Par Paul Tormenen, juriste ♦ Le Président turc Erdogan a lancé fin février une véritable invasion migratoire de la Grèce et de l’Union européenne. Rompant les engagements pris en 2016, il pousse des migrants présents sur son territoire vers la frontière turque et bulgare. Face à cette agression, l’Union européenne apparait telle qu’en elle-même : irrésolue, faible, incapable de défendre ses intérêts. Les récentes mesures annoncées par la Commission européenne en faveur de la Turquie en sont une nouvelle illustration.
La capitulation de l’Union européenne peut être retracée en plusieurs actes, qui illustrent le désarmement moral de certains de nos dirigeants tant européens que nationaux.
Acte 1 : La chancelière Merkel ouvre la boite de Pandore
La guerre en Syrie et en Irak a entrainé à partir du milieu des années 2010 un afflux considérable de migrants en Europe. En mai 2015, l’Union européenne propose un système de répartition par quotas de 160 000 migrants arrivés sur le sol européen. Mais c’est surtout l’annonce en août 2015 par le gouvernement allemand qu’il se tient prêt à accueillir 800 000 demandeurs d’asile qui suscite un énorme mouvement de populations extra-européennes. La chancelière Merkel n’avait pas mesuré la portée de sa déclaration : elle a ouvert la boite de Pandore de l’immigration clandestine et envoyé un message de laxisme qui a été entendu bien au-delà de la Syrie et de l’Irak.
Le 13 septembre 2015, dépassée par le flux migratoire qu’elle a suscité, Angela Merkel annonce qu’elle ferme temporairement la frontière de l’Allemagne avec l’Autriche. Mais les flux en provenance tant d’Afrique que du Moyen Orient par les Balkans ne s’arrêtent pas. Les pays européens, débordés et enferrés dans des engagements juridiques internationaux qui rendent difficilement expulsables les clandestins arrivés sur leur sol, décident de demander à la Turquie de garder la frontière…avec la Grèce.
Acte 2 : L’accord Union européenne-Turquie
Le 18 mars 2016, l’Union Européenne et la Turquie concluent un accord, qui n’est en fait qu’une déclaration d’intentions, destinée à mettre fin à l’immigration irrégulière de la Turquie vers l’Union européenne (1). Cet accord, motivé par l’augmentation considérable des arrivées de clandestins en Grèce, vise notamment à ce que la Turquie « prenne toutes les mesures nécessaires pour éviter que de nouvelles routes de migration irrégulières, maritimes ou terrestres, ne s’ouvrent sur son territoire en direction de l’Union européenne ».
On le voit aujourd’hui, cette sous-traitance du contrôle des frontières de l’Europe n’est pas sans poser problème :
– Elle a permis à la Grèce et à l’Union européenne de baisser la garde dans cette fonction primordiale des Etats qu’est le contrôle des frontières. Le budget de l’agence européenne des garde-côtes et garde-frontières FRONTEX ne serait probablement pas aussi dérisoire aujourd’hui si le contrôle de la frontière gréco–turque n’avait pas été délégué à la Turquie.
– Cette sous-traitance a dispensé les pays européens les plus laxistes, comme la France, d’engager une révision de leur arsenal juridique qui aboutit à ce que près de 85% des flux migratoires qui arrivent dans le pays échappent à toute possibilité de plafonnement. Le regroupement familial, le droit d’asile et l’aide sociale à l’enfance ouvrent en effet des droits de tirage illimités numériquement à l’immigration. Ces droits au profit des étrangers ne sont évidemment pas tenables compte tenu de la pression migratoire et de l’évolution démographique de l’Afrique.
– Beaucoup d’États européens n’ont pas agi dans la période sur les causes de l’immigration de masse : les aides sociales, qui occupent une part considérable du produit intérieur brut des pays européens, agissent comme une véritable pompe aspirante vis-à-vis des habitants des pays du tiers monde (2). Ce modèle qui rend accessible des aides sociales à tout nouvel arrivant n’est pas soutenable, a fortiori si les frontières sont ouvertes.
