Ce 16 janvier, le chef de l'État présentait aux armées ses vœux pour 2020. Il avait choisi pour cela la base aérienne 123 Orléans-Bricy. Il y annonça que la France s'apprêtait à envoyer au Levant le porte-avions Charles-De-Gaulle et son groupe aéronaval, dont le porte-hélicoptères amphibie Dixmude[1].
Jusqu'en 1946 l'expression Levant français désignait, de façon précise, les deux territoires sous mandat de la Société des Nations. La Syrie et le Liban avaient été confiés à la protection, bien incertaine[2], de Paris par la paix de Versailles, plus particulièrement par le traité de Sèvres (1920) qui fut révisé à Lausanne (1923). De cette paix, on ne mentionne pas beaucoup le centenaire, perdu dans la débauche quotidienne des anniversaires et autres éphémérides.
Aujourd'hui cette dénomination, destination de l'expédition, semble plus vague. On parle de soutenir de ce qui reste de la mission Chammal décidée en 2014 par François Hollande contre l'organisation État islamique. Plus probablement il s'agit de conforter, au moins symboliquement, l'Égypte. On soutient doublement ce pays : à la fois dans sa préoccupation d'enrayer les menaces d'intervention turque en faveur des Frères musulmans cantonnés en Libye ; et aussi dans l'exploitation des gisements gaziers auxquels est intéressé notre groupe pétrolier Total.
Non sans quelque réminiscence ironique on se souviendra de l'origine plus lointaine de cette estimable composante du CAC 40. Elle est elle-même issue du pourboire de 22,75 % accordé à la Française des Pétroles lorsque, de façon très légère et irresponsable, Clemenceau accorda, en décembre 2018, à Lloyd George, dans le cadre de l'élaboration du futur traité de Sèvres de 1920[3] le contrôle de la région de Mossoul, incorporée initialement dans la zone française des accords Sykes-Picot de mai 1916.
La république se préparerait-elle à combattre ? Les récentes interventions du Chef d'état-major des armées le général François Lecointre en appellent "au maintien d'une capacité d'intervention opérationnelle"[4]. Il rappelle la nécessité d'un esprit de Défense. Or, le niveau de moyens d'actions est gravement menacé. Les restrictions budgétaires se montrent constamment préoccupées de rogner les fonctions régaliennes pour sauver le niveau des démagogies sociales. Quant aux Européens, faisant le 22 janvier le tour des théâtres d’opérations où sont engagés nos soldats "ils sont là souvent, dit-il, mais pas de manière aussi engagée qu'on le souhaiterait (...) Au Sahel, je trouve l’Europe un peu longue à se mettre en branle."
Hélas, ces temps-ci et dans notre pays, le mot "mobilisation" n'est guère prononcé, en effet, que par la CGT. L'expression "mouvement social" veut dire, ce 24 janvier encore, paralysie des transports. On ne parle donc guère à l'opinion civile des opérations militaires. On ne croit plus à la guerre fraîche et joyeuse : on ne pense même plus possible le retour au temps des confrontations directes, sans même voir le nombre grandissant des conflits hybrides et des cyberguerres.
Si l'on consulte certains journaux étrangers, pourtant sérieux et documentés, on relève l'évocation d'un "bras de fer" qui se déroule, ou se déroulerait, entre la France et la Turquie en Méditerranée orientale. Et de noter qu'une escadre d'une dizaine de bâtiments accompagne ces jours-ci notre unique porte-avions nucléaire parti de Toulon.
Or, à ce jour, la presse parisienne ne s'y attarde pas. Cherchez l'erreur. Il y a un demi-siècle, Philippe de Saint-Robert, que le président de l'époque tenait pour le journaliste le plus intelligent de Paris pouvait intituler deux beaux livres de ses chroniques "Le Jeu de la France" et "le Jeu de la France en Méditerranée"[5].
Certes, au XIXe siècle Napoléon III avait fait de "Partant pour la Syrie" l'hymne officieux du second empire. L'impératrice Eugénie affectionnait particulièrement cette ode au "jeune et beau Dunois" [6]. On admirait ouvertement les Croisades. L'ancien carbonaro défendait l'existence des États pontificaux. On employait encore l'expression de Fille aînée de l'Église.
Dans la région du monde, vers laquelle notre flottille vient d'appareiller, la France de l'époque ne s'adressait pas en mauvais anglais à ses interlocuteurs. Ajoutons quand même, que, loin de s'enfermer dans son passé et dans l'immobilité, la même puissance réalisait le canal de Suez, rêve inassouvi des pharaons d'Égypte et de l'Empire romain.
Faut-il croire au retour de saint Louis et de Napoléon III ? Se souvient-on des conclusions de leurs aventures ? Ah comme on voudrait ne pas devoir douter, ne pas tromper surtout nos vrais amis, par de faux espoirs.
JG Malliarakis
Apostilles
[1] "Macron: la France va envoyer le porte-avions Charles-de-Gaulle et son groupe aéronaval au Levant".
[2] Dès les années 1930 le démantèlement des responsabilités d'un pays qui se voulut protecteur des chrétiens et des Kurdes se traduisit par la cession à la Turquie du sandjak d'Alexandrette cf. chapitre de mon livre "L'Alliance Staline Hitler".
[3] cf. à ce sujet l'article "L’Irak face aux questions religieuses et ethniques"par Gérard-François Dumont in Géostratégiques n° 44 avril 2015.
[4] "Le CEMA détaille sa vision de l'opération Barkhane".
[5] "Le Jeu de la France", Julliard, 1967 ; "Le Jeu de la France en Méditerranée"Julliard, 1970.
[6] cf. petite interprétation surannée à écouter sur You Tube.