortés par la poussée du vote écolo-progressiste en France et en Allemagne (67 sièges contre 50 en 2014) et du groupe centriste-libéral-fédéraliste ALDE (105 sièges contre 69 précédemment), auxquels se joindront les députés macronistes, et qui se hisse sur la troisième marche du podium. Le groupe Europe des Nations et des Libertés (ENL), progresse fortement, et à l’heure où nous écrivons, en toute hypothèse, il devrait compter au bas mot 58 sièges contre 37 actuellement. Plus largement, les députés souverainistes, nationaux, populistes, eurosceptiques, répartis dans trois groupes (ENL, EFDD, ECR) sont désormais au nombre de 172, voire 185 pour peu que l’on comptabilise les 13 élus du Fidesz de Viktor Orban, qui a toujours un pied au sein du PPE…
Un pole patriotique, identitaire, antibruxellois qui pourra peser sur les débats, voire sur la mécanique des instances européistes, la répartition de certains postes. Pour autant, ne nous leurrons pas, sociaux-libéraux, sociaux-démocrates, écolos et leurs alliés de revers d’extrême-gauche n’hésiteront pas à se faire la courte-échelle pour poursuivre leur fuite en avant transfrontiériste, libre-échangiste et multiculturaliste, utopies mortifères qui sont les piliers de l’actuelle contrefaçon européenne.
C’est en tout cas implicitement ce que souligne, l’ex candidat de l’UMP et directeur de la Fondation pour l’innovation politique, Dominique Reynié. Jacques Munnier le notait ce matin dans sa chronique sur France Culture, M. Reynié « estime dans Le Monde que la poussée des Verts et des centristes est propice à l’intégration européenne (…°). L’érosion de (l’) influence (du PPE et du groupe S&D) ouvre la voie à des combinaisons alternatives avec des groupes favorables à l’Union européenne. Selon lui, l’avenir de la droite n’est pas dans un rapprochement avec les populistes , mais dans la construction d’un bloc central où, à la fois incontournable et insuffisante, elle contribuerait à la prise en charge de préoccupations devenues lancinantes et qu’il serait déraisonnable de laisser plus longtemps en monopole aux populistes : la défense de la puissance économique, la protection des frontières, la promotion des valeurs communes » (sic). Confier la défense des frontières et de notre puissance économique à ce bloc central là est pourtant, au bas mot, très problématique aux yeux des plus lucides et des citoyens ayant un minimum de mémoire et de culture politique…
Mémoire et culture politique qui ont conduit nos compatriotes à ne pas accorder leur confiance à la liste LR à ces élections, quand bien même François-Xavier Bellamy a tenu ces derniers mois un discours souvent juste, intelligent et structuré. Mais le contrat de confiance entre cette droite et les Français malgré les efforts méritoires de la tête de liste LR, est (définitivement?) rompu. Une situation qui n’est pas de la responsabilité de M. Bellamy mais des dirigeants d’une droite spécialiste du double langage et qui une fois au pouvoir et présente dans les assemblées trahi ses électeurs. Le spectacle offert ces dernières heures par des pontes de LR tirant à boulets rouges sur la le positionnement qui fut celui de MM. Bellamy et Wauquiez est d’ailleurs édifiant.
