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Les deux populismes

Numériser.jpegLes experts es Sciences politiques s'exercent à construire rhétorique-ment un monstre, contre lequel ils appellent à la haine, en le nommant « populisme » ou même, comme Ilvo Diamant! et Marc Lazar, « peuplecratie », c'est-à-dire, dans leur langue italienne d'origine, ce mixte inélégant de latin et de grec « popolocratia ». Pouvoir du peuple ? Peuple au pouvoir ? Dictature du référendum ? Exaltation autoritaire d'une identité fantasmée ? "Nous" contre "les autres" ? Le populisme vu par les experts, c'est un peu tout cela une horreur. Un anti-modèle que l'on peut stigmatiser tranquillement sans jamais être injuste. Une figurine spécialement fabriquée pour aimanter toutes les fléchettes, pour mériter toutes les critiques. Viviane Forester parlait de « l'horreur économique ». Le populisme aujourd'hui serait, sans qu'il y ait besoin de plus ample examen, « l'horreur politique ». Comment expliquer cette inflation médiatique des qualificatifs négatifs au sujet d'une réalité politique que personne (et pas même les spécialistes) ne se donnent la peine de définir « C'est l'un des mots les plus cornus de la science politique, un terme exceptionnellement vague » note par exemple la professeure de théorie politique Margaret Canovan. Nous comprenons très bien pourquoi ce vague et ce flou parce que le populiste, c'est l'autre, celui qui n'est pas en accord avec le système quoi qu'il pense. Celui donc que les tenants du système ne peuvent que détester, sans même éprouver le besoin de savoir ce qu'il pense.

Il y a un populisme détestable et dangereux, celui qui fait du peuple une icône, pour le sacraliser, après lui avoir remis l'essentiel du pouvoir. Dormez bonnes gens, le peuple veille ! Si l'on donne cette définition du populisme, il faut reconnaître que le premier populiste, historiquement, est le fameux Père Duchesne, Jacques-René Hébert, pour ne pas le nommer, qui éclatait en «foutre» et « va te faire foutre », au nom du peuple dont le Père Duchesne était devenu le personnage emblématique. D'où vient cette substantification du peuple ? Hébert n'en est pas l'inventeur, mais bien Jean-Jacques Rousseau bien sûr, qui le premier a théorisé le pouvoir du peuple et la religion du peuple. Cette substantification du peuple permet aux ventriloques qui usurpent sa personnalité de s'écrier en son Heure et place « Qui n'est pas avec moi est contre moi ». La modernité politique est fondée sur ce non-dit la divinisation du peuple, qui devient la seule loi absolue, celle que l'on doit respecter en tout temps. Face à ce populisme révolutionnaire, Michel Onfray a raison de dire non, de s'opposer, de s'obstacler comme il sait le faire « Le populisme [cette pensée du peuple unanime] est le plus dangereux des narcotiques, le plus puissant des opiums, pour endormir et anéantir l'intelligence, la culture, la patience et l'effort conceptuel » ( Journal hédoniste, 1996).

Cela ne l'empêche pas, en 2018, alors qu'il s'en prend violemment au président Macron, de s'écrier « Oui, je suis un populiste, oui je suis un Zemmour de gauche ». A-t-il changé ? Je ne le pense pas. En réalité il y a deux populismes celui qu'analysent le duo italien d'Ilvo Diamanti et Marc Lazar, fondé sur l’absolutisation révolutionnaire du Peuple (ce que les auteurs appellent de façon laide et parlante la peuplecratie) et celui que revendiquent aujourd'hui Michel Onfray, Eric Zemmour et bien d'autres, qui n'est pas une absolutisation ou une divinisation du peuple, mais simplement une défense, une autodéfense d'un peuple qui ne veut pas crever. Il ne s'agit pas pour ce peuple de revendiquer le pouvoir tout le monde sait bien que le pouvoir du peuple, cela ne signifie rien. Des régimes totalitaires ont revendiqué cette expression, qui a souvent été liberticide. Le peuple aujourd'hui ne revendique pas le pouvoir mais le respect.

Le véritable populiste, aujourd'hui, ne cherche pas à constituer un État absolu au service d'une certaine idée du peuple. Il défend une certaine forme de liberté sociale, il défend des mœurs communes, une histoire culturelle commune, des références communes. Ce n'est pas un va-t-en guerre, mais un conservateur, qui a compris que le salut ne viendrait pas des partis, handicapés par leur lutte intestine, mais d'une conscience commune renouvelée. Si le populisme se manifeste d'abord dans cette conscience commune renouvelée, dans une nouvelle conscience du commun, dans une prise de conscience de ce qui nous unit, alors non seulement il n'est pas dangereux, mais il est salutaire. Au lieu de chercher à créer ce qui doit nous unir, en dérivant vers l'utopie (utopie consumériste universelle, utopie transhumaniste, ou, plus sombre, utopie survivaliste), il est urgent que nous revenions au réalisme, qui nous fera entreprendre l'inventaire de ce qui nous est commun, pour le faire fructifier. Ce populisme-là est d'instinct l'ennemi de tous les progressismes et autres idées en l'air, qui participe de ce rêve éveillé que l'on appelle l'avenir. Il croit dans la pérennité des racines qui ont fait le Français différent de tous les autres peuples. Il est fier de cette différence et toujours prêt à l'enrichir.

Abbé G. de Tanouarn monde&vie  23 mai 2019

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