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Aéroports de Paris : le cadeau du Prince

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C’est passé (presque) les députés en Marche ont voté la privatisation des Aéroport de Paris (ADP). Sous ce sigle familier aux grands voyageurs se cache la grosse machine qui gère Roissy et Orly après les autoroutes, les aéroports. Mais pourquoi diable ?

C’était il y a deux mois au : Sénat, on attendait anxieusement le projet de loi sur la privatisation des Aéroports de Paris (ADP). Dans le cadre du texte « Pacte », les sénateurs devaient se prononcer sur l'ouverture du capital que l'Etat possède encore à des actionnaires privés. Rompant avec la doxa chiraco-balladurienne des privatisations, les sénateurs ont dit non. C'était la position officielle de Bruno Retailleau et du groupe LR : résister à Macron. Malgré ce baroud d'honneur, l'Assemblée nationale s'est employée à corriger l’affront. Les marcheurs, eux, sont pour la privatisation. C'est dans leurs gènes. Encore un cas où est patente la collusion entre les très hauts-fonctionnaires et les chefs des grandes entreprises, collusion public-privé qui explique, en partie, l'origine du phénomène Macron.

Certes, d'ores et déjà, les ADP ne sont plus totalement aux mains de l'État. Fini le temps où c'était un établissement public (un service public disposant d'une personnalité morale) : c'est aujourd'hui une société anonyme, encore contrôlée à 50,6% par l'État. Privatiser le reste ? Pourtant, d'après les exemples récents, cela n'a pas tant de succès économique... pour l'État. Chacun peut constater le piètre exemple de la privatisation des autoroutes de France en 2006. L'État s'était ainsi privé d'une manne juteuse ; les sociétés concessionnaires d'autoroute avaient récupéré plus en dividendes que ce qu'elles avaient versé initialement aux pouvoirs publics. Sur ce point, avec le développement du trafic aérien, les prévisions d'ADP sont très positives pour les années à venir : le cours de l'action ADP a plus que doublé en cinq ans, et ce n'est sûrement pas fini. Enfin, la privatisation de certains aéroports, comme celui de Toulouse-Blagnac, qui a eu lieu quand Macron était à Bercy, est un fiasco selon la Cour des comptes.

On se demande alors quelle mouche a piqué nos gouvernants, alors que le monde entier présente une expérience contrastée en la matière, à part les Anglais, qui ont donné les clés de l'aéroport d'Heathrow (Londres) à une société privée, la plupart des États occidentaux gardent jalousement le contrôle de ces entités. L'aéroport privatisé n'est donc pas la norme. Même aux États-Unis. Le libéralisme de l'Oncle Sam s'accommode bien d'un respect sourcilleux de l'intérêt national. Ce n'est que dans les pays en voie de développement que les capitaux privés ont mis la main sur les aéroports. Dans beaucoup de pays, l'aéroport représente, à juste titre, un instrument de souveraineté et pas seulement une question d'intendance. L'aéroport, c'est une fenêtre extérieure pour un pays, plus qu'une simple infrastructure. C'est aussi une manière de gérer ses flux avec l'étranger. En gros, un instrument indispensable dans toute politique migratoire. Il n'y a qu'à Bercy où l'on y voit des fonds de tiroir pour financer les caisses de l'État. Un peu court.

La griffe de Vinci

On reproche à l'État de disposer d'un monopole indu. Mais en France, dans le domaine des transports, on est loin de la concurrence pure et parfaite. Peu de sociétés contrôlent beaucoup de choses dans le secteur. En réalité, il n'y en a qu'une... On retrouve surtout la patte de Vinci, ce gros opérateur, qui gère aussi bien des concessions d'autoroutes, une ligne de chemin de fer à grande vitesse (Paris-Bordeaux) que des parkings... mais aussi 8% du capital des ADP avec Vinci Airports ! Le loup est déjà dans la bergerie qu’il convoite. Le contrôle total sur les ADP pourrait être leur prochaine cible. Pourquoi Macron y tient-il ? Il y a quelques mois, il a dit non à l'aéroport Notre-Dame-des-Landes en cédant devant les zadistes. La crédibilité de Jupiter, bien avant la crise des Gilets jaunes, a déjà été touchée. Vinci chercherait une compensation. Le prince envisagerait ainsi de faire un « cadeau » à des gens qu'il connaît très bien. Autre élément trouble : Bernard Mourad, un soutien de Macron pendant la présidentielle, s'occupe de la Bank of America qui assure la transaction de cette privatisation. Trop de zones d'ombre dans ce chantier, dont le gain pour l'État est loin d'être mirobolant. La cession ne rapporterait que 9 milliards d'euros. À titre de comparaison, c'est le coût des mesures envisagées pour les Gilets jaunes. Par ailleurs, il faudrait aussi indemniser les actionnaires actuels, ce qui rend aléatoire l'estimation de ce gain. Enfin, sur le long terme, une concession de 70 ans ne tient pas compte des éventuelles évolutions et des bouleversements. Ce serait dommage de priver le pouvoir politique d'un instrument privilégié sensible aux innovations. Il peut se passer beaucoup de choses, comme il s'en est passé énormément depuis ces 70 dernières années. Le flot de voyageurs n'est pas forcément appelé à se tarir. On ne comprend pas pourquoi le long terme est si peu pris en compte par des praticiens de la comptabilité.

Pourtant, la privatisation est tout sauf un acte purement économique. Et si on changeait; de logiciel ? La route du ciel, cela doit rester sacré. Même pour Jupiter.

François Hoffman monde&vie 11 avril 2019

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