L’économie humaniste
Intervention de Frédéric Valentin à la VIIIe Université d'été de Synergies Européennes, Groppelo di Gavirate (29 juillet / 2 août 2000)
• I – Conception de la science économique
• II – L’économie de marchés
• III – La dynamique monétaire
• IV – Assomption de l’Europe
Né en 1911 (mort le 9 oct. 2010), prix Nobel en 1988, Maurice Allais a publié sur les problèmes de l’Europe, ces dernières années, plusieurs ouvrages destinés à un vaste public. En 1991, avec “l’Europe face à son avenir ”, il posait très clairement le problème des européens : leur tâche dans cette fin de siècle, c’est de réaliser la Communauté culturelle, politique et économique qui constitue la condition de leur épanouissement dans le XXIe siècle. Il montre inlassablement les extravagances et incohérences des conceptions de la Commission européenne qui emploie systématiquement la méthode autoritaire. On lui doit aussi une clarification des conditions de la réussite d’une monnaie commune.
Depuis ces premiers travaux, en 1943, M. Allais donne des leçons de clarté, de lucidité et de courage. Aussi, après une présentation de sa conception de la science économique, nous exposerons brièvement le cadre qu’il a élaboré, l’économie de marchés, et les difficultés que provoque la théorie monétaire dominante, dont les profiteurs sont essentiellement les oligarchies financières. De là, nous montrerons les projets d’amélioration de la construction européenne à laquelle le maître se consacre désormais.
I - CONCEPTION DE LA SCIENCE ÉCONOMIQUE
L’autoportrait de Maurice Allais, publié en 1989 (1), expose avec clarté les principes fondamentaux qu’il a suivis dans tous ses travaux :
1 - Le critère fondamental de l’expérience. Il n’y a de science que là où existent des régularités susceptibles d’être analysées et d’être prédites. Toute science repose sur des modèles et tout modèle comporte 3 stades : hypothèses bien explicitées ; conséquences de celles-ci ; confrontation des conséquences avec les observations. L’économiste est intéressé par la première et la troisième de ces phases.
Une théorie dont ni les hypothèses ni les conséquences ne peuvent être confrontées avec le réel est dépourvu de tout intérêt scientifique. Une théorie qui n’est pas vérifiée par les données de l’expérience n’a aucune valeur et doit être rejetée. C’est ainsi que récemment (2) le prix Nobel citait le modèle RUNS de la Banque mondiale qui considère 22 régions, 20 produits, 8 périodes et, finalement, 77.000 variables. “En réalité un tel modèle n’a aucune signification ni économique, ni économétrique”
2 - La recherche d’invariants. Pour une très large part, l’élaboration des sciences sociales repose sur la recherche de relations et de quantités invariantes dans le temps et dans l’espace. L’activité économique des hommes se ramène à la recherche de surplus, à leur réalisation et à leur répartition. Il existe une relation invariante entre la production et les facteurs fournis dans le passé qui peuvent être considérés comme à l’origine de cette production. De même, on constate une utilité cardinale pour tous les sujets ; elle peut se représenter par une fonction invariante des variations relatives de leur capital. Cela vaut aussi pour la dynamique monétaire.
3 - L’utilisation des mathématiques. Les mathématiques ne peuvent être qu’un outil. La rigueur mathématique des raisonnements ne saurait en aucun cas justifier une théorie fondée sur des postulats étrangers à la nature réelle des phénomènes étudiés. Le véritable progrès ne réside pas dans l’exposé formel qui ne doit jamais être considéré comme une garantie de qualité, mais dans la découverte d’idées directrices.
4 - La tyrannie des doctrines dominantes. Ce n’est que par la constante remise en cause des “vérités établies” que la science peut réellement progresser. Mais tout progrès se heurte à la tyrannie des idées dominantes et des “establishments” dont elles émanent. Aussi, M. Allais reprend-il à son compte le jugement de W. Pareto “l’histoire de la science se réduit à l’histoire des erreurs des hommes compétents” et affirme, avec courage, que l’homme de science doit se préoccuper uniquement de la recherche de la vérité, quoi qu’il puisse lui en coûter.
