Le 1er avril dernier, Boulevard Voltaire interrogeait Jean-Paul Brighelli après que le ministre Blanquer avait déclaré qu’on avait « perdu 5 à 8 % des élèves », disparus des radars scolaires pour cause de confinement. Il répondait ceci : « Certains parents traitent de “pétasses” les professeurs qui croient que c’est aux parents de faire leur boulot à leur place. C’est un témoignage direct. D’autres parents, pas si rares, s’aperçoivent avec horreur que leurs chers enfants ne sont pas du tout ce qu’ils croyaient, que ce sont de petits “branleurs” qui n’en ont rien à faire et qui sont accrochés à leur portable. Ce phénomène transcende toutes les classes sociales. »
C’est ce qui s’appelle parler franc.
Aujourd’hui, on parle de renvoyer les enfants à l’école. Officiellement, pour permettre aux parents de reprendre le chemin du boulot. En vérité, pour les débarrasser d’une progéniture qu’ils ne savent ni ne veulent plus “gérer”, mot fourre-tout qui désigne bien notre monde où, depuis cinquante ans, toutes les actions d’éducation et d’autorité ont été dévolues à l’école.
On n’en fait plus un mystère, la chose est même théorisée par nos professeurs de sociologie. Ainsi François de Singly, invité dimanche de l’émission « C’est arrivé demain », sur Europe 1. Le thème : « Quand l’école à la maison bouleverse les liens familiaux ».
Un constat, tout d’abord : en raison du confinement, dit François de Singly, « tout d’un coup, au nom de la continuité pédagogique […] le ministère a imposé le fait que l’école soit à la maison. Et sans le savoir, il a contribué à tendre de manière forte les relations entre les parents et les enfants puisque, d’un seul coup, ces parents, qui sont devenus des professeurs et plus simplement des parents d’élèves, se sont vus imposer des tâches d’autorité. Des horaires, des dictées, des problèmes… » Et ça, ils n’en veulent pas, mais alors, pas du tout !
Eh oui ! remettre les parents à cette place, « c’est totalement bousculer les nouveaux rôles parentaux », particulièrement celui du père « qui a un peu renoncé au pouvoir et aux formes d’autorité les plus visibles ». Et que lui reste-t-il, à ce nouveau père ? Tout juste pouvoir faire joujou avec la zapette : « Dans les entretiens, les femmes disent “Oui, de temps en temps, mon mari joue l’autorité… Il lui reste éventuellement le choix de sa propre chaîne de télé…” », dit M. de Singly. Pire que cela, « il est presque ridiculisé s’il remplit une fonction d’autorité, et là, tout d’un coup, on dit “revenons aux années 50”. Et ça, ce n’est pas possible. »
La famille idéale, aujourd’hui, « c’est “la famille cool”, celle où l’on passe des bons moments ensemble ; où, chacun ayant assuré son travail professionnel ou scolaire, on se retrouve ensemble pour regarder certaines séries, certains films, pour faire des goûters sympathiques… » Pas ce bagne où il faut faire les devoirs. Quelle horreur ! Surtout quand on n’y comprend rien, aux devoirs… D’ailleurs François de Singly le prédit : « Ça va être la mort des cahiers de devoirs de vacances parce que ça rappellera les gros cahiers de devoirs du confinement. »
D’où la montée des violences conjugales et violences à l’enfant. « C’est la page sombre du confinement », dit le monsieur, car « pour qu’une famille aujourd’hui soit aimable », il faut « que chacun puisse se retirer dans son monde ». Or, « dans de nombreux cas, dans les familles populaires et dans les familles d’origine immigrée, vous avez encore des enfants qui peuvent être trois ou quatre dans une chambre »…
Conclusion, Covid-19 ou pas, il est urgent de renvoyer les enfants à l’école.
Et après, demande le naïf ? Après, « il faut que chacun ait une “cellule”, donc la politique familiale devra être vraiment centrée prioritairement sur le droit à un espace familial ». Avec une zapette pour chacun !
Et je pose mon éternelle question : comment avons-nous fait pour survivre jusqu’ici ?
Marie Delarue