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Grève du 5 décembre : une « solidarité » nombriliste

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La perspective d’un blocage des transports en communs en décembre se précise. Les syndicats organisent la prise en otages des Français, au nom d’une « solidarité » sujette à caution.

La publicité, qui nous rebat les oreilles avec le « black Friday », ne parvient pas à détourner l’attention de nombreux Français - tous ceux qui sont quotidiennement tributaires des transports en commun - du jeudi noir qui les attend, le 5 décembre prochain. Une fois encore, la France sera bloquée par la grève des cheminots - et Paris, par celle des agents de la RATP les uns et les autres désireux de défendre leur régime spécial de retraite.

On les comprend. « Ces régimes fournissent, en effet, à leurs affiliés des avantages substantiels par rapport à ceux du secteur privé », expose Marie-Laure Dufrêche, léguée générale de l’association Sauvegarde Retraites.

Pour résumer le montant des pensions est calculé sur la rémunération des six derniers mois, en incluant une kyrielle de primes, ce qui est beaucoup plus favorable que dans les régimes des salariés du privé, où elles sont calculées sur les 25 meilleures années au régime général et sur l’ensemble de la carrière dans les régimes de retraite complémentaires Agirc-Arrco.

Les pensions représentent au minimum 75 % du dernier salaire pour une carrière complète et leur montant est garanti par l'État, alors que dans les régimes du privé les rendements diminuent depuis des décennies.

Les veuves ou les veufs perçoivent une réversion sans conditions d'âge ni de ressources, comme dans l'ensemble des régimes de retraite du secteur public, alors que ceux des régimes des salariés du privé sont soumis à cette double condition dans le régime général et à une condition d'âge à l’Agirc-Arrco.

Les agents de la SNCF ou de la RATP ont la possibilité, selon les postes qu'ils occupent, de partir à la retraite dès 52 ou 57 ans et même plus tôt jusqu’en 2023), alors que dans le secteur privé et pour de nombreux fonctionnaires, l'âge réglementaire est fixé à 62 ans. Certes, ces agents ne bénéficient pas d'une retraite à taux plein s'ils partent aussi tôt, mais dans le secteur privé l'âge du taux plein est encore plus éloigné - un récent accord signé à l’Agirc-Arrco prévoit même un départ à 63 ans au minimum pour percevoir une pension sans malus.

Les majorations familiales sont sensiblement plus généreuses. Enfin, les cheminots et leurs proches bénéficient de billets de train à tarif fortement réduit.

Des réformes systématiquement compensées

« On conçoit que les intéressés rechignent à tirer un trait sur ces privilèges, qui ne seraient pas choquants en soi s'ils étaient financés par les intéressés et par les bénéfices engendrés par l'activités des entreprises publiques qui les emploient », explique Marie-Laure Dufrêche. « Mais ce n’est pas le cas La SNCF perçoit 32 milliards d'euros de subventions rien que pour compenser le déficit démographique de son régime et les retraites de ses personnels sont financées par un double taux de cotisation T1 et T2 Le taux T2 sert exclusivement à payer les avantages retraite Or la SNCF, entreprise à 100 % publique, est grandement déficitaire l’Etat vient de reprendre une grande partie de sa dette, à hauteur de 35 milliards d'euros À la RATP la subvention publique atteint 710 millions d'euros en 2019 Lorsque les régimes du public sont prétendument réformés, les mesures de réforme sont systématiquement compensées Ainsi, les hausses de cotisation ne se traduisent jamais par une diminution du salaire net. Et lorsqu’à la SNCF les "bonifications de traction"(1) octroyées aux conducteurs de locomotive ont été supprimées pour les nouveaux embauchés à partir de 2009), cette suppression a été compensée par la création d'un régime supplémentaire de retraite et par la mise en place d'un "compte épargne temps" ! Tant mieux pour ces cheminots mais au bout du compte, qui paie ? L’ensemble des contribuables français. Or les affiliés aux régimes du secteur privé salariés et indépendants), financent déjà, par leurs cotisations leurs propres régimes de retraite Autrement dit, ils paient deux fois ! »

Les syndicats sont donc mal venus d'invoquer la solidarité pour justifier la grève et la prise en otages de millions de travailleurs français, qui seront contraints de partir travailler et de revenir entassés dans des conditions éprouvantes dans les rares Wagons rames et bus en circulation, avec des retards considérables dans les deux sens. « Ils nous ont déjà fait le coup de la solidarité en 1995 en s'opposant au plan Juppé qui devait appliquer aux régimes du public les conditions imposées à ceux du privé par la réforme Balladur deux ans auparavant, poursuit Marie-Laure Dufrêche. En réalité les syndicats qui recrutent surtout dans le public se sont très bien accommodés du traitement réservé aux actifs et aux retraités du privé »

La solidarité invoquée par les syndicalistes est d’autant plus douteuse que la grève risque de mettre en difficulté quantité d'entreprises privées, avec des conséquences qui seront parfois graves sur les emplois. Tandis que les grévistes, défendus par les syndicats, bénéficient précisément de là sécurité de l’emploi. Certains syndicalistes, conscients de ce manque d'équité, reprochent toutefois à la réforme d'organiser un nivellement par le bas pour rétablir l'équité, il conviendrait au contraire d améliorer les régimes du privé en les alignant peu ou prou sur ceux du public.

8000 milliards d’euros de dette retraite !

« C'est de la mauvaise foi ou de l’aveuglement, répond Marie-Laure DufrêChe. Derrière la SNCF et la RATP c'est l’ensemble des régimes du public - y compris ceux des fonctionnaires - qui sont concernés et dont les syndicats, mais aussi les hauts-fonctionnaires, défendent bec et ongles les intérêts Les fonctionnaires et les cheminots qui protestent contre la réformé sont souvent de bonne foi, mais ils ne sont pas informés de la situation dans laquelle se trouve notre système de retraite par répartition, et l'État derrière lui. Ces régimes du public ne sont pas financés. Les engagements retraite autrement dit la dette retraite ne sont pas provisionnés. Or selon le conseil d'Orientation des Retraites, ces engagements se montent à quelque 8 000 milliards d'euros, soit presque le quadruple de la dette "officielle" de la France qui s'élève à près de 2 400 milliards d'euros ! Pour la seule fonction publique d'État, ils atteignent 2 300 milliards d'euros et la fonction publique d'État ne dispose même pas d'une caisse de retraite, ce qui montre s'il en était besoin que les cotisations y sont fictives et que les pensions sont directement payées sur le budget de l'État ! Il faut que les Français le sachent. »

Si le système n est pas réformé en profondeur avertit Sauvegarde Retraite, cette dette continuera à enfler et son poids pèsera sur les générations à venir. S'y ajouteront le coût des pensions de retraite, alourdi par une situation démographique qui voit augmenter la proportion des retraités par rapport aux actifs, et celui de la grande dépendance, alors que la population vieillit et que s allonge l’espérance de vie. De quoi se demander de quelle « solidarité » se réclament les grévistes du 5 décembre. Certainement pas de la solidarité générationnelle, en tout cas.

monde&vie 5 décembre 2019

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