Chargée pendant onze années de la facturation des soins à la direction financière d’un hôpital public, Véronique Prudhomme publie La Vérité sur l’AME, un livre dans lequel elle dénonce les dysfonctionnement du système.
C’est un patient venu d’Afrique du Nord, monté dans l’avion avec un drain thoracique. Il se présente aux urgences muni d’un courrier d’un médecin de son pays demandant à ses confrères français de lui prodiguer un traitement chirurgical précis. L'homme n'en est pas à son premier traitement dans l'Hexagone: il bénéficie de l'aide médicale de l'État (AME) pendant un an, tout en continuant à résider à l'étranger. Alors qu'il n'est pas clandes tin, ce qui est pourtant la condition pour être éligible à l'AME.
Vrais ou faux touristes, étrangers fortunés, fraudeurs en bande organisée, Véronique Prudhomme en a vu passer, des resquilleurs, en onze ans à la direction financière d'un hôpital public d'Île de-France, chargée de la facturation des soins... « Témoin de tant de dévoiements et de dysfonctionnements », elle décrit dans un livre, La vérité sur l'AME, « un système extrêmement permissif ».
Venu tout spécialement se faire opérer à Paris en neurochirurgie, cet autre étranger a naturellement enchaîné avec le service de rééducation fonctionnelle d'un grand hôpital de l'AP-HP, où il séjourne - et progresse - « depuis plus d'un an ». Il « est aujourd'hui entré dans une durée déraisonnable d'hospitalisation en rééducation, observe le chef de service. Mais il répète que si on entreprenait de le transférer vers un hôpital de son pays, où pourtant les soins de rééducation sont relativement développés, il « préférerait se jeter dans Seine ». Quelle solution à cette « équation médicale, sociale et psychologique complexe, de plus en plus fréquente ? interroge-il. « L'obtention de l'AME et la gratuité qui en découle rendent encore plus improbable son acceptation de poursuivre dans son pays ses soins de rééducation, qui devraient se prolonger sur de nombreuses années en ambulatoire » Dans l'hôpital où travaille ce professeur de médecine, « près d'un tiers des lits de rééducation » sont occupés « à l'année » par ce type de patients. Ce qui entraine, fait-il remarquer, « une perte de chances pour tous ceux qui, en attente de rééducation, ont contribué toute leur vie au système par le paiement de cotisations sociales ».
Le cas le plus fréquent, témoigne Véronique Prudhomme, est celui du patient qui, arrivé avec un visa touristique, attend que sa durée de séjour autorisée expire pour devenir illégal et obtenir l’AME. D’autres étrangers semblent « tomber malade dans l’avion », et, entrant par les urgences d’un hôpital public, s’affranchissent sans scrupule de l’étape du règlement. « Qu’ils aient une couverture maladie, par le biais de l'AME ou non, ne fait pas de différence pour ceux-là, explique l'auteur. Ils viennent recevoir des soins, de façon préméditée ou non , et peu leur importe que la facture soit impayée ou payée par le dispositif. En revanche, le service financier de l'établissement concerné est particulièrement demandeur d'obtenir une AME pour ces patients, afin d'assurer le paiement des frais de santé engagés... » Elle a ainsi vu « arriver des personnes de tous les coins de la planète, notamment des pays du Golfe », la plupart du temps accompagnés d'un interprète qui connaît parfaitement le système... Une liste d'interprètes « que l'on avait l'habitude de voir au guichet avec des patients, jamais les mêmes », deux ou trois adresses autour de l'hôpital, qui revenaient en boucle, voilà « la preuve d’une organisation bien rodée ».
Créances irrécouvrables
« Recruté sur l'application Whats App, l'interprète organise à distance le voyage, tel un super majordome, trouve un logement et coordonne les déplacements en taxi, détaille-t-elle. Au guichet, il se présente comme un ami du patienf malencontreuseme tombé malade durant ses vacances.» À l'un de ces « interprètes », qu'elle commence à bien connaître, elle demande s'il a « donné les tarifs de l'établissement » à son « ami » du jour: « Eh non!, s'exclame-t il. Il vient en France, je m'occupe de tout et il n'a rien à payer, c'est gratuit, ici ! »
Le coût de l'AME, insiste l'auteur, n'est que l'un des paramètres pour considérer le coût des soins délivrés aux étrangers sur le sol français. Il faut, par exemple, y ajouter les « non facfurables ». Ainsi ce Géorgien pris en charge aux urgences: « La discussion avec lui était impossible.» Où envoyer la facture? Du coup, elle n'a jamais été émise. Ou encore ce vendeur de rue : hospitalisé en juin, il n'a obtenu son AME qu'en août... « Ces soins non facturés et ces créances irrécouvrables, souligne-t-elle, ne s'invitentjamais au débat sur l'AME et aux études de son bilan financier.» Son établissement, d'environ cinq cents lits, « a facturé en 2016 et 2017 entre 320 000 et 400 000 euros de soins à l'AME ». Quant aux créances irrécouvrables, elles représentent « un peu plus de 500 000 euros chaque année ».
Stéphane Kovacs pour Le Figaro
La vérité sur l’AME, Véronique Prudhomme, Editions Viasocial, 200 p., 18 €.