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Gilets jaunes : la Justice, auxiliaire de police (févr 2019)

Les forces de l’ordre ne sont pas les seules à matraquer les Gilets jaune. La justice y va aussi de bon coeur, poussé par le pouvoir, qui se vante du nombre record d’arrestations et de condamnations. Mais si les droits de la défense sont mis à mal, ils ne sont pas les seuls visés. M Macron veut aussi mettre au pas la presse et internet.

Tabassé à la sortie d'une boîte de nuit, Nathan, devenu infirme, a fait face à ses deux agresseurs au tribunal Ali a écopé de trois ans de prison dont deux avec sursis, Nordin, trois ans avec sursis intégral. Les faits se sont déroulés en 2015, le verdict a été rendu mi-février 2018. Au même moment, l'ancien boxeur Christophe Dettinger était condamné à deux ans et demi, dont un an ferme en semi-liberté pour avoir frappé deux gendarmes, le 15 janvier dernier, lors d'une manif de Gilets jaunes (GJ). Les pandores en armure avaient bénéficié de 15 jours d'arrêt de travail pour l'un, de deux jours d'ITT pour l'autre.

Deux poids, deux mesures ? Boris Faure, le député PS qui s'est fait défoncer le crâne à coups de casque par son collègue LREM M'Jid El Guerrab, confirme « Il aura fallu un mois et dix jours à la justice pour condamner Christophe Dettinger. Plus d'un an et six mois après mon agression, j'attends encore la fin de l'instruction. »

La justice est devenue une auxiliaire précieuse dans le maintien de l'ordre. Qu'on en juge 8 400 GJ interpellés depuis le début du mouvement. Parmi eux, 7 500 gardes à vue (GAV), 1 800 condamnations, environ 1 500 en attente de jugement et 316 personnes incarcérées.

Des chiffres qui conduisent l'avocat Régis de Castelnau à affirmer qu'il faut remonter à la guerre d'Algérie pour voir pareille répression. Il pointe du doigt les « raccourcis, les illégalités » qu'il a fallu mettre en œuvre pour rendre des jugements dans des « délais aussi courts ».

Le parquet fiche même les innocents !

Il dénonce aussi « des parquets qui créent des cellules spéciales pour poursuivre les GJ des juges qui statuent sur la base du volontariat ». Avec une soixantaine de ses confrères, il a signé le 2 février une tribune dénonçant les graves dérives de la justice. On y apprend que de nombreux GJ ont été dissuadés de faire appel à un avocat, on y découvre « des poursuites pour des motifs saugrenus », des contrôles judiciaires délirants interdisant aux personnes de se rendre dans la ville où ils travaillent, le tout pour des personnes sans aucun antécédent. Bref, les avocats s'alarment d'une « sévérité pénale manifestement souvent inadaptée ».

Les "baveux" exagèrent-ils ? Que penser alors de cet homme interpellé le 14 février à Tarbes pour avoir posté sur Facebook des manifs de GJ non déclarées ? Ou de ces deux Bretons jugés fin janvier sans même avoir manifesté, ne serait-ce que l'intention de manifester ? Ou de ce GJ condamné à Béziers à un an ferme pour « obstruction à la circulation, vol de barrières de péage et destruction de matériel » ? Ou de ce Marseillais qui a pris quatre mois ferme pour un jet de pot de rillettes sur la police ? Une disproportion flagrante des peines avec ce qui se pratique couramment… Sans parler des stars du mouvement, comme Éric Drouet, qui a pris un mois avec sursis pour organisation illégale de manifestations ou à l'inverse, Jérôme Rodrigues qui voit l'instruction pour son énucléation par la police piétiner.

La tribune dénonce aussi la docilité des juges aux injonctions de l'exécutif à apporter des « réponses pénales fermes », prononcées en flagrante contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs. Un principe qui ne gêne pas le parquet de Paris, nous apprend le Canard Enchaîné du 30 janvier. Dans ses consignes aux magistrats, il recommande de ne lever les GAV des personnes arrêtées les samedis que le soir ou le lendemain et de les inscrire au fichier TAJ (traitement des antécédents judiciaires) même si les « faits ne sont pas constitués », « ténus », ou en cas « d'irrégularité de procédure ». Une inscription qui vous colle à la peau et qui vous classe immédiatement comme suspect au moindre contrôle de police.