II - L’ÉCONOMIE DE MARCHÉS
Le modèle d’équilibre général de Walras suppose qu’il existe à tout moment un système unique de prix pour tous les opérateurs et que les fonctions sont continues, dérivables et convexes. Ces hypothèses sont totalement irréalistes et donc à rejeter. À la place, M. Allais a développé depuis 1967 un modèle de dynamique économique fondé sur la recherche décentralisée des Surplus distribuables.
• A - La recherche de surplus
Le modèle de l’économie de marchés retient les caractères essentiels de la réalité, en particulier : il y a, hors d’équilibre, des systèmes de prix spécifiques à chaque opération d’échange ; il existe un ensemble de marchés partiels sur lesquels se fixe un prix par confrontation des offres et des demandes, suivi d’échanges effectifs.
Dans le modèle de l’économie de marchés, les règles de comportement des agents économiques sont les suivantes (3) :
a) Tout opérateur cherche à trouver un ou plusieurs autres opérateurs disposés à accepter un échange dégageant un surplus susceptible d’être réparti.
b) Une situation d’équilibre est celle où il n’existe aucune possibilité de réaliser un surplus quelconque. Une situation d’efficacité maximale reste définie comme une situation où un indice de préférence quelconque peut être considéré comme maximal.
Cette approche présente l’avantage de faire reposer toute la dynamique sur la recherche, la réalisation et la répartition des surplus, à la place de la recherche du système de prix d’équilibre.
• B - L’efficacité de l’économie de marchés
La réussite économique ne résulte pas d’une recette unique valable en tout temps et en tout lieu. Mais il existe des conditions nécessaires.
1 - Chaque pays est dans une situation où les ressources dont il dispose sont limitées alors que les besoins sont illimités. Tout pays est condamné à l’efficacité, qui repose sur 2 piliers :
La décentralisation de la gestion économique : des millions d’agents à la recherche des meilleures solutions ont plus de chance de trouver ces solutions efficaces que quelques personnes même très intelligentes.
Les agents économiques doivent être incités à réaliser les progrès techniquement réalisables qu’ils découvrent. Les rémunérations sont un moyen d’incitation.
2 - Partout dans le monde, la bureaucratie est inefficace. Pour les mêmes raisons :
Loi de Parkinson de prolifération des bureaux.
Loi de mouvement ascendant des rapports (vers les supérieurs).
Loi de la compétence décroissante (les supérieurs traitent d’affaires locales dont ils sont très éloignés).
Prise de décision au hasard (du fait d’un trop grand nombre de dossiers à traiter en peu de temps).
Le lien de causalité entre irresponsabilité et mauvaise gestion est un des plus sûr facteur d’inefficacité des bureaucraties.
3 - L’État doit faire ce qu’il est le seul à pouvoir faire. Le succès des entreprises dépend de 2 sortes de facteurs. Les uns sont positifs, concrets, spéciaux à chaque cas : investissements judicieux ; bons produits ; etc. Les autres sont négatifs et uniformes : rien ne doit venir contrarier les facteurs positifs ; aucun fléau ne doit venir annuler les avantages réunis par les hommes. Or, la lutte contre les facteurs négatifs met en jeu l’État. Il doit protéger l’environnement, tant la santé que les libertés, la végétation que l’architecture en formulant les réglementations et normes techniques applicables ; et favoriser le travail et le plein emploi des équipements par une politique fiscale adaptée et une gestion du change en relation avec l’État de la balance des paiements courants.
III - LA DYNAMIQUE MONÉTAIRE
Depuis au moins 2 siècles, de profonds désordres monétaires se sont constatés au sein des économies occidentales. Ils se sont caractérisés par des fluctuations considérables de la valeur réelle de la monnaie, par l’impossibilité de calculs économiques corrects, par une répartition des revenus très inéquitable, par des taux de chômage éthiquement inacceptables, par une tendance permanente à spolier les épargnants individuels. Le système financier transnational est générateur de déséquilibres : il donne naissance à un affairisme malsain et à une spéculation effrénée.
