Rien de ce qui concerne la Shoah n’est indifférent. Rien de ce qui se rapporte à la réalité de l’Holocauste n’a le droit d’être nié, et c’est normal. Rien de ce qui concerne les réactions à l’égard de la commémoration du 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz n’est à prendre à la légère.
Aussi, ce n’est pas banaliser cette incomparable – au sens propre – tragédie que de revenir sur un épisode du dimanche 26 janvier qui n’a pas suscité de réaction parce que, sans doute, il est apparu banal et conforme à ce qu’on était en droit d’attendre.
Pourtant, il me paraît mériter une analyse plus poussée, tant il révèle une contradiction entre l’honnêteté personnelle et l’engagement politique.
En effet, lors du « Grand Jury » sur LCI, une réponse du ministre Agnès Buzyn m’a alerté. Interrogé sur un tweet de Marine Le Pen se déclarant solidaire de l’hommage rendu à ces innombrables victimes et partageant l’indignation collective face à l’horreur, Agnès Buzyn a eu quelques secondes d’hésitation, comme si elle avait à résoudre un problème grave.
Auparavant, comme un bon petit soldat, elle avait affirmé que la mauvaise interprétation d’un propos du président de la République avait été faite et qu’en aucun cas celui-ci n’avait comparé la Shoah à la guerre d’Algérie. Ce qui, en effet, aurait été une absurdité et une indécence. Reste qu’Emmanuel Macron, tout à son prurit de repentances mémorielles tous azimuts, aurait été bien inspiré d’y résister en exaltant un futur qui dépendrait de lui plutôt que de battre notre coulpe sur le passé.
Mais revenons à l’indiscutable malaise d’Agnès Buzyn face au questionnement pourtant tout simple portant sur l’attitude de Marine Le Pen.
On aurait compris une approbation partielle et personnelle en même temps qu’une dénonciation globale du RN et de ce qui demeure encore en lui de tréfonds antisémites – sur ce plan, l’islamisme, aujourd’hui, est malheureusement indépassable -, fascistes et néonazis. Cette conviction, elle aurait eu toute latitude pour l’exprimer et elle n’aurait pas été en contradiction, au contraire, avec son hostilité profonde et son militantisme ministériel. Il n’aurait pas été scandaleux de sa part de prendre acte de ce tweet de Marine Le Pen – qui n’a jamais, pour le racisme et l’antisémitisme, emprunté les chemins sulfureux et choquants de son père – et de souligner, par ailleurs, le danger du RN. Il lui était loisible de concilier honnêteté et engagement. Impartialité et suspicion. Reconnaissance et combat.
Tous les téléspectateurs ont été témoins, lors de cette émission, d’une expression inverse dont on sentait, à cause de la réflexion prolongée, qu’elle ne coulait pas de source.
En effet, en refusant à Marine Le Pen un satisfecit élémentaire qui aurait dû être évident par pur opportunisme partisan et manœuvre politique – exclu de céder un pouce à la principale adversaire du pouvoir ! -, elle se mobilisait mais ne convainquait pas. Elle dégradait une cause capitale qui aurait dû être, en l’occurrence, de se féliciter, même du bout de l’esprit et du cœur, du consensus sur la condamnation de la Shoah et sur l’ignominie du camp d’Auschwitz. Il m’est apparu paradoxal que sa gêne montre que tout le monde n’était pas bienvenu au service de cet humanisme élémentaire – seulement récusé par les négationnistes dérangés – et d’une mémoire unie.
Ainsi, elle laissait entendre qu’on avait le devoir de dénoncer – c’est peu dire – l’Holocauste et les honteuses élucubrations le mettant en doute, ce qui était normal, mais que certains n’en avaient pas le droit, exclus soigneusement en raison de critères ciblés et impurs, ce qui était absurde. Une lutte universelle était mutilée dans son essence.
Je me souviens de la lucide décision du président de Sud Radio, Didier Maïsto, ayant mis fin au débat du jeudi avec Étienne Chouard parce que celui-ci, confus et à cause d’une oralité peu maîtrisée, n’avait pas signifié clairement qu’il n’était pas négationniste.
Il me semblerait peu honnête – et, en définitive, contre-productif – d’enjoindre une nécessaire rigueur contre les délirants de la négation mais de sélectionner abusivement et avec mauvaise foi les élus admis dans le camp du bien.
Je veux conclure sur l’exemple éclairant, il y a quelques années, d’Anne Sinclair. Celle-ci n’avait jamais invité Jean-Marie Le Pen dans son émission « 7 sur 7 » parce qu’il l’avait grossièrement insultée et qu’elle avait gagné le procès qu’elle avait intenté contre lui. Plus tard, dans un entretien, questionnée sur l’attitude qu’elle aurait adoptée face à Marine Le Pen, elle avait répondu qu’elle n’aurait pas eu la même attitude à l’égard de celle-ci qui avait toujours dénoncé le racisme et l’antisémitisme.
Anne Sinclair, ne faisant pas de politique, n’éprouvait aucun mal à prendre acte d’une réalité personnelle incontestable. Il me semble qu’Agnès Buzyn a fait le contraire et qu’ainsi, elle a rejeté de son camp honorable quelqu’un qui aurait dû y être accueilli. Et discrédité l’objectivité de son propos et l’équité de sa morale.
En un mot, Marine Le Pen est pestiférée même quand elle partage une indignation nécessaire avec tous. Aberrant.
Pourtant cette cause a besoin de tous.
Extrait de : Justice au Singulier