Acte 3 : L’Union européenne pieds et poings liés par l’accord UE-Turquie
L’accord conclu en 2016 et l’ascendant qu’il donne à la Turquie sur l’U.E. permet au Président Erdogan d‘attiser la fibre nationale-islamiste d’une partie de son opinion publique.
C’est ainsi que le Président turc qualifie en mars 2017 de « pratiques nazies » l’interdiction par le gouvernement allemand de meetings électoraux en Allemagne en faveur de la réforme constitutionnelle qu’il projette (3). L’expropriation par le gouvernement turc de nombreux biens appartenant à l’église syrienne-orthodoxe (4), la destruction de près de 300 000 livres déplaisant au pouvoir en place (5), le financement de l’islam politique en Europe (6), l’emprisonnement de milliers d’opposants politiques, l’offensive contre ceux qui furent les alliés des pays occidentaux dans la lutte contre l’Etat islamique, les kurdes, l’intervention militaire en Syrie, toutes ces initiatives du gouvernement turc ont suscité peu de condamnations tant de l’Union européenne que de nombre de ses pays membres. C’est un véritable moyen de chantage qu’ont donné certains dirigeants européens au Président turc, dont il use et abuse, avec le résultat que l’on connait aujourd’hui.
Acte 4 : L’invasion migratoire par l’inertie
Les menaces du Président Erdogan d’inonder l’Europe de migrants ne datent pas de la dernière annonce, le 29 février. Dès mars 2017, à peine un an après avoir co-rédigé un communiqué commun engageant son pays à surveiller la frontière avec la Grèce, le Président turc a commencé à menacer les pays européens de laisser passer massivement les migrants présents sur son territoire. Si depuis quelques années, les flux de clandestins à destination de la Grèce ne font qu’augmenter, les vannes sont franchement ouvertes depuis la fin du mois de février et l’annonce « officielle » de l’ouverture de la frontière turco-grecque. Le 7 mars, c’est par milliers que les « migrants », en fait des clandestins, des hommes jeunes, exceptionnellement syriens, se massent à la frontière et pour certains d’entre eux, affrontent les forces de l’ordre grecques (7). L’absence de contrôle des frontières ne suffisant pas, tout est fait par le gouvernement turc pour créer un chaos migratoire en Grèce.
Acte 5 : L’invasion migratoire en action
Peu de médias l’on souligné, la chaine publique d’information turque TRT a affiché fin février sur son compte Twitter une carte de l’Europe avec les itinéraires à prendre pour gagner les pays d’Europe de l’ouest (8). Le message adressé aux migrants présents en Turquie est clair : il est temps de partir en Europe.
Ce sont également des bus qui sont affrétés pour conduire des migrants « iraniens, afghans, algériens » des centres de rétention où ils séjournent vers la frontière grecque (9). Ce sont des policiers turcs qui tirent des gaz lacrymogènes contre les forces de l’ordre grecques (10). Ce sont des cisailles distribuées aux migrants pour qu’ils puissent passer les barrières frontalières (11). Ce sont près de 1 000 soldats des forces spéciales turques qui sont déployés pour empêcher les douaniers grecs de repousser des migrants (12).
Comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement turc, qui emprisonne ses opposants politiques, se pose en défenseur… des droits de l’homme. Il s’apprête en effet à attaquer la Grèce devant la Cour européenne des droits de l’homme pour non-respect du droit d’asile (13). Tous les moyens sont bons au gouvernement turc pour parvenir à ses fins. Plus que jamais, l’asile est désormais détourné de son objet initial pour favoriser le déplacement des peuples.