• A - À l’origine des crises
Toutes les crises du XIXe siècle et du XXe siècle, la grande dépression de 1929, toutes les crises des monnaies sur le plan international, ont tiré leur origine des soi-disant “miracles du crédit” et de la multiplication abusive des moyens de paiement au seul profit de certains. La monnaie contemporaine est débarassée de tout support matériel. Elle repose sur la seule confiance. La création de moyens de paiement ex nihilo par simple jeu d’écritures bancaires est assimilé par le prix Nobel à une association de faux monnayeurs.
Qu’il s’agisse des taux de change ou des cours des actions, on constate une dissociation entre les données de l’économie réelle et les cours nominaux déterminés par la spéculation qui est permise, alimentée et amplifiée par le crédit tel qu’il fonctionne actuellement. Alors que dans un cadre institutionnel approprié la spéculation serait utile et stabilisante, elle est actuellement déstabilisatrice et nocive. C’est l’importance des flux financiers spéculatifs qui explique l’extraordinaire instabilité des cours du dollar. C’est le développement de l’endettement sur le plan international, avec utilisation mondiale du dollar comme unité de valeur, qui permet au niveau de vie moyen américain de se maintenir à une valeur de 3% plus élevée que celle qu’il aurait dans une situation d’équilibre.
• B - L’impôt sur le capital et la réforme monétaire
Afin de rendre équitable la distribution des revenus et de diminuer considérablement l’ampleur des fluctuations, l’auteur propose une réforme de la fiscalité accompagnée d’une généralisation de l’indexation, ainsi qu’un ensemble de modifications dans le fonctionnement du secteur monétaire et financier.
1 - L’Impôt sur le capital et l’indexation généralisée (4)
La mise en place d’un impôt sur le capital s’accompagne d’une suppression de l’impôt sur le revenu, des impôts sur les bénéfices et de ceux qui frappent les mutations. Le capital taxé s’entend “valeur des seuls biens physiques”.
Cet impôt payé par toute personne physique ou morale serait exigible dès qu’existe une appropriation des biens physiques, que ces biens procurent ou non un revenu effectif. Le taux de cet impôt annuel serait de l’ordre de 2%. Il ne frapperait finalement que les intérêts et les rentes. Son incidence directe serait nulle : aucune modification de l’investissement, des prix des actifs, ni de l’offre de capital. Indirectement, cet impôt n’affectant pas les entrepreneurs dynamiques, il pousserait à investir et accroîtrait l’efficacité globale de l’économie.
La réforme de la fiscalité forme l’un des volets d’une réforme d’ensemble dont les 2 autres touchent d’une part au système du crédit, pour s’opposer à la création ex nihilo de moyens de paiement par les banques, d’autre part à l’indexation généralisée de tous les engagements sur l’avenir. L’efficacité de l’économie (et la justice) impliquent que les engagements soient respectés et que ni les créanciers ni les débiteurs ne soient spoliés. Cela est réalisé si tous les contractants sont protégés contre les variations annuelles du pouvoir d’achat de la monnaie. Ces mesures d’indexation, utilisant le déflateur du produit national brut nominal, vaudraient pour les barèmes de la fiscalité, pour les bilans des entreprises, pour les salaires.
2 - Réforme monétaire et financière (5)
a) Toute réforme du crédit doit s’appuyer sur 2 principes fondamentaux :
Le domaine de la création monétaire relève de l’État et de l’État seul auquel on donne une maîtrise totale de la masse monétaire.
Il convient d’éviter toute création monétaire autre que la monnaie de base de manière que toute dépense trouve son origine dans un revenu effectivement gagné.