Voilà une manie du fichage qui complète agréablement celle que le palmipède révélait une semaine auparavant le SCRT (renseignement territorial) a été chargé début janvier de ficher les GJ. Tout est dans cette base non déclarée à la CNIL, centralisée place Beauvau « implication associative, médiatique, influence sur les réseaux sociaux. » Outre le contrôle des opposants au régime de l'Elysée, il permet d'identifier les possibles balances avec lesquelles « un contact avec le service » est établi ou « envisageable ». Une instruction appliquée avec zèle, si l'on en croit l'histoire de ce retraité du Val d'Oise, qui a vu débarquer deux agents du renseignement intérieur après avoir apporté la contribution de son groupe Facebook au Grand débat ! En plus du renseignement de terrain, ce seraient au moins 150 GJ qui seraient espionnés sur Internet ou mis sur écoute.

Retour au régime de Vichy

Cette petite liste vient en tout cas à point nommé pour préparer le terrain à la loi « anticasseurs », votée à l'Assemblée le 5 février, et dont l'une des mesures-phares est l'interdiction administrative de manifester. En clair, ce n'est plus un juge, mais un préfet, émanation de l'exécutif, qui pourra défendre à « toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses dépenser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public » de manifester. La mesure s'étend à celui qui appartient « à un groupe ou entre en relation de manière régulière avec des individus incitant, facilitant ou participant à la commission de ces mêmes faits ». En clair, le simple fait de suivre un leader GJ sur Facebook peut vous bannir de toute manif. Cela s'appelle la présomption de culpabilité.

Et recevoir une interdiction de manifester vous vaudra inscription au fichier des personnes recherchées (FPR), dont l'une des 21 rubriques sont les fameuses fiches « S ». Bref, si vous êtes actif sur Internet ou sur les ronds-points, vous atterrissez sur le fichier clandestin du SCRT. Arrêtés préventivement, vous voilà sur le fichier TAJ et si le préfet décide de vous interdire de manif, pour le même prix, vous voilà aussi inscrit au FPR ! Quand le député « centriste » Charles de Courson, fils de résistant et petit-fils d'un des 80 députés à ne pas avoir voté les pleins pouvoirs à Pétain, s'est levé en plein débat sur la loi « anticasseurs » pour déclarer « Mais c'est la dérive complète ! On se croit revenu sous le régime de Vichy ! », il pesait ses mots.

l'UE et l'ONU inquiètes

La volonté de contrôler l'opposition est manifeste, d'autant que l'arsenal législatif est déjà assez étoffé pour traiter les « quelques centaines de personnes », les vrais casseurs, que Castaner brandit pour écarter le spectre du fichage et de la répression de masse. On a d'autant plus de mal à le croire que la volonté de les arrêter, ces casseurs, fait singulièrement défaut. Les exemples abondent, mais celui de l'anarchiste qui a brûlé une voiture de Vigipirate lors de l'acte XIII du 8 février est marquant. Pendant quatre heures, ce jeune homme connu de la police et de la justice a été filé, photographié, lors de la casse ou l'incendie de magasins, abribus et voitures, d'agressions de policiers. Il ne sera appréhendé qu'une fois sa journée de vandalisme finie. Motif ? Refus de la hiérarchie de l'arrêter, les brigades d'intervention étant trop occupées ailleurs. sans doute à traquer des GJ pacifiques ?

Car en attendant, la répression policière et judiciaire des GJ a fini par susciter l'émoi international. Le 14 février, le parlement européen s'inquiétait du « recours à des interventions violentes et disproportionnées par les autorités publiques lors de protestations et de manifestations pacifiques ». Le lendemain, c’est un groupe d'experts des droits de l'homme de l'ONU qui dénonçait « les restrictions imposées aux droits [qui] ont également entraîné un nombre élevé d'interpellations et de gardes à vue […] ainsi que des blessures graves ».

Bref, après les Gilets jaunes, c'est le pouvoir qui se retrouve dans le collimateur. Juste retour des choses.

Richard Dalleau monde&vie 28 février 2019

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