Acte 6 : la capitulation de l’Union européenne
Si ces manœuvres du gouvernement turc ne constituent pas une guerre, nous sommes assurément en présence d’un conflit ouvert. On aurait pu s’attendre à une réaction ferme des autorités européennes. S’il y a bien eu quelques rodomontades et l’envoi de renforts à la frontière gréco-turque, les mesures les plus tangibles ne vont pas dans le sens de la fermeté :
-Dès le 4 mars, la commission européenne rappelait en préalable l’urgence de trouver une solution pour les nombreux mineurs étrangers présents sur les iles grecques. Le renfort de 160 agents au Bureau de soutien européen à l’asile en Grèce était également annoncé. Conjugué à l’annonce de nouvelles propositions en matière de répartition et de relocalisation des migrants, c’est bien par une augmentation de l’immigration vers l’Europe de l’ouest que ces mesures vont se traduire (14). Le ministre français des affaires étrangères français évoquait d’ailleurs le même jour des mesures pour « décongestionner » les hotspots : traduire : transférer les migrants en Europe de l’ouest pour permettre d’en accueillir toujours plus (15).
-Le 5 mars, la commission européenne annonçait …une aide financière à la Turquie ainsi que la délivrance plus facile des visas aux turcs souhaitant se rendre en Europe (16).
C’était oublier un peu vite les propos du Président turc le 3 mars dans un discours à Ankara : R.T. Erdogan ne cachait pas ses motivations : recueillir le soutien de l’Union européenne dans son intervention militaire en Syrie (17). Sinon, « il va y avoir plus de migrants (à la frontière grecque), bientôt il y en aura des millions ». (18).
Face à ce chantage, l’Union européenne n’apporte que des solutions qui ne vont faire qu’attiser les problèmes : fluidifier le traitement des demandes d’asile, relocaliser toujours plus d’extra-européens dans les pays européens. C’est une nouvelle capitulation en rase campagne devant une invasion qui ne dit pas son nom, dans un silence médiatique assourdissant. C’est bien en Grèce que l’avenir de l’Europe se joue en ce moment.
Paul Tormenen 20/03/2020
(1) « Déclaration UE-Turquie, 18 mars 2016». Conseil européen. »
(2) « Dépenses sociales ». OCDE. 7 mars 2020.
(3) « Pratiques nazies, la dispute entre Erdogan et Merkel en 4 actes ». L’Express. 6 mars 2017.
(4) « Le dernier combat des moines de Turquie ». La Croix. 21 novembre 2017.
(5) « En Turquie, la purge lancée par Erdogan se poursuit avec la destruction de 300 000 livres ». Le Figaro. 8 août 2019.
(6) « L’Autriche va fermer sept mosquées et expulser jusqu’à 60 imams ». Le Temps. 8 juin 2018.
(7) « 600 people, aided by turkish army and military police, threw tear gas at the greek side of the border overnight ». Voice of Europe. 7 mars 2020.
(8) « La route vers la France pour les réfugiés un média turc publie une carte de divers itinéraires au départ d’Idlib ». Sputnik news. 1er mars 2020.
(9) Compte Twitter Guillaume Perrier. 28 février 2020.
(10) Compte Twitter. FranceNews24. 7 mars 2020.
(11) « Tranengaseinsatz von beiden seiten ». Tagesschau. 7 mars 2020.
(12) « Ankara déploie 1 000 soldats des forces spéciales pour empêcher la Grèce de repousser les migrants ». Sputnik news. 5 mars 2020.
(13) « Turkey’s prepares human rights case over Greece’s treatment of migrants ». Reuters. 4 mars 2020.
(14) Communiqué de presse. Commission européenne. 4 mars 2020.
(15) « Ankara. Migrants : Erdogan réclame un soutien européen en Syrie, heurts frontaliers ». Le Courrier cauchois. 4 mars 2020.
(16) « L’UE prépare une nouvelle aide de 500 millions d’euros pour les réfugiés de Turquie ». I24news. 5 mars 2020.
(17) « Le grand écart des européens face à la crise migratoire ». Sputnik news. 6 mars 2020.
(18) « Turkey’s Erdogan threatens Europe’s with millions of migrants ». The Japan times. 3 mars 2020.