Les fonctions bancaires devraient donc être réparties entre 2 types d’établissements :
Les banques de dépôt assureraient la garde des dépôts en monnaie de base et effectueraient les paiements de leurs clients. Leurs services seraient facturés. Sur elles pèserait la contrainte d’une couverture intégrale des dépôts en monnaie de base.
Les banques de prêts respecteraient une règle de gestion précise : tout prêt d’un terme donné serait financé à partir d’un emprunt de terme au moins aussi long.
Ces réformes supprimeraient tout déséquilibre résultant d’un financement d’investissement à long terme à partir d’emprunts à court terme. La masse monétaire croîtrait au taux souhaité par les Autorités et le parlement contrôlerait facilement la politique suivie. La collectivité bénéficierait des gains provenant de la création de monnaie et allègerait les impôts existants. Tout paiement et encaissement n’aurait de valeur légale que s’il était effectué par l’intermédiaire de banques de dépôts (françaises ou étrangères) soumises à la législation nationale.
b) La réforme des marchés boursiers est devenue fondamentale pour éviter les fluctuations conjoncturelles destructrices dont leur fonctionnement actuel est responsable. Ce système n’est profitable qu’à quelques mafias.
Si les offres publiques d’achat sont utiles, il est anormal qu’elles puissent être financées par des moyens de paiement créés ex nihilo. Cela doit être rendu impossible.
La spéculation est utile si les positions à terme sont garanties par des marges suffisantes. Ces marges doivent être augmentées et consister en liquidités.
La cotation continue des cours est une escroquerie. Elle sert uniquement à favoriser la manipulation des marchés. On la remplacera par un véritable marché journalier de chaque valeur, dégageant un prix pour chaque titre.
Enfin, au niveau international, le dollar doit être abandonné au profit de la création d’une unité de compte commune.
IV - ASSOMPTION DE L’EUROPE
L’Europe actuelle a réalisé une harmonisation bureaucratique et centralisatrice des cadres institutionnels des économies européennes. Les institutions bancaires et financières, les législations boursières ont été harmonisées sous l’influence des professionnels de la finance qui tirent de très grands profits du fonctionnement actuel de ces institutions. De plus, les européens ont imité les américains dont l’influence n’a cessé de croître. La finance a donc imposé sa conception a priori, arbitraire, d’une planification centralisée de toute cette sphère.
À l’inverse de cette dérive totalitaire, l’objectif à réaliser est une Europe Économique, Politique et Culturelle fondée sur des bases réalistes. Le but final, une Communauté Européenne, est à poursuivre régulièrement par la mise en place d’institutions communes minimales dans les 3 dimensions. Ainsi, les diversités pourraient se maintenir et l’accueil d’autres pays de la zone interviendrait sans difficultés dès que les conditions politiques et économiques de cette intégration seraient remplies.
Deux erreurs majeures ont été commises :
Négliger les questions politiques et culturelles.
Donner à l’organisation de Bruxelles des pouvoirs excessifs à partir desquels des technocrates prennent des décisions irréalistes et irresponsables.
M. Allais affirme que l’objectif à poursuivre est de réaliser en plusieurs étapes une Europe fédérale avec des institutions politiques communes disposant de pouvoirs limités mais réels (6). La première étape est de réaliser une Communauté Politique, Économique et Culturelle dans le cadre actuel de l’Europe des 15. La seconde étape sera d’intégrer les pays de l’Europe de l’Est à mesure qu’ils auront réalisé à l’intérieur de leurs frontières les conditions d’une réelle économie de marchés.
• A - La Communauté politique européenne
Une Communauté Politique Européenne implique tout d’abord que les nations acceptent de régler leurs différends sur la base d’une loi commune acceptée par tous et selon une procédure préétablie. Elle implique l’institution d’une Citoyenneté Commune (sans perte des nationalités d’origine) et la constitution d’une Autorité Politique Commune, aux pouvoirs réels mais limités fondés sur la légitimité populaire.