Quelques jours avant le scrutin, le député européen et vice-président de la région Ile-de-France, Geoffroy Didier, progressiste ayant endossé par opportunisme ces dernières années un discours nettement plus droitier, affirmait que «quelle que soit l’issue du scrutin, Laurent Wauquiez a gagné son pari» . «Il a choisi et ensuite imposé, malgré les nombreuses résistances et réserves, François-Xavier Bellamy, qui fait aujourd’hui l’unanimité». Globalement, la campagne est «réussie dans la mesure où, quelle que soit l’issue du scrutin, nous avons d’ores et déjà atteint plusieurs objectifs». «Le premier, c’est de réunir la droite, ça ne semblait pas du tout gagné il y a quelques semaines encore.» Deuxièmement, ce que nous avons déjà réussi à faire, là encore quelle que soit l’issue du scrutin, c’est de recréer un partenariat avec le centre, ce qui n’était pas non plus évident», affirmait-il
Au lendemain de cette déroute de LR, M Didier expliquait tout le contraire au micro de RTL : «La droite doit se déringardiser d’urgence et doit notamment abandonner son conservatisme sociétal. » «Cette droite-là ne nous fera jamais gagner, elle nous condamnera à l’échec.» «C’est peut-être une droite mais ça n’est pas la droite» La droite c’est aussi en effet celle qui a voté massivement -par réflexe de classe? rejet de l’amour du prochain? - pour la liste de Nathalie Loiseau ce 26 mai dans les beaux quartiers de la capitale, les communes bourgeoises de l’ouest parisien et de la province, à Versailles , à Neuilly, à Bordeaux…
Présidente de la région Ile-de-France, opposante assumée à la ligne Wauquiez, la républicaine Valérie Pécresse entonnait hier le même discours que M. Didier, confiant qu’à la place du patron dr LR elle démissionnerait : « Le sujet c’est la survie ou la disparition de la droite à la prochaine élection. » « Il va falloir se mobiliser très vite pour les municipales. J’ai décidé de prendre mes responsabilités et, avec un certain nombre de maires, nous pouvons montrer le vrai visage de la droite, une droite qui aime l’ordre, une droite laïque et qui défend les valeurs de la République, une droite écologique et sociale. » Une urgence dit-elle, car « il n’est plus improbable de voir arriver Marine Le Pen au pouvoir puisque la droite n’arrive plus à incarner une alternance crédible à Emmanuel Macron. » « Ça veut dire qu’il faut tout changer ( chez les Républicains). »
Egalement à la manœuvre, souligne Gabrielle Cluzel,( Boulevard voltaire), « Le président du Sénat Gérard Larcher propose (à la direction de LR) une ouverture vers le centre, histoire sans doute de perdre les 8,5 % d’électeurs restants. C’est LR version trappiste, qui continue de creuser sa tombe… »
Docteur en science politique, Benjamin Morel, analyse parfaitement dans Le Figaro, la situation inextricable dans laquelle se trouve engluée LR. Cette formation politique paye aujourd’hui au prix fort son absence de courage et de cohérence idéologique entre ses différentes factions. Toutes choses que Marine, Bruno Gollnisch, les dirigeants du RN avaient parfaitement analysé et anticipé. Toute maison divisée contre elle-même périra…
« Pour l’électorat centriste note ainsi M. Morel, le vote utile a pris le visage de LREM, pour l’électorat plus conservateur, il a pris les atours du vote RN.(…). LR doit trouver un espace électoral entre LREM et le RN, avec un double vote utile. À cela s’ajoute une profonde division. Les électeurs LR sont plus des conservateurs libéraux, ses militants des gaullo-conservateurs et ses élus des centristes orléanistes. (…) Les élus LR qui représentent la principale force du parti aujourd’hui sont assez proches d’une ligne LREM ; les électeurs qui restent à LR sont plus proches d’une ligne RN. C’est un enfer à gérer pour toute direction de parti. LR ne peut plus être un parti attrape-tout comme il le fut jadis. Le grand parti du centre et de la droite, c’est une idée morte. Soit LR parie sur l’échec de LREM et tente de reconquérir l’électorat du centre, soit il suit les traces de l’ÖVP (en Autriche, NDLR) ou de la CSU (en Allemagne, NDLR) en mettant la barre à droite pour récupérer le vote FN. Dans tous les cas, il faut pouvoir incarner l’alternance, donc l’alternative, donc être dans une opposition frontale au gouvernement. Si LR louvoie, si ses électeurs pensent que LR fait des cadeaux au gouvernement, les centristes préféreront voter quant à faire utiles, les autres n’y verront pas l’alternative et préféreront le RN. Le problème est que, à la veille des municipales, les maires LR vont avoir la tentation de faire alliance avec LREM au vu des derniers résultats… ». Bref, la recomposition/clarification du paysage politique se poursuit et n’en est peut-être qu’à ses débuts.
https://gollnisch.com/2019/05/29/recomposition-et-clarification-du-paysage-politique/