1 - Des Institutions démocratiques
L’organisation d’une société démocratique est toujours aussi décentralisée que possible et la centralisation se limite au minimum indispensable. Aussi, chaque État a simultanément à rétrocéder un maximum de droits aux régions et à transférer à l’Autorité Politique Européenne ceux qu’implique la poursuite en commun des objectifs communs.
La meilleure orientation est une Fédération des Peuples d’Europe qui transcende les États en créant un pouvoir qui en est indépendant et dont la légitimité émane des peuples. Les meilleures institutions, dans la situation présente, pourraient raisonnablement être les suivantes :
Le Parlement Européen. Il regrouperait 2 Chambres : Une Chambre des députés élue au suffrage universel direct ; un Sénat représentatif des États membres. La Chambre des députés existe déjà : l’actuel Parlement de Strasbourg, élu au suffrage universel direct. Le Sénat, à créer, représentatif des États, serait élu par les Parlements nationaux.
Le Conseil Exécutif Européen remplacerait l’actuelle Commission Européenne. Il pourrait comporter quarante ministres siégeant en permanence et n’exerçant aucune autre fonction. Il serait responsable de son action devant le Parlement européen.
Le Président de la Communauté Européenne ainsi qu’un Vice-Président seraient élus par le Parlement Européen. Ce Président veillerait au respect de la constitution Européenne. Il désignerait le Président du Conseil Exécutif Européen qui choisirait les ministres parmi les membres du Parlement.
Cour Constitutionnelle et Cour de Justice. La Cour Constitutionnelle examinerait les recours de tout citoyen, de toute minorité, contre toute loi ou décision contraire aux dispositions expresses de la Constitution. La Cour de Justice, qui existe déjà, serait compétente uniquement pour l’interprétation des lois et règlements communautaires pris en application de la Constitution.
Création d’un Conseil Fédéral Européen, réunissant :
Les chefs d’État et de gouvernement des États membres.
Les présidents et vice-présidents de la Communauté, de la Chambre européenne des députés, du Sénat, du Conseil Exécutif Européen. Cet organisme assurerait la coordination entre les États et la Communauté, améliorerait la concertation. Par ex., ce Conseil donnerait son avis, en seconde lecture, sur les lois proposées par le Parlement Européen. Mais, principalement, ce Conseil serait seul compétent en matière de politique étrangère et de défense.
2 - La Constitution Fédérale Européenne
Toute Constitution Fédérale repose sur le principe de subsidiarité. Une Communauté est chargée des tâches d’intérêt commun qu’elle seule peut mettre en œuvre efficacement. Un État conserve donc toutes les compétences qui n’ont qu’un caractère national et qu’il peut gérer plus efficacement lui-même. Symétriquement, les pouvoirs donnés à la Communauté Européenne se limitent à ce minimum de pouvoirs qu’implique la poursuite efficace en commun des objectifs communs. Ce principe Fédéral est garanti par la Cour Constitutionnelle Européenne que chaque État ou instance peut saisir. La Constitution Européenne préciserait les pouvoirs respectifs des Institutions de la Communauté et du Conseil fédéral. Elle préciserait les pouvoirs de l’exécutif, du législatif, du judicière. Elle serait précédée d’une “Déclaration des Droits et des Devoirs des citoyens” et introduirait le référendum d’initiative populaire. Ainsi, les tâches fondamentales de la Communauté Européenne seraient au nombre de six (7) :
Lutte contre divers fléaux qui affectent l’ensemble de l’Europe : criminalité, violence, drogue, immigration et action en faveur de l’écologie européenne et des infrastructures. Tous ces points demandent une action commune à l’échelon de la Communauté Européenne.
Achèvement du grand marché européen, avec politiques communes de la concurrence, adaptation des règlementations et des normes techniques nationales, contrôles sanitaires des produits, bref tout ce qui met en cause plusieurs pays membres.
Monnaie unique avec Banque Centrale indépendante chargée de la stabilité monétaire dont elle serait responsable devant le Parlement Européen.
Établissement d’une Citoyenneté Commune et Déclaration commune des Droits et Devoirs fondamentaux des citoyens européens.
Politique étrangère commune, couvrant notamment la paix, la sécurité et le contrôle des armements devant aboutir à une Communauté Européenne de Défense.
Un Territoire Fédéral, propre à la Communauté Européenne, accueillerait les Institutions. Situé sur plusieurs frontières simultanément, ce territoire “EUROPA” de 400 km2 remplirait le rôle de capitale.
• B - La communauté économique européenne
Aucun auteur, aucun organisme ne cherche à étudier en détail les composantes du chômage en Europe. Les conceptions en ce domaine sont très superficielles et fort éloignées de la volonté de clarté. Soit il est affirmé que tout est complexe et qu'on ne peut rien dire d'autre que "réduisons les salaires" pour réduire le chômage. Soit, comme à la Banque mondiale par exemple, on affirme dogmatiquement qu'il convient d'aller toujours dans la même direction.
M. Allais cherche à comprendre les causes du chômage, à expliquer son accroissement puis à tester les explications. Il cherche aussi à proposer une analyse des tendances en ne retenant, comme dans toute réflexion pertinente, que les facteurs essentiels ; et en sachant qu'il ne s'agira jamais d'une description exhaustive. Car tant l’attitude de l’Europe à l’égard de l’extérieur que les réformes internes dépendent d’une bonne compréhension de ce qui cause ce chômage massif, destructeur de vies et de notre civilisation.
1 - Le sous-emploi massif, conséquence du libre-échangisme
M. Allais affirme, après une analyse minutieuse et des développements précis du cas français (8), que 5 facteurs d'importance différente expliquent le chômage : la protection sociale ; le libre-échange ; l’immigration ; le progrès technique ; la conjoncture.
Ces composantes du sous-emploi, sur la période 1995-1997, sont évidemment des ordres de grandeur dont l'erreur relative sur chaque poste est de + ou - 20%. Mais on a les lignes directrices.
ESTIMATIONS :
Structure de la politique sociale : 24,5%
Libre-échange mondialiste : 50,7%
Immigration extra-européenne : 17 %
Progrès technologique : 5, 2%
Situation conjoncturelle : 2, 6%
La politique libre-échangiste sans limite menée à Bruxelles a des conséquences inéluctables : une augmentation considérable des inégalités sociales ; un chômage majeur ; un effondrement de notre civilisation, désindustrialisée, désœuvrée, démoralisée. Le libre-échangisme est un dogme qui repose sur des croyances faussement présentées comme des connaissances scientifiques. Le principe des avantages comparatifs au nom duquel on justifie ce libre-échangisme est inexistant de par le fait que les différences de coûts comparatifs ne restent pas invariables dans le temps, qu’elles sont contingentes aux taux de change utilisés, qu’elles se devraient de réintégrer tous les coûts indirects des spécialisations détruites. Compte tenu des très fortes distorsions introduites par les cours de change, M. Allais préconise une libéralisation des échanges dans le cadre d’ensemble régionaux économiquement et politiquement associés et, inversement, de se protéger raisonnablement vis-à-vis des autres pays.
2 - La préférence communautaire (9)
La Communauté européenne doit comporter une protection raisonnable vis-à-vis de l’extérieur. Il s’agit de protéger efficacement les intérêts communs fondamentaux des pays membres car les spécialisations économiques impliquées par la libéralisation des échanges sont fragiles et changeantes, de sorte que certaines activités qui paraissent non rentables à un instant donné peuvent le redevenir quelques années plus tard. Évitons de soumettre l’ensemble des hommes et de leurs activités aux aléas d’un libre-échangisme mal construit, dont seuls profitent quelques oligarchies. La protection vise à assurer un approvisionnement régulier en matières premières, à maintenir une palette d’industries qui, soumises au progrès technique, voient leur compétitivité fluctuer selon des prix et des coûts peu significatifs, voire même totalement manipulés comme les taux de change. Il n’est pas souhaitable de voir disparaître l’industrie textile, la sidérurgie, la construction navale,... ni de délocaliser alors que la stabilité des pays n’est pas assurée, que les conditions qui prévaudront ultérieurement, tant en Europe qu’à l’étranger, sont inconnues.
La protection du marché agricole européen vis à vis du vaste monde est fondamentalement justifiée. Une agriculture européenne est économiquement, sociologiquement et culturellement vitale. Sa disparition compromettrait la sécurité de l’Europe en matière alimentaire. La libéralisation totale des échanges n’est possible, sans éradication des activités ni paupérisation des personnes, que dans le cadre d’ensembles régionaux, groupant des pays de développement économique et social comparable et de fondements culturels associés. Pour parvenir à ce but, la protection à la fois réaliste et efficace utilisera les contingents d’importations. Les licences d’importation se vendent aux enchères. Dans chaque secteur, un pourcentage de 20% maximum de la consommation communautaire serait assuré par des importations. Ces éléments permettraient le développement d’une zone de civilisation qui, depuis la Renaissance puis le XVIIIe siècle, repose sur une culture commune véhiculée par le Grec et le Latin, avec des schémas mentaux associés à la philosophie, à la politique, à l’administration et au droit romain. Ce fonds culturel commun mérite d’être approfondi, amélioré, afin qu’émerge un véritable esprit européen.
CONCLUSION : lutte contre les fossoyeurs de l’EUROPE
L’œuvre de M. Allais dégage une grand cohérence. Sa pensée illustre la grandeur de l’Europe, notamment son renouveau depuis la Renaissance : la connaissance y est fondamentale car, tirée de l’expérience, elle permet tout à la fois de réformer les structures de la vie en société et d’entretenir la capacité de l’homme à raisonner en remettant en cause les vérités établies ou “révélées”. Devant la situation instable qui se constate aujourd’hui dans le monde : démographie excessive ; finance prédatrice ; pouvoir totalitaire de mafias usant de la violence économique et du crime judiciaire, les Européens ont à prendre conscience de l’urgence d’une Construction Européenne Économique, Politique et Culturelle. Humaniste et esprit libre, Maurice Allais balise la route de notre libération de toutes les servitudes. Que son œuvre éclaire nombre de “bons européens” !
Frédéric VALENTIN, 2000. http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2008/04/13/m-allais-l-economie-humaniste.html
Notes :
1 - M. Allais : Autoportraits : Une vie, une œuvre, Montchrestien, 1989, Chap. 3.
2 - M. Allais : La mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance, Cl.Juglar, 1999, p. 464.
3 - M. Allais : « La théorie générale des Surplus », Économies et Sociétés, Série EM n°8, janv. - mars 1981, n° 1-2-3.
4 - M. Allais : L’impôt sur le capital et la réforme monétaire, Hermann, 1989.
5 - M. Allais : « Les conditions monétaires d’une économie de marchés », Revue d’Économie Politique, mai-juin 1993, pp. 320-367.
6 - M. Allais : L’Europe face à son avenir : que faire ?, R. Laffont / Cl. Juglar, 1991. p. 37.
7 - M. Allais : L’Europe face à son avenir, op.cit., p.70.
8 - En France, support d’une analyse tout à fait générale, M. Allais rappelle :
Le taux de croissance moyen du Produit Intérieur Brut (PIB) de 1974 à 1997 a été de 2,3%.
Le sous-emploi depuis 1993 s'accroît de 240.000 personnes par an en moyenne (le sous-emploi mesure le chômage tel qu'il est calculé par le Bureau International du Travail plus l'ensemble des personnes qui bénéficient des dispositifs de la politique de l'emploi).
Le taux de croissance du PIB réel par habitant (revenu par tête) a augmenté de 1,8% par an en moyenne entre 1974 et 1997
Le nombre de salariés payés au SMIC a augmenté de 50% de 1995 à 1999.
9 - M. Allais : Combats pour l’Europe, Cl. Juglar, 1994. Chapitre VIII : repenser la construction européenne.